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Batman, le défi – Tim Burton

batmanreturns

Batman Returns. 1992

Origine : États-Unis
Genre : Super-héros
Réalisation : Tim Burton
Avec : Michael Keaton, Michelle Pfeiffer, Danny DeVito, Christopher Walken…

Coup classique : après un gigantesque succès commercial, une major Hollywoodienne (en l’occurrence la Warner) cherche à produire une séquelle dans la foulée, pour profiter de l’aura du premier film, qui en ce qui concerne Batman fut rappelons-le une véritable propagande assénée à coup de babioles dérivées. Le mieux pour le studio, dans ce cas de figure, est de ne pas prendre de risque et de ne rien changer à ce qui a fait la réussite du premier film. Le réalisateur doit si possible être le même, tout comme les acteurs. Mais pour Batman, le défi, le problème fut que le réalisateur du premier volet, Tim Burton, s’était montré plutôt mécontent de sa collaboration avec la Warner en 1989, et qu’il ne fut guère chaud pour reprendre les rênes d’une séquelle à son propre film sans avoir l’assurance, cette fois-ci, d’être libre de faire ce qui lui plaisait. Il finit par avoir gain de cause, et effectivement, avec l’aide de Daniel Waters (Fatal Games, puis plus tard Demolition Man), il commença par modifier le script de Sam Hamm, qui devait à l’origine être la suite immédiate du premier Batman. Burton, de toute façon guère convaincu par le scénario du premier film, opta donc pour une intrigue beaucoup plus complexe, et beaucoup plus personnelle. Avant-même de s’intéresser à l’intrigue, on peut constater que le réalisateur a remodelé Gotham City en fonction de ses propres critères esthétiques. La ville est sous la neige, l’histoire se déroule en période des fêtes et la présence du décorum habituel de cette période ainsi que de la présence recurrente du gang du cirque mélangera des couleurs très vives à la noirceur de Gotham, dans un style qui n’est pas sans évoquer L’Etrange Noël de monsieur Jack, réalisé l’année suivante. Les décors sont eux-même encore plus fouillés que ceux du premier film, qui pourtant étaient déjà monstrueux. Burton s’inspire ici plus que jamais du cinéma expressioniste allemand, du Metropolis de Fritz Lang au Nosferatu de Murnau (l’un des personnages centraux du film, Max Shreck, porte d’ailleurs le nom de l’acteur ayant incarné le vampire de 1922), mais aussi des architectures monumentales et surhumaines de la première moitié du vingtième siècle, celles de l’Allemagne hitlérienne et de l’Union Soviétique stalinienne. Les buildings, et principalement ceux du forum de Gotham sont monstrueux et écrasent véritablement la population, comme en témoignent ces deux gigantesques statues au milieu desquelles se tiennent les principales manifestations de la ville. Avec un tel décor, toujours plongé dans la nuit, Burton peut donc se sentir totalement en terrain connu, et livrer le film qu’il désire.

Exit donc la fadasse Vicky Vale, très gros point faible du premier film. Burton intègre deux nouveaux «méchants» issus du comic : le Pingouin (Danny DeVito, après que Marlon Brando ait été considéré) et Catwoman (Michelle Pfeiffer, prenant la place de plein de monde, dont une Sean Young qui, vexée, fit de nouveau un scandale dans les locaux de la Warner). Deux personnages très complexes auxquels s’ajoute Max Schrek (Christopher Walken), le mécène de Gotham, qui est à 100% neuf et qui n’est jamais apparu dans aucun comic. Batman, quant à lui, intéresse toujours aussi peu Burton, qui préfère se concentrer sur ses trois méchants, qui d’ailleurs ne seront pas forcément aussi méchants que cela. Car le réalisateur, fidèle a ses principes, ne fait pas des deux méchants de véritables monstres. Les destinées ayant amené le Pingouin et Catwoman à agir comme ils le font (et, déjà, leurs intentions divergent) sont différentes. C’est ainsi que dans l’introduction, Burton nous laisse deviner un Pingouin bébé, monstreux, qui bouffe le chat et qui est enfermé dans son landeau à barreaux (ce qui n’est pas décrit sans un certain humour) par des parents issus de la haute-bourgeoisie. Ceux-là même qui vont balancer leur moutard difforme dans la rivière, d’où, tel un Moïse moderne, il sera amené dans les égouts, où il trouvera refuge auprès des pingouins de cette ville extrêmement froide. Il nous sera par la suite également suggéré que la jeunesse du Pingouin s’effectua non seulement dans les sous-terrains, mais aussi en plein air, au contact de gens du cirque. Des gens difformes également, spécialisés dans le crime sous le nom associatif du «Triangle Rouge», et que le Pingouin continue toujours à dominer. Mais lorsque le film démarre, le Pingouin cherche à s’échapper de cette vie dans les égoûts, et il compte bien revenir à Gotham pour retrouver sa véritable identité, connaître son vrai nom, retrouver qui étaient ses parents, et surtout, profiter d’une vie de plaisirs qu’il n’a pas pu avoir (les filles, notamment). C’est là qu’interviendra Max Shreck, qui lui proposera un marché : le Pingouin, redevenu Oswald Cobblepot, citoyen respectable, après un habile scénario orchesté par le magnat de l’industrie, acceptera de se présenter comme maire de Gotham pour que Shreck puisse enfin implanter sa centrale éléctrique que lui refuse l’actuel maire, soutenu par un autre ponte de la finance nommé Bruce Wayne. En se laissant ainsi manipuler, le Pingouin a quitté le monde des égoûts pour le monde du crime et de la politique corrompue, et ce n’est d’ailleurs pas un hasard si avant même sa première sortie «officielle» des égouts, le gros Cobblepot sera pris en charge par Shreck. Dès lors, les ambitions du Pingouin, sa volonté de redevenir un être normal et de ne plus apparaître comme un monstre seront guidées par le véritable dirigeant de cette citée corrompue vers le monde du crime et du mensonge.

Le cas de Catwoman est similaire tout en étant différent : au début du film elle n’existe pas, elle est Selina Kyle, la secrétaire brimée de Max Shreck à la vie privée monotone, voire déprimante. Elle vit seule avec son chat dans un appartement arrangé à la façon «maison de poupée», chose assez pathétique puisqu’elle n’a pas de prince charmant, pas de mari, et que sa mère, omniprésente, vient lui rappeler systématiquement au téléphone son manque de vie. Elle n’a que son travail, dans lequel elle se fait durement remettre à sa place par son patron. Après qu’elle eut découvert les véritables motivations peu louables de la future centrale électrique, Shreck tentera de l’assassiner en la balançant d’une fenêtre. Mais la chute de Selina sera amortie par des auvents à tête de chat, et une fois au sol, la jeune femme sera réanimée par des chats de goutière, qui vont la transformer en «Catwoman» : revêtant un costume de cuir au larges connotations sado-masochistes (d’autant plus que son arme privilégiée est un fouet), elle n’aura qu’une idée en tête : faire payer Shreck et tous les hommes sur son chemin, sans pour autant totalement abandonner son identité de Selina Kyle, distincte de celle, bestiale, de Catwoman.

Tant le Pingouin que Catwoman ont donc le même dénominateur commun : Max Shreck. En apparence le seul vrai humain du trio. Mais c’est pourtant lui le véritable méchant du film. Sans lui, le Pingouin aurait très bien pû s’en tenir à sa volonté de cesser d’être un monstre et Selina Kyle ne serait jamais devenue Catwoman. Bien plus qu’à eux deux, il fait en réalité du mal à toute la ville : avec un cynisme exacerbé, il se présente comme le mécène de Gotham, comme son «Père Noël», mais en réalité il en est l’âme viciée. A l’origine de tous les mauvais coups, il commande le crime (aux membres du Triangle Rouge, en manipulant le Pingouin) et, comme son nom et son projet de centrale éléctrique l’indique, il a tout du vampire qui essaie de sucer la vie de sa victime, ici la ville entière. Burton se révèle aussi assez politique, pour le coup, puisqu’il démontre que ce grand industriel, ce capitaliste à la limite du stéréotype, tire les véritables ficelles de la communauté. Le poste du maire est tributaire du bon vouloir de Shreck, qui tenter d’imposer à sa place le Pingouin, malgré le fait que Gotham ne soit absolument pas en période éléctorale. Il innondera donc le peuple d’une large dose de mensonges, imputant au présent maire la responsabilité de la criminalité en ville. Mettant une nouvelle fois en scène un autre scénario, il arrivera à faire croire à la population que la criminalité est dûe au protecteur de Gotham désigné par le maire : Batman.

Nous y voilà enfin, à Batman. Burton s’en est moqué éperduement durant une bonne partie du film, le cantonnant à quelques virées punitives et à son manoir, où le Chevalier Noir reste Bruce Wayne, milliardaire taciturne observant méticuleusement la situation de la ville. On sent que Batman en tant que tel n’intéresse pas le réalisateur : Batman se fond dans le décor de Gotham, il est apprécié des gens, et il n’est plus un monstre effrayant comme peuvent l’être le Pingouin et Catwoman. Mais les accusations de Shreck vont le forcer à sortir de sa tanière pour rétablir l’ordre. C’est là que Burton va passer à la vitesse supérieure. Là où un réalisateur hollywoodien classique (prenons, au hasard le plus fortuit, Joel Schumacher) aurait envoyé Batman casser du méchant, Burton va jouer la carte de l’analyse croisée entre ses différents personnages masqués. Le Pingouin fait assurément parti de ceux-ci : son côté humain est masqué non seulement par son physique difforme, mais aussi par l’image que l’a incité à prendre Max Shreck. Ce dernier lui-même peut apparaître d’une certaine façon masqué, puisque ses déclarations et ses vraies opinions sont opposées. Quant aux deux autres, Batman et Catwoman, ils sont littéralement masqués : leur personnalité civile se trouve altérée par leur personnalité costumée, et tout deux développent une schyzophrénie profonde, qui les rend malade et contribue un peu plus à les isoler du monde. Un jeu amoureux se développera entre eux, qui sont à la fois ennemis (lorsqu’ils portent leur masque) et amis : Bruce Wayne et Selina Kyle commenceront une liaison vouée à l’échec. Ils devineront respectivement la double identité de l’autre, et ils partageront ensemble leurs tourments et leur maladie de schyzophrénie dans une superbe scène dans laquelle Bruce et Selina sont ironiquement les deux seuls invités d’un bal masqué à ne pas être masqués. C’est là qu’apparaîtra vraiment le degré de leur maladie : ils ne peuvent plus se séparer de leur double identité, celle-ci a pris le contrôle de leur vie et les empêche d’être libres. Dramatiquement, c’est d’autant plus superbe que cette période de trouble et de passion entre ces deux personnages coïncidera avec la désillusion d’un Pingouin qui après avoir cru devenir respectable sera de nouveau porté au pilori suite à une manigance commanditée par Shreck et mise en lumière quelques temps auparavant par Batman. Abandonné par la population aussi bien que par Shreck, il cherchera à se venger en s’en prenant aux enfants des notables de la ville (conséquence du drame vécu dans sa propre petite-enfance) et finira par vouloir lui-même redevenir un monstre, abandonnant son nom de Oswald Cobblepot pour redevenir le Pingouin. Tout ça séparera encore une fois Bruce/Batman de Selina/Catwoman, et viendra alors le final du film, qui ne cédera pas non plus à la facilité, puisque l’enjeu que se fixe Burton n’est assurément toujours pas de verser dans le spectaculaire mais de continuer à illustrer la situation psychologique de ses personnages, qui auront à faire des choix en fonction de leur libre arbitre, et donc de l’aspect de leur personnalité qui se révèlera le plus fort.

Nous ne sommes donc pas là en présence d’un Batman quelconque. Nous sommes non seulement à mille lieux du Batman fantaisiste du film des années 60, mais nous sommes aussi très loin du comic (principalement au niveau esthétique, car le côté pathologique de la schyzophrénie fut déjà exploité, même si de façon différente) et du premier film, qui n’anticipait que très vaguement ce que Burton fit dans ce Batman, le défi. Le film est indissociable des préoccupations de son auteur, et celui-ci était alors dans la meilleure époque de carrière, qui était alors pourtant encore jeune. Son propos est maîtrisé, fascinant, et Burton évoque son attirance pour les marginaux, bien souvent conduits à la marginalité à cause du conformiste social, qui ici s’appuie en outre sur la corruption d’un système incarné par un personnage a prirori tout ce qu’il y a de plus respectable, un homme d’affaire soi-disant humaniste. Les réalités sont trompeuses et la dualité entre la part d’humanité et la part de monstruosité prête à une lutte très âpre, que le réalisateur a le courage de décrire comme perdue d’avance. Plutôt pessimiste, son film met en avant des névrosés, des schyzophrènes, des gens aux traumatismes envahissants qui les poussent à s’aliéner d’un monde qui ne va pas au-delà des apparences. Ce n’est pas pour rien que l’on assiste à la naissance des différents «freaks» du film : ce sont elles qui constituent les bases de toute la reflexion burtonnienne. Le réalisateur est aidé en cela par la musique d’un Danny Elfman qui, tout comme le réalisateur, livra ici ce qui est peut-être le meilleur travail de sa carrière. On a également souvent critiqué la mise en scène de Burton, principalement pour les scènes d’action. Mais celles-ci, en plus d’être plutôt rares, ne sont pas construites dans le but d’être spectaculaires : elles illustrent à chaque fois les luttes plus douloureuses mentalement que physiquement (Batman contre Catwoman sur le toit, ou encore l’opposition finale, incluant aussi bien Batman que Catwoman, le Pingouin et Shreck). La majeure partie du temps, la mise en scène se révèle très fluide, témoin ce tortueux plan séquence au-dessus du zoo servant de repère au Pingouin, véritablement magnifique. Qui d’autre aurait pu se permettre de filmer une armée de pingouins munis de bombes sur leur dos en train d’envahir une ville ? Ou encore ces mêmes pingouins tenant une assemblée dans un amphithéâtre des égoûts ? Le style de Burton, visuel, thématique et technique, culmine avec ce film. Ironiquement, la meilleure adaptation cinéma d’un comic n’a pas grand chose à voir avec le comic de départ. Batman, le défi ne connut pas le succès escompté, et Burton fut remplacé par Joel Schumacher, qui en un sens conçut également deux adaptations personnelles… Calamiteuses. Ce qui, avec l’échec artistique d’une adaptation cette fois très scrupuleuse sur le matériau de départ (Batman Begins) contribue à démontrer que la réussite d’une adaptation de comic ne se réussit non pas en fonction de la liberté ou de la fidelité, mais en fonction d’un réalisateur avec des idées.

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