CinémaScience-Fiction

L’Étrange créature du lac noir – Jack Arnold

etrangecreaturelacnoir

Creature from the Black Lagoon. 1954

Origine : Etats-Unis
Genre : Science-fiction
Réalisation : Jack Arnold
Avec : Richard Carlson, Julie Adams, Richard Denning, Ricou Browning…

Alors qu’il travaille dans une zone sauvage de l’Amazonie, le professeur Maia découvre le squelette d’une main ayant appartenu à un être amphibie. Il y voit le chaînon manquant dans l’évolution humaine, et il n’a pas de mal à persuader des collègues de venir lui prêter un coup de main pour rechercher le reste du squelette et d’autres vestiges essentiels. Nonobstant la mort de deux hommes de mains de Maia, les investigations se poursuivent au fil du fleuve, jusque dans un lagon de l’époque préhistorique. Ils y trouvent mieux qu’un squelette : c’est l’antre d’un véritable homme amphibie préservé de l’évolution. Que faire ? Le chef de l’expédition, Mark (Richard Denning) veut à tout pris ramener la créature, tandis que les autres souhaitent la laisser en paix jusqu’à une future expédition mieux préparée. Pendant que le groupe tergiverse, la créature parvient à couper la sortie du lagon et à assassiner quelques personnes…

C’est en écoutant un ami parler d’une légende sud-américaine sur un homme-poisson censé vivre en Amazonie que l’acteur / producteur / scénariste William Alland a l’idée originale de L’Étrange créature du lac noir. Mais ce n’est qu’une dizaine d’année plus tard qu’il trouvera le moment opportun pour porter ce sujet à l’écran, confiant son ébauche de scénario à quelques scénaristes et à un réalisateur, Jack Arnold, déjà distingué dans le domaine de la science-fiction malgré sa relative inexpérience. C’est que le film se veut ambitieux, disposant d’un budget confortable alloué par la Universal et marchant sur les pas de L’Homme au masque de cire en optant pour une diffusion en trois dimension. Au niveau thématique, la référence est en revanche toute autre et renvoie aux classiques de l’épouvante et de l’aventure à l’ancienne, avec en tête de liste le King Kong de Cooper et Schoedsack, lui-même partiellement influencé par le mythe de la belle et la bête. On retrouve donc dans L’Étrange créature du lac noir l’idée d’expédition dans une contrée sauvage inconnue de la civilisation occidentale, là où les protagonistes vont être confrontés à une créature légendaire pas si méchante qu’il n’y paraît. Tous ces personnages sont clairement définis : il y a le héros, David Reed (Richard Carlson), un athlétique scientifique se fixant pour objectif d’enrichir la connaissance humaine sans pour autant détruire la pureté du monde perdu. Il est soutenu par sa copine Kay (Julie Adams), jolie scientifique distinguée appelée à être une proie de choix dans cet environnement hostile. En face se dresse l’imbuvable Mark, opposé à eux à la fois au plan humain et scientifique par un double manque de scrupules. Son regard envieux sur Kay est à ranger sur un même plan de vilénie que son intérêt purement financier pour la créature devant être capturée “morte ou vive”. Tous les autres personnages jouent les utilités, y compris le découvreur de la créature, ou même la chair à monstre dans le cas des ouvriers autochtones. Ce qui ne nous fait donc que trois vrais protagonistes, qui forment un triangle convenu.

Aujourd’hui un tel schéma serait taxé à raison de conservateur voire de réactionnaire, mais en l’an 1954, c’était encore la norme. On ne peut donc en vouloir à Jack Arnold, pas plus qu’on ne pourrait en vouloir à Cooper et Schoedsack, d’avoir usé de la figure du mâle chevaleresque et de la demoiselle en détresse. Bien que la femme soit ici davantage passive que le personnage incarné naguère par Fay Wray et que la pitié qu’elle montre pour la créature est aussi réduite que celle de son homme, sa faiblesse fait écho à celle du monstre, ce qui logiquement contribue à les rapprocher. Comme Kay, la créature est menacée par Mark et protégée par David. Mais à l’inverse d’elle, elle ne peut compter sur aucune aide concrète. Ce qui explique donc les actes de violence qu’elle commet, réactions légitimes à la peur inspirée par ces intrus, surtout lorsque ceux-ci (Mark, bien entendu) sortent le harpon. Autant que la peur, la créature suscite donc l’empathie. L’une des plus belles scènes du film se déroule d’ailleurs dans l’eau, lorsque la bête contemple la belle en train de nager, se rapprochant d’elle avant de partir, intimidée à l’idée d’être découverte. A l’aide de Julie Adams et de l’interprète de la créature, Arnold filme une véritable chorégraphie poétique prouvant la nature humaine de cet amphibien capable de sentiments face à la notion de beauté. Cette première démonstration sera suivie de plusieurs autres, jusqu’à ce kidnapping inévitable, témoignage ultime d’affection de la part d’un être différent et esseulé au destin forcément tragique. Arnold a recours à un certain lyrisme qui n’aurait pas dépareillé dans les productions Universal des années 30, ce qui fait de son film et de son monstre le descendant logique des créatures de Frankenstein, des momies ou des loups-garous d’antan. Le traitement réservé à la science et à la nature s’inscrit aussi dans la tradition : l’origine de l’humanité est présentée dès l’introduction à grands renforts de déclarations et d’images interrogatives desquelles découlent un fantastique de légende.

Le territoire d’Amazonie, avec toute sa pureté sauvage (cris de singes et forêt dense) et ses légendes indiennes complète cette aura de mystère et donne également un cadre virginal à une créature n’ayant jamais été corrompue par la civilisation. L’inconnu que représentent les origines de la terre et de l’Humanité est aussi fascinant que celui relatif à l’espace, comme le dit un personnage. Ce qui rattache le film à la science-fiction de son époque pour en faire l’idéale transition entre deux époques du cinéma fantastique. Le classicisme (ou plutôt de l’intemporalité) du fond se mêle avec le modernisme de la forme, définie essentiellement par le renoncement à toute forme gothique au profit d’un réalisme et d’une violence plus poussée, sans parler de la 3D originale. L’aspect de la créature, inspiré par deux créatures de légende (le moine de mer et l’évêque de mer), se fait également plus “monstrueux”, et Jack Arnold n’hésite pas à exposer en pleine lumière ce qui n’est qu’un bonhomme (ou plutôt deux, puisque deux interprètes revêtirent le costume, un pour les séquences sur terre, un pour les aquatiques) dans un costume en caoutchouc. Un costume fort réussi au demeurant, et qui acheva de faire de la créature du lac noir l’une des bestioles les plus plébiscitées du cinéma fantastique. Jack Arnold devint au passage l’un des réalisateurs les plus reconnus du genre, et ce n’est que justice.

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