CinémaHorreur

La Chute de la maison Usher – Roger Corman

 

chutedelamaisonusher

House of Usher. 1960

Origine : Etats-Unis
Genre : Épouvante
Réalisation : Roger Corman
Avec : Vincent Price, Mark Damon, Myrna Fahey, Harry Ellerbe…

Toujours en affaires avec Jim Nicholson et Sam Arkoff, les patrons de l’American International Pictures, Roger Corman décida un beau jour de refuser leur offre. Ils voulaient deux films d’horreur en noir et blanc avec un budget de 100 000 dollars chacun. La routine commençait à gagner le bon Roger, qui leur proposa plutôt de mettre 200 000 dollars sur un seul et même film, qui serait en couleurs et qui bénéficierait d’un temps de tournage de trois semaines. Depuis peu fasciné par Freud et par la psychologie en général, amateur depuis l’enfance des écrits d’Edgar Poe, Corman proposa donc une adaptation toute personnelle de La Chute de la maison Usher. Bien qu’ils auraient préféré un classique film de monstre, bien qu’ils émirent des doutes quant à la volonté du jeune public de voir un film adapté d’un écrivain avec lequel leurs professeurs les serinaient, ils finirent par accepter le marché. Ils lui accordèrent même une rallonge budgétaire en échange d’une économie de temps passé sur le tournage, réduit à deux semaines. Désormais nanti comme il ne l’avait jamais été (c’est même à l’époque le plus gros budget jamais lâché par l’AIP), Corman confia l’écriture du scénario au célèbre Richard Matheson, lui aussi réceptif aux éléments psychologiques des œuvres d’Edgar Poe. Il put également engager l’acteur qu’il avait en tête pour le rôle principal : Vincent Price. Et enfin, son directeur artistique Dan Haller eut la lourde tâche d’aller faire des emplettes chez la Universal pour acheter des décors inutilisés. Étape cruciale s’il en était, puisque ces décors étaient appelés à être réutilisés dans la plupart des sept autres films du cycle Poe, qui tous sans exception reposent en grande partie sur leur esthétique. Voilà comment Roger Corman et sa troupe relancèrent le cinéma gothique américain face aux rudes concurrents britanniques (la Hammer, l’Amicus) et bientôt italiens (Bava, et dans une moindre mesure Freda, Margheriti…).

Venu tout droit de Boston, Philip Winthrop (Mark Damon) se rend au château de la famille Usher pour demander la main de sa bien aimée Madeline (Myrna Fahey). Il est reçu à contrecœur par le frère de Madeline, Roderick (Vincent Price), qui lui fait part de son opposition non seulement au mariage, mais aussi au départ de Madeline du château. Selon lui, les Usher sont une lignée maudite, de santé très précaire, appelée à s’éteindre prochainement. Lui-même et Madeline souffrent d’une exacerbation des sens empirant avec l’âge qui les rend incapables de vivre en dehors du cocon de leur château délabré. Winthrop reste sceptique et refuse de quitter la maison Usher sans Madeline. Il lui faut la convaincre et réussir à la sortir de l’influence de son frère.

Difficile de croire qu’à peine deux ans plus tôt, Roger Corman en était encore à La Femme guêpe, à She Gods of Shark Reef et autres Teenage Cave Man. Des films pas forcément mauvais, et qui pour certains reposaient même sur un fond psychologique, mais en tout cas rien de comparable avec la mutation opérée subitement avec La Chute de la maison Usher. Alors qu’il avait commencé sa carrière en prenant un train en marche, celui des modes de sa décennie, Corman démontre dès l’inauguration du cycle Poe qu’il est plus qu’un habile faiseur et qu’il dispose d’une vraie vision du cinéma, à la fois sur les plans créatifs, techniques ou commerciaux. Il entame alors son pic de créativité qui couvrira toutes les années 60 ainsi que le début des années 70, aux débuts de l’aventure New World. Bien que sa réputation soit désormais faite et que l’on ne l’imagine plus guère que comme un opportuniste radin doté d’un flair inégalé, il fut aussi et surtout cet avant-gardiste populaire ayant contribué à exploser les conventions cinématographiques et les bonnes manières héritées du Code Hayes et de l’âge d’or hollywoodien. A l’heure de La Chute de la maison Usher, il se lance plus ou moins dans l’inconnu, avec une audace qui pour le coup entrait en contradiction avec l’image de plagieur qu’il s’est forgée au fil du temps. Son adaptation reposait en effet sur une singularité non négligeable : aucun monstre à l’horizon ! Du moins pas de monstre défiguré ou outrageusement sadique. Ce qui est en total décalage avec ce que l’horreur américaine faisait en masse à cette époque. Même la Hammer, qui à l’époque était certainement ce qui se faisait de mieux dans le monde de l’horreur sur la planète, avait recours à Dracula ou autres créatures de Frankenstein. Corman revient vraiment aux racines du gothique et reprend l’esprit tordu d’Edgar Poe, répercuté dans le personnage torturé de Roderick Usher. Un méchant qui, loin d’être agressif, surprend au contraire par sa faiblesse. Il se dit proche de la folie et du trépas. Avec ses sens surdéveloppés, chaque bruit, chaque éclat de voix, chaque aliment un peu trop fort, seraient pour lui un supplice. C’est pourquoi il impose au château un silence de mort. Avec son environnement dévasté, avec sa façade fissurée (il s’agit d’un matte painting), le château est lui-même le prolongement de l’esprit de Roderick Usher. Ses intérieurs se différencient à la fois du gothique anglais, tout en ruines biscornues, et de l’italien, baroque et (par définition, lorsqu’il n’est pas en noir et blanc) coloré. C’est une ambiance feutrée, macabre plus que sinistre, évoquant l’intimité d’un salon mortuaire. Usher fait également part de sa conviction sur la malédiction dont souffre sa famille. Derniers nés d’une lignée de bandits, de tueurs, de voleurs et de violeurs, tous représentés dans une galerie de portraits effrayants à la Edvard Munch, lui et Madeline seraient condamnés à payer dans la solitude et le remords, ce qui expliquerait leur situation actuelle.

L’originalité de ce personnage tient au fait qu’à l’inverse de ce qui est généralement de mise, il ne représente pas un danger en lui-même. Le côtoyer, c’est déjà avoir été vaincu. Car la maison Usher représente le tombeau (d’ailleurs le cercueil de Madeline, et très probablement le sien, sont déjà prêts dans la crypte), y pénétrer revient à s’ensevelir et Roderick Usher est ce que l’on pourrait appeler un “vivant-mort”. L’homme est clairement fou à lier, terrassé par l’histoire de sa famille et la décrépitude de son lieu d’habitation. Mais ce n’est pas un fou furieux et encore moins un monstre. Il croit véritablement en cette malédiction, et c’est la force de cette foi s’exprimant par une théâtralité et un charisme indéniables qui contamine l’atmosphère et réussit à hypnotiser Madeline, le valet Bristol (Harry Ellerbe)… et le spectateur. Vincent Price est parfait dans ce rôle. Sa présence travaillée par un look sophistiqué, le ton suave de sa voix et son aptitude à la déclamation restent légendaires et font de lui l’égal d’un Boris Karloff ou d’un Peter Cushing. Son Roderick Usher éclipse tout le reste du casting, et ce n’est pas qu’une façon de parler, puisque l’emprise macabre du châtelain est telle qu’elle enlève toute volonté, donc toute sensation d’exister à ses proches. Bien qu’à vrai dire on ne se lasse pas de voir jouer Price, le sujet du film est tout de même l’évasion que va tenter d’organiser Philip Winthrop, de plus en plus convaincu que le mal qui ronge Madeline n’est pas une malédiction mais bien la personnalité de son frère. Venant de l’extérieur, Winthrop n’est pas encore affecté par la déprime et la sinistrose inhérente à la vie auprès des Usher. Son arrivée est synonyme d’agitation et de vie. Mais comment persuader Madeline, alors que son frère use également de son rayonnement pour la garder à domicile et empêcher la malédiction de se perpétuer et de se répandre par une éventuelle progéniture ? Cette lutte d’influence semble déséquilibrée et nous vaut un épisode typique de l’imagination d’Edgar Poe, que vous pouvez aisément deviner en regardant l’affiche du film. Mais le plus élaboré intervient vers la fin, et c’est très certainement là que Corman s’est le plus approprié l’histoire de l’auteur. Car plutôt que son opposition physique, lui qui est presque à l’agonie, Usher met en avant son esprit. Ou du moins, puisque le château reflète sa psyché tourmentée, l’errance de Winthrop dans les dédales de la bâtisse (à ce stade vacillante comme l’est Usher lui-même) équivaut à se perdre dans les méandres de l’esprit de Roderick pour retrouver une Madeline elle-même modelée par le stade critique atteint par son frère. Winthrop vit le cauchemar qu’il avait eu plus tôt, et qui sous la caméra de Corman avait pris un aspect irréel précurseur des hallucinations de The Trip. Nous sommes alors dans le no man’s land entre la réalité et le fantasme, et le rythme du film, jusqu’ici lancinant, adapté à la nature de Roderick, s’emballe en annonçant un dénouement retentissant, tellement inéluctable qu’il donne son titre au film : La Chute de la maison Usher. Pas de happy end dans ce grandiose poème macabre qui laisse même ouverte la porte de l’imaginaire : et si Roderick Usher avait finalement eu raison sur toute la ligne ?

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.