CinémaHorreur

Le Puits et le pendule – Stuart Gordon

The Pit and the Pendulum. 1991.

Origine : États-Unis
Genre : Horreur
Réalisation : Stuart Gordon
Avec : Lance Henriksen, Rona De Ricci, Jonathan Fuller, Jeffrey Combs…

Il n’aura pas fallu bien longtemps à Charles Band pour se remettre de la chute de son Empire (saisi en 1988 par -cocorico !- Le Crédit Lyonnais). Quelques mois tout au plus, suite à quoi la Full Moon allait prendre le relais. Un démarrage du bon pied, puisque la toute première production maison, Puppet Master (David Schmoeller, 1989) fut un très gros succès qui à l’heure qu’il est n’a toujours pas fini d’essaimer dans l’univers Full Moon. Mais il est vrai que sous l’Empire les mini-monstres étaient déjà l’une des spécialités maison, et que pour l’heure la continuité est de mise. Y compris au niveau du personnel, puisqu’après avoir vaqué deux ou trois ans à différentes occupations (l’éducatif Kid Safe, le téléfilm La Fille des ténèbres, le scénario de Chérie j’ai rétréci les gosses !), Stuart Gordon rentre au bercail. Un retour imputable à un heureux concours de circonstances, puisque Le Puits et le pendule aurait dû être financé par les repreneurs de l’Empire qui eux-mêmes firent banqueroute en peu de temps, entraînant son rapatriement chez la nouvelle écurie de Charles Band. On ne sait trop si le budget promis à Stuart Gordon en pris un coup, mais toujours est-il que son ambition initiale de confier le rôle principal à Peter O’Toole fut déçue, tout comme celle de Albert Band (père de Charles et producteur pour l’occasion) qui aurait pour sa part souhaité Anthony Perkins, pourtant plus abordable (vu que Stuart Gordon venait de finir La Fille des ténèbres avec lui). Enfin il fallait malgré tout un nom ronflant, ou à défaut un acteur confirmé, pour incarner nul autre que le célèbre Torquemada. Ce fut finalement Lance Henriksen qui obtint le rôle, l’abordant avec tout le sérieux possible, quitte en cours de route à se fâcher avec Stuart Gordon, auquel il reprochait de prendre son sujet assez à la légère. Après Joe Haldeman sur Robot Jox, il est donc le second à adresser le même reproche au réalisateur de Re-Animator.

En l’an 1492, à Tolède, l’Inquisition de Torquemada fait régner la piété à grands coups de bûchers publics. Bien que cela les révulse, Antonio et sa femme Maria, boulangers de leur état, en sont réduits à vendre leur pain aux badauds en route pour le spectacle. Mais ils comptent bien être rentrés chez eux avant la prochaine fournée de sorcières, prévue ce jour. Hélas, de petits chenapans ne trouvent rien de mieux à faire que de voler les miches du boulanger, qui se lance derechef à leur poursuite, avec Maria sur ses pas. Pris dans un mouvement de foule, les deux boulangers se retrouvent donc en place publique, où une hérétique s’apprête à être mise au supplice sous les yeux de son enfant et de Torquemada, Inquisiteur en chef et au balcon. Impossible de revenir sur leurs pas : les soldats de l’Inquisition veillent au grain et regardent d’un mauvais œil quiconque se débine devant le spectacle du châtiment divin. C’en est trop pour Maria, qui décide d’intervenir pour demander grâce au nom de la malheureuse. La réaction ne se fait pas attendre, ordonnée par Torquemada lui-même : la boulangère est arrêtée pour sorcellerie et amenée à la forteresse de l’Inquisition pour livrer ses aveux. Quant à Antonio, coupable d’avoir voulu défendre son épouse, il est passé à tabac et laissé pour mort sur la place. Une fois revenu à lui, il va trouver moyen de rentrer dans la forteresse pour délivrer Maria, laquelle fait naître un certain trouble chez Torquemada…

Après s’être fait une spécialité de revisiter Lovecraft, Stuart Gordon entreprend ici de remanier à sa sauce un autre ponte de l’épouvante américaine : Edgar Allan Poe. Il ne craint pas de marcher dans les pas de Roger Corman, adaptateur en chef de Poe, tant Le Puits et le pendule se révèle fort différent de La Chambre des tortures. Les deux films sont basés sur une même nouvelle qui ne dispose d’aucune intrigue véritable : très courte, elle aborde les tourments psychologiques d’un homme attaché sous le funeste pendule. De là la liberté pour les deux réalisateurs d’extrapoler ce postulat comme ils le souhaitent, avec dans le film qui nous intéresse ici la complicité du fidèle Dennis Paoli (de Re-Animator aux deux épisodes des Masters of Horror, il a bien scénarisé la moitié des films de Stuart Gordon). Non sans au passage évoquer d’autres thèmes et nouvelles hérités de Poe, comme par exemple L’Enterrement prématuré ou encore Le Chat noir, voire même La Barrique d’Amontillado… Mais enfin cela ne dépasse guère le stade du clin d’œil. Encore que l’humour de Stuart Gordon n’est pas si éloigné que cela de celui de Poe. C’est que le jusqu’au boutisme lugubre des deux, s’il diffère évidemment dans la forme, confine en un certain humour noir que cette fois Gordon ne pousse pas jusqu’au grand guignol…

De prime abord, Le Puits et le pendule pourrait passer pour un film dans la lignée des Diables, de Ken Russell, en moins sulfureux. Il y a de ça, et notons d’ailleurs un caméo certainement pas fortuit d’Oliver Reed (qui en apportant sa gnôle améliora significativement les relations entre Stuart Gordon et Lance Henriksen… c’est bien la première fois que Reed apaise l’ambiance). L’hypocrisie consistant à persécuter son prochain au nom des évangiles est évidente, de même que l’hystérie collective de la foule plus assoiffée de sang qu’éprise de charité chrétienne. Mais l’intention principale du réalisateur n’est pas de faire un film centré sur les dérives de l’Église au temps de sa toute-puissance. L’Inquisition et Torquemada ne sont pas abordés sous un angle historique, ni même métaphorique. C’est peut-être ce qui a entraîné l’ire de Henriksen, qui prit son rôle très au sérieux en se mettant dans la peau d’un fanatique religieux ascétique y compris en dehors du tournage, puisqu’il se prépara au pain et à l’eau et qu’il “s’entraîna” en terrorisant les quidams dans les rues italiennes. Non, Gordon vise en fait à créer un véritable film d’horreur dans lequel deux personnages sont plongés dans un milieu hors de toute rationalité. Il inverse ainsi la structure traditionnelle du cinéma horrifique, dans laquelle c’est la réalité dans ce qu’elle a de plus terre-à-terre qui est petit à petit contaminée par des éléments épouvantables. Ici, Antonio et Maria sont au contraire balancés dans un univers effroyable que Gordon cherche ironiquement à rapprocher de l’enfer. Avec ses vieilles pierres, son absence totale de luminosité naturelle et son éclairage uniquement à base de feu, la forteresse adopte l’imagerie d’Épinal du royaume de Satan. Jusque aux cellules plongées dans le noir, faisant office de limbes. La musique, en partie composée de sombres chœurs grégoriens à la façon du thème de La Malédiction va également dans ce sens, tout comme les malheureux torturés de mille et une manières (écartèlements, vierges de fer, ingestions forcées, brûlures…) et qui ne sont parfois rien d’autre que des éléments de décors. Dans cet antre infernal, Torquemada règne sur une nuée de cinglés faisant office de démons au physique parfois tourmenté et à la psychologie rudimentaire, encore que variée, que le réalisateur utilise pour verser dans cet humour malsain qui lui est propre. Ainsi les principaux assistants du tyran rédempteur sont un bourreau mystique, lui-même supplicié en son temps et qui depuis lors est persuadé de “sauver” ses victimes ; un maître d’armes à la tête d’une armée ne demandant qu’à en découdre et un magistrat tout ce qu’il y a de plus bureaucratique (Jeffrey Combs) tâchant de faire respecter à la lettre les lois ubuesques de l’Inquisition. Tous sont totalement soumis à leur chef, magistralement incarné par Henriksen, qui illustre de façon quasi expressionniste les élans de ce personnage, probablement le meilleur de la filmographie de Stuart Gordon avec Herbert West (et Edmond, mais sur un registre différent). Capable aussi bien d’un froid détachement que de coups de colère infantiles ou de profonds tourments personnels, le grand Inquisiteur est par la folie qu’il y impose le cœur même de la forteresse. Sa présence et sa doctrine écrasent tout le monde.

La grande force de ce Torquemada est qu’il n’y a aucune dissimulation en lui : il est sincèrement persuadé du bien fondé de son Inquisition, de servir Dieu et de sanctionner les hérétiques qui selon lui pullulent. Gage de sa sincérité : il est tout aussi bien capable de s’en prendre à lui-même, ordonnant à son bourreau de lui servir 20 coups de fouets pour se punir de la tentation qu’il ressent pour l’accorte Maria. Car si Torquemada est autant sur les nerfs, ce n’est pas parce qu’il s’offusque de la prolifération d’hérétiques à chaque coin de rue… C’est parce qu’il ressent un profond désir, si ce n’est de l’amour face à celle dont le physique est aussi sculptural que l’innocence -et pas seulement celle des accusations reprochées- est patente. Le très rigoriste Inquisiteur est ainsi tiraillé entre ses envies charnelles et son ascétisme. Ce combat interne le rend fou et imprévisible : tantôt voit-il Maria comme la vierge Marie, tantôt comme la putain de Satan, tantôt comme une fraîche jeune fille égarée qu’il doit pousser à l’aveu et à le repentance. Et au gré du conflit entre impulsions et raison, son attitude avec elle varie entre l’argumentation bienveillante pour le salut de son âme, la cruauté, le chantage, la déclaration amoureuse solennelle et les contraintes sexuelles. Pour la première fois,Torquemada est en plein doute et se sent revenir au rang de simple humain… Inacceptable pour lui, persuadé de son infaillibilité spirituelle ! Ce qui le rend encore plus irascible qu’à l’accoutumée et désarçonne jusqu’à ses propres troupes, incapables de savoir quel sort réserver à Maria et craignant les réactions de fureur du chef. Ainsi Stuart Gordon (bien aidé soyons justes par la performance hallucinée de Lance Henriksen) laisse planer sur cette forteresse infernale l’ombre d’un chaos imminent. Ou d’une épée de Damoclès en passe de se décrocher, telle que celle figurant au-dessus du lit où Torquemada tente d’abuser de Maria. Il y a un peu de surréalisme apocalyptique façon Jérôme Bosch dans l’atmosphère générale, avec tous les repères de ce microcosme indissociable de son Roi, et qui s’effondrent en même temps que lui. Tout cela pourquoi ? Parce que le loup est entré dans la bergerie… Ou plutôt l’inverse.

Et pourtant, Maria, pas plus que son mari Antonio, ne brille par son intelligence. A force d’innocence et de pardon pour Torquemada, à force de vouloir le raisonner, à force de crédulité, elle aurait même tendance à passer pour légèrement crétine, vaguement dans la lignée des jouvencelles dans les écrits du Marquis de Sade. Fidèle à lui-même, Gordon s’en amuse, exposant aux cruelles désillusions et à la dureté de ce monde insensé son héroïne aux yeux de biche et à la bouche en cœur… Quant à Antonio, le mari décidé à sauver son épouse, il serait plutôt du style “sans peur et sans reproche”, prêt à toutes les bravades pour sauver sa dulcinée. En réalité, s’il contribue à apporter une certaine légèreté, il sert surtout à faire avancer le scénario, n’étant jamais à cours d’idées pour s’échapper de son cachot ou d’un engin de torture. Nous retrouvons là l’idée d’inverser la donne du cinéma d’horreur : ce sont cette fois les “gentils” qui viennent ironiquement bouleverser le mal avec leurs propres grosses ficelles (la demoiselle en détresse et le chevalier servant)… Le seul personnage positif un tant soi peu marquant est encore cette vieille femme, compagne de cellule de Maria, qui revendique ouvertement la pratique de la sorcellerie. Non qu’elle vénère le diable, mais elle avoue soigner les gens avec ses recettes de grand-mères et ses herbes magiques ! D’une solide dérision envers elle-même, Maria ou ses geôliers, elle est en fait peut-être le seul personnage censé du lot, et Stuart Gordon -qui ne l’épargne pourtant pas- éprouve de toute évidence une certaine sympathie pour ce personnage qui connaîtra une destinée surprenante… Mais toute intéressante qu’elle puisse être, cette vieille femme n’en est pas moins réduite à la portion congrue, n’incarnant au final que l’un des troubles qui profite de l’ébranlement de Torquemada pour faire surface.

Loin d’être l’un des films les plus connus de Stuart Gordon, Le Puits et le pendule n’en est pourtant pas moins l’un des meilleurs. S’il aurait pu être bien plus corsé au niveau gore et au niveau érotisme, on peut pourtant se féliciter que le réalisateur se soit abstenu de pousser ces deux éléments aussi loin qu’il l’aurait pu (et cela aurait été très facile). Le personnage de Torquemada et de la folie qui l’entoure s’en seraient certainement retrouvés amoindris, et l’attention en aurait été détournée. Pour autant, on peut se montrer tout aussi satisfaits que le réalisateur ne se soit pas pris au jeu au point de tomber dans le premier degré. Il préserve ainsi son propre style, tout en le gratifiant d’une originalité qui doit beaucoup à son acteur principal. Malgré leurs divergences, Gordon et Henriksen sont parvenus à un accord, le réalisateur laissant carte blanche à l’acteur pour faire ce qu’il voulait du personnage pendant que lui gérait le reste. Bien mieux appréhendée que celle opposant Gordon à son scénariste Haldeman sur Robot Jox, cette confrontation de points de vue fait indéniablement recette, et -avec l’aide du tord-boyaux d’Oliver Reed ou non- les deux hommes ont fini le tournage réconciliés.

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