Le Choc des mondes – Rudolph Maté
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When Worlds Collide. 1951Origine : Etats-Unis
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Mauvaise nouvelle pour l’humanité : des scientifiques viennent de découvrir que la Terre devrait être détruite d’ici un an, en deux temps, à cause du passage de deux astres itinérants. Il y aura d’abord la planète Zyra, qui frôlera la planète bleue en provoquant un tas de cataclysmes. Et peu après on aura droit à l’étoile Bellus, qui ira se fracasser contre la Terre. Les experts de l’ONU n’en croient pas un mot, mais le docteur Hendron (Larry Keating) est sûr de son coup. C’est donc sur des fonds privés versés par un riche égocentrique qu’il va entreprendre la construction d’une nouvelle arche de Noé, censée amener 44 personnes sur Zyra après le passage de celle-ci. Pour des raisons techniques, quelques personnes sont déjà sûres de figurer sur la nouvelle arche. Pour les autres, un tirage au sort sera effectué parmi toutes les personnes ayant participé à la construction du vaisseau.
L’humanité est pourrie, il faut faire table rase et repartir sur de bonnes bases. Bien qu’ici reformulé, ce raisonnement peu charitable nous vient d’un épisode de la Bible. C’est le point de départ du récit de l’arche de Noé, et c’est aussi en substance le message qui ouvre Le Choc des mondes produit par le très pieux George Pal, dont le bondieusard “deus ex machina” concluant sa Guerre des mondes m’est par ailleurs toujours resté en travers de la gorge. Classique de la science-fiction, Le Choc des mondes est très certainement ce qui se fait de plus religieux dans le domaine, réussissant même l’exploit de faire passer les très consensuelles productions de l’époque pour de féroces brûlots impies. Mais avant de s’attarder sur cet aspect particulièrement irritant, précisons tout de même que son statut de classique, le film de Rudolph Maté ne l’usurpe pas tant que ça… Autant qu’un film de science-fiction spéculant sur une technologie et un savoir encore embryonnaires dans l’esprit du public, c’est un véritable film catastrophe dont la force est paradoxalement servie par sa dévotion biblique. J’entends par là que cette condamnation de l’humanité pour motifs religieux, si elle est clairement prosélyte sur le fond, revêt une forme qui sied parfaitement à un film catastrophe. La fin du monde est programmée, et il n’y aura aucun recours pour y remédier. C’est comme ça, on ne peut rien y faire, et personne ne trouve à y redire. La fatalité s’abat sur le monde sans que Maté n’y accorde d’importance, ce qui va à l’encontre des Jour d’après, des 2012 et autres Roland-Emmericheries (sans oublier le Michael-Bayien Armaggedon ou la Spielbergienne Guerre des mondes), jouant plus sur une prise de conscience voire une rédemption certes moins douteuse idéologiquement mais aussi propice aux énormités.
Il y a toujours un côté démagogues et enfonceurs de portes ouvertes dans ces films récents, ainsi que dans La Guerre des mondes de Pal d’ailleurs, que l’on ne retrouve pas dans Le Choc des mondes, film qui est d’ailleurs dépourvu de véritable héros (des personnages principaux, oui, mais ils n’ont pas grand chose d’héroïques). Plus d’avertissement, la messe est dite. Concrètement, cela a un impact positif sur le point de vue du réalisateur, qui peut alors se projeter entièrement vers l’avenir, faisant ainsi bifurquer son film vers la science-fiction, et ses personnages vers les tracas du tirage au sort qui déterminera ceux qui partiront. Nous nous rapprochons du départ vers l’inconnu, non sans certaine tension que les personnages ont le mérite de contenir jusqu’à l’approche de l’heure H, par oppositions aux épanchements faciles trop souvent usités. En cela, Le Choc des mondes rejoint les meilleurs exemples de la science-fiction “imaginative”, celle dont l’objectif est de nous priver de repères. La structure en film catastrophe ne sert somme toute qu’à rendre le procédé plus progressif, même si on pourra toujours arguer que le manque de suspense quant au dénouement (qui irait imaginer que la nouvelle arche de Noé sera un échec ?) est dommageable. Au passage, nous auront droit à des scènes de destructions courtes mais de grande ampleur et parfaitement bien réalisées pour l’époque de leur réalisation. Et pour ce qui est du nouveau monde vu dans les dernières secondes, il s’agit d’une peinture hallucinante de naïveté, indigne des scènes qui l’a précédé, mais cette étape n’est pas la plus importante et on ne saurait le reprocher à Maté et à Pal, qui furent réduits à cela par la Paramount, pressée de sortir le film avant qu’il ne soit achevé.
Difficile de cracher sur Le Choc des mondes à ce niveau-là. Se serait mentir que de dire qu’il ne s’agit pas d’un bon spectacle. En revanche, il est tout autant difficile de faire l’impasse sur son moralisme chrétien que l’on retrouvait paraît-il déjà dans le roman de Philip Gordon Wylie et Edwin Balmer duquel il est adapté.
Le cinéma de science-fiction des années 50 a rarement brillé par son anticonformisme. Épousant les mœurs et les craintes de l’époque, il agissait surtout par pure facilité commerciale. Cela gênait finalement assez peu, les réalisateurs adoptant ce point de vue plus par habitude que par réelle conviction. Le Choc des mondes se veut plus militant, et affiche une foi prononcée pour ces valeurs au mieux conservatrices, au pire réactionnaires qui furent celles des années 50. Difficile de ne pas voir une certaine forme élitiste dans ce regroupement de gens propres sur eux, intelligents, bien décidés à mener à bien leur projet sans lever le petit doigt pour toute une humanité balayée par ces gueux de l’ONU ou réduite à des projets étrangers fumeux (une fois la communauté lancée dans son projet, il n’y a pratiquement plus de contact avec l’extérieur). Le hasard du tirage au sort n’est qu’une poudre aux yeux, il est trahi par tel ou tel évènement venant encore un peu plus écrémer une sélection qui à vrai dire n’est au bout du compte pas tellement loin du funeste projet évoqué par le Docteur Folamour dans le film de Kubrick (au passage, signalons que Wernher von Braun, ex nazi recruté par la NASA, a servi de consultant… pour les aspects techniques uniquement, mais quand même, ça devait être dit). Et c’est là que le moralisme se fait le plus outrancier.
La famille (autant d’hommes que de femmes), l’âge, le savoir, au final c’est bel et bien sur ces critères que se choisira l’humanité à envoyer batifoler dans un nouveau jardin d’Eden. Entre les sacrifices volontaires, entre ceux qui comme le riche mécène en fauteuil -antipathique dès le début- ne rentreront par dans le cadre très carré des élus parfaits et seront mis sur la touche, entre ceux qui seront sauvés par un hasard bienvenu alors qu’ils étaient prêts en toute dignité à mourir pour ne pas être séparés de leurs proches, Maté et Pal pipent les dés et nous dressent une vision très élitiste de ceux qui survivront. C’est là tout le paradoxe de leur christianisme forcené : les 66 élus sont tous de braves humains, moralement irréprochables, et que l’on est donc censés trouver légitimes à bord de la nouvelle arche (il y a même un gamin des rues, sauvé de la mort et accompagné de son petit chien !). C’est en fait un troupeau docile, mené à bon port par les deux bergers qui derrière la caméra se sont employés à manipuler leur monde en trouvant toujours une bonne excuse pour sauver untel et condamner untel. La scène du décollage trouvera même le moyen de condamner tous ceux qui seront restés au sol et qui jusque là s’étaient avérés d’une docilité sans faille. L’absence totale de minorités, noirs, hispaniques, asiatiques ou que sais-je encore, si on pouvait s’y attendre dans l’Amérique pré-droits civiques (les noirs étaient par exemple globalement ignorés par le cinéma), n’en ressort qu’avec davantage de force. C’est l’ère du “WASP” dans toute sa laideur, et alors que les choses commençaient très lentement à évoluer, Le Choc des mondes, derrière son admirable spectacle, est assez nauséabond par la force avec laquelle il nous inflige ses valeurs réactionnaires. Ah, elle va être belle, la vie sur la planète Zyra…