CinémaHorreur

L’Empire de la terreur – Roger Corman

empiredelaterreur

Tales of Terror. 1962

Origine : Etats-Unis 
Genre : Sketchs horrifiques 
Réalisation : Roger Corman 
Avec : Vincent Price, Peter Lorre, Basil Rathbone, Debra Paget…

Troisième volet du cycle Poe, L’Enterré vivant a beau avoir été réalisé avec quelques remplacements dans l’entourage de Corman (à commencer par Vincent Price), il n’en a pas moins fait perdurer le schéma en vigueur depuis La Chute de la maison Usher. Un homme sérieusement atteint, des visiteurs impromptus, et les traumatismes remontent. Conscient de la nécessité d’un renouvellement, Corman reprend les services de Richard Matheson et se lance dans L’Empire de la terreur, un film à sketchs basé sur quatre nouvelles d’Edgar Poe, dont deux (Le Chat noir et La Barrique d’amontillado) sont fusionnées au sein d’une seule et même histoire, celle à laquelle Corman attribue le plus d’importance. Car de toute évidence, le réalisateur ne dispose pas de la même confiance en soi qui le poussait deux ans plus tôt. Adopter cette structure en sketchs lui permet de faire quelques expérimentations allant de pair avec un style plus léger, des histoires -du moins pour deux d’entre elles- moins psychologiques, plus second degré, et qu’on pourra ainsi rattacher à une certaine tradition du film à sketchs horrifique, celle qui a connu son sommet avec le Creepshow de Romero 20 ans plus tard.

Comme la plupart des films de cette mouvance, L’Empire de la terreur dispose d’un fil conducteur, encore qu’il se fasse plutôt ténu. Il ne s’agit pas d’une histoire linéaire, mais plutôt d’intermèdes poético-macabres sous forme d’une narration en voix off (bien entendu effectuée par Vincent Price, la voix la plus plébiscitée dans le monde de l’horreur -et pas qu’au cinéma-) nous parlant en gros de la mort et de ses mystères, reflétés par les différents sketchs. Le tout sur fond de séquences rudimentaires et quelque peu expérimentales… Un cœur qui bat, des gouttes de sang formant une flaque… Tout cela n’a rien de particulier. Il s’agit avant tout de mettre le spectateur dans l’ambiance d’Edgar Poe et de Corman en évitant que cette anthologie ne soit trop “sèche” dans ses enchaînements. Ce n’est du reste pas la seule précaution prise par Corman, qui conclue chaque épisode en une image figée transformée via un fondu en dessin sur lequel s’affiche une citation de Poe. Des dessins qui en outre permettent un vague rattachement de L’Empire de la terreur aux comics horrifiques, procédé qui sera plus tard complétement assumé par George Romero et Stephen King. Mais enfin, avouons le, le fil conducteur se veut discret et n’a pas la volonté de s’ériger lui-même en sketch morcelé. Les trois segments se suffisent amplement à eux-mêmes pour ce qui est de pénétrer l’atmosphère du cycle Poe.

La première histoire, “Morella”, est très certainement la moins intéressante du lot. Et pourquoi donc ? Et bien parce qu’il ne s’agit que d’une redite des trois précédents films du cycle. Nous avons une jeune femme se présentant au château de ses parents, où son père (Vincent Price) vit en veuf solitaire… Ou presque, puisqu’il conserve religieusement dans son lit le cadavre de Morella, son épouse. Suivant l’opinion émise par cette dernière au moment de son décès, il juge que leur fille est responsable de cette mort et se montre donc très froid envers l’arrivante. Cependant il changera d’avis en apprenant qu’elle-même n’en a plus pour longtemps à vivre. Mais l’esprit de Morella n’est hélas pas aussi généreux.

Le genre d’histoire qui s’adapte assez mal à un format de court-métrage. En une demie-heure, difficile de poser et de résoudre un mystère donné tout en faisant monter la tension jusqu’à l’inévitable écroulement final. C’est ce que Corman a tenté, avec pour résultat de faire de ce sketch une sorte de version accélérée de ses trois précédents films. Tout va beaucoup trop vite, à l’image du brusque revirement opéré chez ce châtelain qui passe en un clin d’œil de l’hostilité la plus sèche au paternalisme le plus envahissant. C’est du reste à ce moment précis que “Morella” vire à l’aigre. Jusqu’ici nous assistions à une prometteuse confrontation entre une jeune femme fougueuse et un aristocrate impitoyable au milieu d’un château envahit de toiles d’araignées, de poussière, et gagné par la perversion de cette adoration portée à un cadavre pourrissant dans ses draps (même s’il faut bien convenir que, 20 ans après le décès, le cadavre reste bien conservé). Mais à partir de la réconciliation, les deux fortes personnalités se ramollissent et même le cadavre cesse d’être dérangeant… tout simplement parce qu’il cesse de n’être qu’un cadavre, alors que c’était justement ce qui rendait sa présence si dérangeante. En partant d’un effet spécial rudimentaire -une simple surimpression fantomatique- l’esprit de Morella fait des siennes, rompant ainsi avec la tradition des trois premiers films qui restaient toujours ambigus sur l’influence ou non du surnaturel. En un quart d’heure, il provoque plusieurs rebondissements qui, loin de torturer Vincent Price comme le faisaient ceux de La Chambre des tortures, sont utilisés dans le simple but de placer des effets chocs. Cela va à l’encontre du traitement psychologique de l’épouvante auquel avait recourt Corman dans ses précédents films, et réduit ce sketch au vaudeville horrifique. Ce qui en soit n’est pas forcément une mauvaise chose –Creepshow et les EC Comics jouent sur le même registre- mais on ne peut s’empêcher de penser qu’il s’agit surtout d’une solution de facilité pour conclure un épisode qui partait sur des bases trop exigeantes et qui s’est retrouvé pris au dépourvu par les nécessités de temps.

Ce n’est véritablement qu’avec le second sketch que Corman assume tout à fait son grand retour dans l’humour noir qu’il avait si bien su utilisé dans La Petite boutique des horreurs et Bucket of Blood. La transposition de ce genre d’humour dans le cycle Poe avait de quoi l’inspirer, et il s’y frotte ici avec un minimalisme qui n’est pas sans le rapprocher davantage de ces deux films que du Corbeau, prochain film du cycle, bien moins modeste -et moins drôle, m’est avis-. Tout repose en effet sur les personnages, et n’eut été pour le final et pour quelques hallucinations vécues par le personnage principal, il n’y aurait guère eut de lien avec Edgar Poe (les deux histoires utilisées sont allégrement trahies… il ne pouvait en être autrement puisqu’elles sont mélangées pour ne faire qu’une).

Montresor (Peter Lorre) est un ivrogne, doublé d’un tyran domestique. Chaque soir, il se querelle en effet avec sa femme pour obtenir le pécule du ménage, qu’il s’empresse d’avaler au pub du coin. Un soir, privé de liquidités, il s’invite à une réunion œnologique et y défie Fortunato Luchresi (Vincent Price), roi incontesté de la dégustation. Tout en étant ivre mort, Montresor fait jeu égal avec le maître et ce dernier se sent obligé de le ramener chez lui. Il y fait connaissance avec l’épouse malheureuse, et Montresor est bientôt cocufié. Sa réaction sera radicale.

Si le célèbre duel entre Price et Lorre se termine par un match nul, leur opposition cinématographique se termine par l’incontestable “victoire” de Peter Lorre. Il est vrai qu’il incarne le personnage principal, et qu’à ce titre on ne pouvait guère s’attendre à autre chose. Mais là où Price se contente d’exagérer les mimiques des goûteurs de vins (et on sait à quel point il aime l’exagération), Lorre a recourt à l’auto-dérision pour illustrer l’image que son physique impose de lui. Si exagération il y a, elle réside non dans son jeu, mais dans son aspect : un petit gros (une barrique, presque), rougeaud, les yeux exorbités, méchant comme la galle… Le type de méchant qu’on prend en pitié. Car on sait dès le départ que cet individu est voué à échouer dans tout ce qu’il entreprend, et les désillusions qu’il connait le renvoient à sa condition de poissard. Ainsi en une demie heure il se fait mener en bateau par sa femme (pourtant une blonde ingénue tout ce qu’il y a de plus cruche), par le très fat Fortunato, par un barman, et bien entendu par le chat noir. Sans compter ses hallucinations qui elles aussi se moquent en permanence de lui. Même les morts s’y mettent ! Corman a recourt à un humour d’acharnement pour lequel Peter Lorre use de son talent afin d’être traîné plus bas que terre. Voici un rôle que peu d’acteurs aurait accepté, et Corman sait exploiter la chance qu’il a de disposer de Peter Lorre.

Dernier sketch, “La Vérité sur le cas de M. Valdemar”, revient à du Poe plus classique. En revanche, Corman s’y démarque des récits de type “Morella” et annonce en quelque sorte Le Masque de la mort rouge via l’histoire d’un homme qui méprise la mort (ce qui est le contraire d’un Roderick Usher, qui s’y soumet entièrement au point de lui consacrer son existence).
Mr. Valdemar (Vincent Price) est condamné. Il le sait, l’accepte paisiblement et ne demande qu’à éviter la souffrance. Son vœu est exaucé par le Dr. Carmichael (Basil Rathbone), spécialiste du mesmérisme et de l’hypnotisme. En échange, ce dernier ne demande qu’une faveur : qu’il puisse pratiquer une dernière hypnose lorsque Valdemar sera à l’article de la mort. Malgré les réticences de son médecin et ami le Dr. James, aux méthodes plus conventionnelles, Valdemar accepte. Lorsque le trépas est proche, Carmichael se met donc à l’ouvrage. Son but est de retenir prisonnier l’esprit de son client et de ne le libérer que lorsqu’il aura obtenu ce qu’il veut, à savoir Helene (Debra Paget), la femme de Valdemar, qui avec l’accord de ce dernier devait se remarier au Dr. James.

Voici un récit d’oppression psychologique où pour une fois, ce sont les vivants qui dérangent les morts. Ou tout du moins un vivant : le Dr. Carmichael, joué avec une froideur extrême par Basil Rathbone, qui entretient une certaine ressemblance physique avec Edgar Poe lui-même. Cette fois, ce n’est plus un méchant “pour rire” comme dans le sketch précédent : en séquestrant l’esprit d’un mort et en le soumettant au chantage, son personnage va loin dans la cruauté psychologique. C’est là-dessus qu’insiste Roger Corman. L’existence d’une vie après la mort étant déjà en soi assez dérangeante, que penser d’une vie post-mortem enchaînée à notre monde pour servir des intérêts aussi bas que ceux de l’hypnotiste ? Le souffle d’outre-tombe avec lequel s’exprime l’esprit de Valdemar ainsi que le peu qu’il dit de là où il se trouve sont éloquents. “La Vérité sur le cas de M. Valdemar” n’est certainement pas un récit d’action, et son impact porte surtout sur une psychologie de la cruauté, une sorte de sadisme mental et spirituel. L’introduction prenant déjà pas mal de temps, il n’y a guère de développement scénaristique sur le sujet. C’est pour cela que la forme en sketch se révèle adaptée : en faisant reposer son histoire sur un simple postulat renvoyant le spectateur à l’inconnu de la mort, Corman cherche surtout à titiller l’imagination sur des questions métaphysiques. Une fois que cela est fait, il ne reste plus qu’à conclure, ce que le réalisateur fait en poussant jusqu’au bout la cruauté de Carmichael et en lui répondant par un dénouement plutôt gore (quoique l’effet de maquillage ne soit pas terrible) dont l’un des mérites est d’avoir recours à un spécimen de zombie pré-Romero. Quoiqu’il ne s’agisse dans le fond que d’un exercice d’écriture préfigurant Le Masque de la mort rouge, et qu’il délaisse quelque peu l’aspect esthétique pour lequel le réalisateur excelle (il n’y à guère que le défilé de couleur de la machine à hypnotiser pour lui donner un certain cachet) “La Vérité sur le cas de M. Valdemar” ne doit pas être sous-estimé au sein du cycle Poe. L’Empire de la terreur non plus, d’ailleurs : il s’agit clairement d’une transition entre une conception dont on a fait le tour et deux autres qui s’annoncent, l’humoristique et la sanguinaire. Tout comme les Dracula de la Hammer, le cycle Poe ne peut être considéré comme un tout immuable. En revanche, il bénéficie d’une vraie vision de cinéaste en pleine évolution, ce dont la Hammer n’a pas pu ou su bénéficier en changeant régulièrement de maître d’œuvre.

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