Robot Jox – Stuart Gordon
Robot Jox. 1990.Origine : États-Unis
|
Question tarte-à-la-crème de l’intervieweur peu inspiré : “D’où vous viennent toutes vos idées ?”. La réponse de l’interviewé présente généralement peu d’intérêt. Cependant, sur des cas précis, cela peut s’avérer assez pertinent. Comme pour Stuart Gordon au moment d’aborder son Robot Jox. Visiblement en pleine phase “jeunesse” après Dolls, Kid Safe et le script de Chérie j’ai rétréci les gosses !, il se laissa aller à son goût surprenant pour la série d’animation japonaise Macross et surtout pour la gamme de jouets Transformers et, après avoir vainement attendu un long-métrage nippon à base de robots géants, il prit les devant et débarqua chez Charles Band pour lui proposer ce qui deviendra Robot Jox. D’abord hésitant face au budget qu’un tel sujet nécessiterait, le boss finit par céder, non sans avoir trouvé des partenaires financiers sur la base d’une démo en stop motion. A charge pour Gordon de mener à bien ce qui s’apprêtait à être le plus gros budget jamais investi par l’Empire, en compagnie de Arena, de Peter Manoogian, tourné quelques mois plus tard. Afin d’accoucher d’un scénario digne de ce nom, Gordon alla rechercher l’auteur Joe Haldeman avec lequel il avait déjà signé l’adaptation sur les planches de son roman La Guerre éternelle. Ils décidèrent en commun de revisiter le mythe de L’Iliade. Ambitieux ! Et même présomptueux, pourraient dire certains…
Malgré les ravages de la guerre nucléaire, les conflits demeurent… Mais au grand soulagement de ceux qui restent, le Marché et la Confédération (les deux camps en lutte) ont pris la décision de régler leurs litiges autrement qu’à coup de bombes ravageuses ou de féroces soldats. Désormais s’affrontent les “Robot Jox”, des pilotes de haut niveau qui se foutent sur la gueule depuis le cockpit de leurs robots géants. La dernière confrontation a vu la nette victoire de la Confédération. Le Marché se doit d’emporter la prochaine manche, qui va mettre en jeu l’Alaska et ses riches ressources naturelles. Pour vaincre Alexander, le champion d’en face, nul autre que Achilles, en route vers la légende ! Les Robot Jox se doivent en effet de participer à 10 combats et Achilles en est à 9, pour autant de victoires… Triompher d’Alexander ferait de lui l’égal de son coach, Tex Conway. Et puis cela en remontrerait aux mutants, ses successeurs présumés : des humains conçus en éprouvette pour être de véritables machines à gagner. Mais patatras, voilà qu’au cours du combat un missile tiré par Alexander se dirige vers la foule. A son robot défendant, Achilles intercepte le projectile… Et son robot tombe sur ladite foule. 300 morts, rencontre annulée, match nul selon les arbitres, la confrontation sera à rejouer. Malgré les pressions populaires et politiques, Achilles refuse de remettre le pied à l’étrier tandis qu’Alexander ne cesse de fanfaronner, que l’on suspecte la présence d’un espion à la solde des confédérés et que les mutants s’écharpent pour avoir la primeur de remplacer le Robot Jox vedette.
Robot Jox est basé sur un malentendu : là où Joe Haldeman, lui-même ancien soldat, souhaitait en faire une œuvre sérieuse dénonçant les politiques militaristes, Stuart Gordon avait en tête de produire une série B légère aux relents satiriques. Ou pour reprendre ses mots, Haldeman voulait “un film pour adultes pouvant plaire aux enfants” tandis que lui escomptait l’inverse. D’où une certaine mésentente sur le tournage, avec Gordon remaniant le scénario de Halderman et transformant les personnages de façon à les rendre bien plus caricaturaux. Il va sans dire que des deux options, c’est bien celle du réalisateur qui a prévalu, contribuant ainsi à adresser Robot Jox à un public moins large et à le soumettre aux quolibets d’une presse cinématographique pouvant difficilement être séduite par sa volonté d’orchestrer une sorte de version “live” des dessins animés japonais… Pourtant, et bien que nous ne soyons pas non plus dans le féroce Starship Troopers, toute trace politique n’a pas disparu de Robot Jox. Ainsi sur les deux camps qui s’affrontent, et qui sont des incarnations à peine voilées des États-Unis (le Marché) et de l’Union Soviétique (la Confédération -dont le nom a été repris des perdants de la guerre civile américaine-), aucun des deux n’apparaît comme l’axe du bien. De la Confédération nous ne savons strictement rien si ce n’est que son Robot Jox vedette est un forcené prétentieux et outrageusement belliqueux. Ce qui en soit n’est guère différent de ceux du Marché, encore que Achilles et son coach Tex Conway affichent quelques ingrédients permettant à tout un chacun de pouvoir s’identifier un minimum à eux. Dans le cas du héros, il s’agit tout simplement de sa réaction suite à l’accident lors duquel son robot écrasa 300 spectateurs. De quoi effectivement ravaler sa superbe. Et en ce qui concerne Tex, la sympathie qu’il inspire vient de sa gouaille toute texane, avec franc-parler, accent du Texas profond et chapeau de cow-boy… Autre chose que ces mutants qui prennent le traumatisme d’Achilles pour une marque de faiblesse, qui sont prêts à s’écraser les uns et les autres pour le privilège de devenir Robot Jox. Ce sont de véritables robots prétendant piloter d’autres robots. A leur sujet on note d’ailleurs que la manipulation génétique a probablement été un thème amené par Joe Haldeman, mais dont le développement est tué dans l’œuf par le peu de cas qu’en fait Stuart Gordon, puisqu’une seule des mutants est mise en avant, et ceci à des fins pas forcément très élaborées (en gros, une romance entre elle et Achilles, avec la poignante interrogation sous-jacente : réussira-t-elle à mettre ses sentiments au dessus de ses impulsions génétiques ?). Enfin, pour clore ce volet politique bien plus léger qu’il n’aurait pu être (car la richesse thématique est bel et bien là), notons que cette nouvelle manière de régler des conflits contient en elle un certain cynisme. Le peuple n’est plus envoyé au massacre sur les champs de batailles, mais il est désormais galvanisé par un patriotisme consistant non plus à servir la nation, mais à soutenir ses “héros”. Voire à se faire de l’argent en misant sur leurs victoires ou leurs défaites, tel ce supporter acharné joué par Jeffrey Combs dans ce qui n’est qu’un caméo (il n’est d’ailleurs pas le seul habitué de l’Empire à venir faire coucou). Ou bien crier haro sur le baudet lorsque ce même héros refuse de remonter en piste… Il y a un peu de Rollerball là-dedans, Achilles s’apparentant vaguement au personnage joué par James Caan. Mais vraiment un peu. Car lorsque Robot Jox s’approche de toute forme de gravité, Stuart Gordon se fait un malin plaisir de le faire retomber dans une certaine puérilité.
Premier obstacle -et non le moindre !- visant à ne pas le prendre au sérieux : le look général qu’aborde le film, fortement évocateur de la naïveté futuriste des années 60 (composants technologiques, couleurs vives, architecture épurée) avec un petit relent de kitscherie post-apocalyptique (les costumes des Robot Jox à base d’équipement de football américain). Le budget a peut-être été plus élevé que ceux habituellement offerts par Charles Band, mais n’empêche que tout cela donne vraiment des allures fauchées à Robot Jox. Il n’est d’ailleurs pas exclu que cela soit volontaire, Gordon souhaitant rendre un hommage aux animés japonais de ces années 80 qui ne brillaient pas par leur sobriété visuelle. Pour peupler ces décors, il a recours à des personnages qui ne sont pas moins criards que le milieu dans lequel ils évoluent : avec ses cicatrices, sa bonne conscience tardive, son béguin pour la mutante Athena et son héroïsme désintéressé, Achilles est une véritable caricature, tout autant que son texan d’entraîneur mais sans bénéficier comme lui du prétexte humoristique. Il est tout simplement transparent, d’autant que l’acteur qui l’interprète -Gary Graham- n’est pas une foudre. Quant à Alexander, l’antagoniste, il n’est qu’une tête brulée probablement recalée de l’équipe de Top Gun. Ce ne sont pas avec eux et leurs combinaisons moulantes que l’on se sentira impliqués dans le devenir du monde. Quant à Athena, bien que son interprète ne soit pas non plus extrêmement convaincante, c’est encore elle qui s’en sort le mieux grâce au fameux doute qui subsiste tout du long sur la raison de son rapprochement envers un Achilles qui l’a pourtant froidement accueillie avec des remarques sexistes (c’était avant l’accident). En revanche, niveau “mutant surentraîné”, on repassera : ses imitations guindées de Bruce Lee dans les scènes de bagarres la rendraient indigne d’une bisserie philippine avec Fred Williamson… Bref, Achilles et Athena, la parabole science-fictionnelle de L’Iliade, ce n’est vraiment pas ça. D’ailleurs en guise de péripéties et de rebondissements, Gordon charge un peu la mule pour faire vivre son film, d’où les multiples enjeux entrecroisés de son intrigue (outre la romance, la guerre, les cas de conscience, il y a aussi la présence d’un traître à débusquer), mais ne convainc pas. Si son film n’est pas dénué d’humour, ou même d’autodérision, il lui manque le côté provocateur de Stuart Gordon ou des productions Empire en général, qui donnait une saveur particulière à des productions parfois bien plus amateures que celle-ci. Robot Jox ressemble en fait à une petite production qui essaierait de se faire passer pour un blockbuster.
En revanche, le seul point d’importance n’est pas raté : les combats de robots en eux-mêmes. Il s’agit là d’une affaire d’effets spéciaux, conçus par un David W. Allen au CV alléchant : outre les films Empire puis Full Moon à base de mini-monstres (Dolls, les Ghoulies, les Puppet Master…) il s’enorgueillit également de participations à Hurlements, à SOS Fantômes II, à Willow, à Chérie j’ai rétréci les gosses !… Il s’adonne ici à de la pure stop-motion, ce qui évoque bien entendu les classiques de Ray Harryhausen, indétrônables en la matière. Non seulement par la méthode d’animation des robots, mais également par le côté “vintage” que cela donne au film (en raccord avec son allure générale, mais en bien plus beau) et en rappelant que certains d’entre eux (dont le plus connu : Jason et les argonautes) étaient liés à la mythologie grecque, comme est censé l’être Robot Jox. Ainsi, les mouvements des robots sont fluides et leurs combats, qu’ils utilisent des armes à distance où qu’ils s’effectuent au corps à corps restent assez spectaculaires, tout en restant bien loin des débauches auxquelles cèdent des films comme les Transformers ou les Pacific Rim à l’âge du numérique. Et en réalisateur habitué à ce genre d’effets spéciaux, Stuart Gordon trouve toujours le meilleur point de vue pour les rendre les plus crédibles possibles. Du reste, afin de ne pas trahir leur taille en les insérant dans des décors qui fausseraient les perspectives, il a choisi de placer ces affrontements dans des déserts, ce qui se révèle utile aussi bien pour les effets spéciaux qu’en termes scénaristiques. Tout au plus pourra-t-on lui reprocher d’avoir choisi de donner à ses robots de faux airs de Transformers (la gamme de jouets), qui sont quand même moins marquants que les créatures légendaires des films de Ray Harryhausen. Le principal élément de Robot Jox est donc assuré. Même s’il n’y a au final que trois véritables batailles de robot (la dernière étant assez longue il est vrai), ce sont de loin les éléments principaux d’un film qui en dehors de ça ne parvient pas à trouver le ton juste. Hommage à la science-fiction vieille école, parodie digne de l’Empire, science-fiction politique, film pour enfants, simple blockbuster… Un peu de tout ça, à chaque fois sans aller jusqu’au bout, contrebalancé par le travail impeccable de David W. Allen, et cela nous conduit à un bilan mitigé.
Au-delà de ses mérites ou tares artistiques, Robot Jox passe également pour être le film qui, par son budget important, a coulé l’Empire de Charles Band. S’il est vrai que cette banqueroute intervint avant la fin de son tournage, et que le film ne put être achevé qu’après avoir retrouvé de nouveaux investisseurs (ce qui explique sa sortie en 1990 alors qu’il fut démarré en 1987), Stuart Gordon s’inscrit en faux : son film n’est pas le Waterloo de l’Empire. Selon lui, la firme de Charles Band ne se portait déjà pas très bien et ne sombra que par le trop grand nombre de productions lancées simultanément, dépassant les fonds disponibles. Pas superstitieux pour autant, et pas non plus effrayé par les mauvais résultats du film à sa sortie, Charles Band continuera sur sa lancée en donnant à Robot Jox deux suites officieuses : Crash and Burn (1990) et Robot Wars (1993), sous la bannière Full Moon. Gordon -et encore moins Haldeman- ne s’en mêla pas, bien qu’il avait déjà prévu un Robot Jox 2 dans lequel Achilles et Alexander se seraient alliés pour combattre des extra-terrestres. Concept exploité à la lettre par Pacific Rim !