Frankenstein créa la femme – Terence Fisher
Frankenstein Created Woman. 1967.Origine : Royaume-Uni
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Toujours pris par ses recherches et expérimentations, le baron Victor Frankenstein sévit désormais à Karlsbad dans la demeure du docteur Hertz qu’il a prestement désigné comme son collaborateur. Il travaille désormais sur l’âme et le moyen de la conserver après la mort physique de son propriétaire. Suite à une expérience couronnée de succès et porté par la joie communicative du docteur Hertz, Frankenstein consent à fêter ça. Hors de question cependant de trinquer avec l’infâme tord boyau dont abuse son acolyte. Les deux hommes envoient donc Hans, leur assistant, aller quérir une bouteille de champagne à l’auberge du coin . Le jeune homme ne se fait d’autant pas prier qu’il est amoureux de la fille de l’aubergiste, en dépit de sa difformité. Sur place, trois jeunes oisifs débarquent avec la ferme intention de boire à l’œil et de se payer la tête de la malheureuse Christina. Hans voit rouge et rosse les impudents jusqu’à ce que la police intervienne. Plus tard dans la nuit, alors que Christina et Hans consomment leur amour, les trois copains retournent s’enivrer à l’auberge en l’absence de son propriétaire. Lorsque celui-ci revient inopinément, ils le tuent. Pour la police qui découvre le corps le lendemain, l’identité de l’assassin ne fait aucun doute. Il ne peut s’agir que de Hans. Ce dernier refusant de dire où il a passé la nuit, il est condamné à l’échafaud en dépit des témoignages favorables des docteurs Hertz et Frankenstein. Témoin de son exécution, Christina, folle de douleur, se jette dans la rivière et se noie. Victor Frankenstein saisit alors l’aubaine qui s’offre à lui pour mettre en pratique ses théories. Tout d’abord isoler l’âme de Hans puis, après avoir “réparé” le corps de Christina, lui transférer l’âme de son amour perdu. L’opération réussit. Sauf que sous l’influence de l’esprit de Hans, Christina va se lancer dans une odyssée vengeresse au grand dam du baron.
Depuis La Revanche de Frankenstein, Terence Fisher n’a pas chômé. Figure de proue incontestable de la Hammer, il a poursuivi son entreprise de dépoussiérage des grands thèmes et mythes du fantastique à un rythme soutenu. Il n’eut donc guère le temps de s’appesantir sur son éviction des destinées du baron Victor Frankenstein au profit de Freddie Francis, occupé à mettre la dernière main à La Gorgone. Mais il était dit qu’il ne pouvait rester bien longtemps éloigné du personnage autour duquel il a défini le style du studio. Après Dracula, prince des ténèbres, suite tardive de son Cauchemar de Dracula, Terence Fisher ajoute un nouvel épisode à la série des Frankenstein. Au scénario, Jimmy Sangster cède sa place à John Elder, pseudonyme derrière lequel se cache nul autre que Anthony Hinds, producteur entre autres des trois premiers films, et qui était déjà derrière le scénario de L’Empreinte de Frankenstein. A la faveur d’un détail – la difficulté de Victor Frankenstein à se servir de ses mains pour exercer son métier, lesquelles restent gantées la majorité du temps – Frankenstein créa la femme semble emboîter directement le pas à son prédécesseur, où le baron se trouvait à la merci de son château en flammes, en dépit de sa nature particulière puisque formant en quelque sorte un film autonome. Néanmoins, par la prédominance de l’échafaud autour duquel tous les personnages convergent, et la première apparition du baron, Frankenstein créa la femme rappelle à quel point Victor Frankenstein revient de loin. Condamné à mort, ne réchappant au couperet de la guillotine que par ses manigances pour finalement être lapidé par ses patients, il n’avait dû son salut qu’à son génie et au dévouement de son assistant. A vouloir ainsi jouer avec la vie et la mort sans grandes considérations ni pour son prochain, ni pour lui-même, il se condamne à une existence marginale qui, si elle convient au misanthrope qui sommeille en lui, nuit considérablement à son travail. A se prendre pour l’égal de Dieu, il en oublie de se pencher sur son prochain. Il en résulte une totale incapacité à saisir tous les méandres de la psychologie humaine, source de ses nombreux échecs.
Sous l’impulsion de John Elder/Anthony Hinds, le baron se montre ici nettement moins antipathique qu’il ne l’était dans La Revanche de Frankenstein. Il apparaît certes cassant et froid dans l’exercice de sa “profession” mais révèle des bribes d’humanité à des moments clés. Il a appris de ses précédents échecs. S’il a toujours besoin de cadavres pour ses recherches, il sait désormais attendre le moment propice, la providence se chargeant elle-même de les lui apporter sur un plateau. Plus parlant encore, son engagement désormais total à sa cause. Il n’hésite plus à expérimenter lui-même ses théories, au risque d’y laisser la vie. Une façon discrète de relier le personnage à ce qu’il était à la fin du deuxième film, sans non plus s’appesantir sur ce point. Il demeure néanmoins égal à lui-même dans son rapport aux autres, son assistant au premier chef. Plombé par sa réputation d’adepte de la sorcellerie, Victor Frankenstein ne peut toujours pas espérer la reconnaissance du monde scientifique après laquelle il court. Il est contraint à l’autocongratulation, laquelle s’effectue au détriment du pauvre docteur Hertz qu’il traite d’idiot, reprenant ensuite avec délectation toutes ses expérimentations dans le détail. Une manière d’affranchir également le spectateur qui aborde les nouvelles lubies du baron avec un temps de retard. Toutefois, il ne fuit pas ses responsabilités lorsqu’il s’agit de témoigner en faveur de Hans, ni lorsqu’il tente désespérément de venir en aide à Christina. Une pointe de regret semble affleurer dans le regard qu’il jette à la dépouille de Johann, jeune oisif sacrifié sur l’autel de la vengeance post-mortem. Au fond, son cynisme apparaît comme un moindre mal dans une société rongée par la cruauté et l’injustice. Une société disposée à condamner ou innocenter les hommes sur la foi de leur ascendance. Aux yeux de celle-ci, Hans ne peut être qu’un assassin puisque son père avait été condamné à mort pour meurtre tandis que les jeunes bourgeois jouissent d’une totale impunité forts de la haute position occupée par leurs pères. Il ne faut dès lors guère s’étonner de la distance prise par le baron Frankenstein avec ses contemporains. Il les juge ni à sa hauteur, ni de bonne compagnie. Il demeure ainsi longtemps éloigné du cœur du récit en dépit de sa responsabilité quant à son déroulement. Le Hans qui l’accompagne n’en est qu’un parmi d’autres. Son assistant dans L’Empreinte de Frankenstein se prénommait déjà ainsi, tout comme le docteur qui le confondait dans La Revanche de Frankenstein. Ce dernier portait également le nom de Kleve, patronyme de la pauvre Christina. Un détail qui annonce la fusion à venir. Frankenstein se désintéresse donc totalement des agissements de Hans en dehors du laboratoire et ignore tout de son amour pour Christina. A tel point qu’il n’a aucun scrupule à marchander sa dépouille avant même son exécution. Frankenstein n’est pas homme à verser une larme pour ses contemporains. Sa tristesse et son dépit, il les exprime davantage pour ses projets qui prennent l’eau.
Symptomatique de la démarche sacrilège du baron, le titre de cet épisode renvoie également à Et dieu créa la femme, film de Roger Vadim qui contribua à immortaliser Brigitte Bardot en véritable icône – sexuelle – de son époque. La comparaison s’arrête là. Loin de connaître le même destin que l’actrice française, Susan Denberg ne fera plus du tout parler d’elle après ce film. Dans le milieu du cinéma, tout du moins. En outre, Terence Fisher se refuse à jouer la carte de la sensualité et de l’érotisme. Sur ce point, Frankenstein créa la femme demeure très chaste. Sous la houlette de Hans, Christina met un point d’honneur à toujours éliminer ses cibles avant l’acte sexuel. Elle est plus veuve noire que mante religieuse, attirant ses proies sur la promesse d’ébats qui ne viendront pas. La violence est davantage marquée même si pour cela, Terence Fisher recourt régulièrement à des astuces de montage (par exemple au coup de couteau fatal se substitue un coup de hachette fendant un bout de bois en deux). Par ailleurs, le film s’avère particulièrement décevant sur le plan psychologique. De l’expérience de Frankenstein ne subsiste qu’un banal phénomène de possession là où il y avait matière à discourir sur le mélange des genres. L’âme d’un homme dans le corps d’une femme, a fortiori celui de la femme qu’il aime, offrait pléthores de possibilités que le récit n’aborde jamais. A l’aune de la libération sexuelle alors en cours, Terence Fisher fait preuve d’une grande frilosité. Lui qui était en avance sur son temps 10 ans auparavant, bousculant les traditions et les habitudes, accuse désormais un temps de retard. Retard qui se retrouve dans le traitement de Christina dont la possession annihile toute personnalité et tout libre-arbitre. Elle se retrouve enfermée dans une posture de romantique transie, se donnant la mort pour rejoindre son grand amour alors même qu’il s’est servi d’elle pour assouvir ses noirs desseins. L’enchaînement frénétique des événements la conduit d’ailleurs à mourir dans l’ignorance du décès de son père. Petite facétie de l’existence qui n’aurait rien changé à son funeste destin.
Le retour de Terence Fisher aux affaires n’a pas eu l’effet escompté. Victor Frankenstein perd considérablement de sa superbe sous la plume de John Elder/Anthony Hinds, et l’interprétation toujours parfaite de Peter Cushing ne peut rien y changer. De même, pour original que soit l’approche de la féminisation du monstre, bien différente de la conception qu’en avait Mary Shelley, elle n’aboutit à rien de notable. Tout au plus a t-elle permis de nourri abondamment le matériel publicitaire de l’époque sur lequel on pouvait notamment voir le baron porter fièrement sa créature en une posture faussement héroïque. Après un Dracula, prince des ténèbres en demi-teinte, Terence Fisher confirme une très nette baisse de régime. A utiliser les mêmes ficelles et recettes dans un univers restreint, il devient ardu de se renouveler.