CinémaThriller

Sueur froide dans la nuit – Jimmy Sangster

Fear in the Night. 1972.

Origine : Royaume-Uni
Genre : Amour Hammer
Réalisation : Jimmy Sangster
Avec : Judy Geeson, Ralph Bates, Joan Collins, Peter Cushing, James Cossins, Gillian Lind.

Peggy Heller retrouve peu à peu goût à la vie. Elle partage son bonheur – non sans fierté – avec son psychanalyste, lui annonçant qu’elle est mariée depuis 8 jours. Et puisqu’elle s’apprête à rejoindre son époux, enseignant dans une école sise en pleine campagne, elle l’informe qu’elle ne viendra plus le consulter. Le soir même, alors qu’elle prépare ses bagages, elle subit une agression. Sa logeuse la retrouve évanouie, étendue sur le sol, sans s’expliquer ce qu’il y a bien pu lui arriver. Elle ne croit guère à l’agression, pas plus que le médecin appelé à son chevet. Pourtant, Peggy n’en démord pas et s’en ouvre à son mari dès leurs retrouvailles. Celui-ci prête peu de cas à ses propos, prétextant que maintenant qu’elle n’est plus à Londres, tout ira pour le mieux. Mais lorsqu’elle subit une nouvelle agression, il se ravise. Mieux, il émet des soupçons. Il en vient à considérer son employeur et directeur du collège Michael Carmichael comme un coupable potentiel. Contraint de s’absenter pour le travail, il laisse à contrecœur Peggy, non sans lui laisser un fusil de chasse afin qu’elle puisse se défendre, au cas où.

Se plonger dans bon nombre de film de la Hammer des années 70 produit le même effet que regarder un épisode de l’une ou l’autre saison des New Avengers, l’improbable reprise de la série Chapeau melon et bottes de cuir produite entre 1976 et 1977. Tout y est plus austère, plus froid, moins flamboyant. Pour autant, à l’instar de la série, tout n’est pas à jeter parmi la trentaine de titres qui couvre la période 1970 à 1974. Le film de Roy Ward Baker Dr. Jekyll and Sister Hyde (1971) compte même parmi les sommets de la firme toute époque confondue. Si la Hammer a souffert de n’avoir pas su comment se situer par rapport au renouveau du cinéma d’horreur impulsé par La Nuit des morts-vivants de George A. Romero ou encore Rosemary’s Baby de Roman Polanski, elle a surtout pâti d’un manque de renouvellement de son pôle de réalisateurs. Terence Fisher était en bout de course, Roy Ward Baker sur courant alternatif et leurs successeurs n’ont pas su apporter le renouveau escompté… Jimmy Sangster est de ceux-là. Scénariste emblématique du studio, il passe derrière la caméra pour les besoins de Les Horreurs de Frankenstein, projet qui lui tient particulièrement à cœur. Sauf qu’avec cette énième relecture du mythe, il ne parvient pas à réitérer le coup de maître de Frankenstein s’est échappé. Il ne fera pas mieux avec La Soif du vampire dont il aura repris la réalisation au pied levé pour un résultat qui ne casse pas trois pattes à un canard. Avec Sueur froide dans la nuit, il change de registre. Finies les hautes figures de l’horreur, terminée l’allégeance au fantastique, place à une épouvante plus réaliste et intimiste. En cela, il tente de raccorder la Hammer à son époque même si sa manière de procéder à encore un pied dans le passé.

Avant que son récit ne bascule vers un combat de coqs duquel Peggy Heller se tiendra à l’écart, spectatrice aussi épouvantée qu’abasourdie par ce qu’elle vient de traverser, Sueur froide dans la nuit se concentre sur la jeune femme. D’emblée, Jimmy Sangster la place en position de fragilité bien que ses propos se veuillent rassurants. Nous sommes face à une jeune femme qui a subi un internement pour une dépression 6 mois auparavant et dont le retour à la vie normale s’accompagne de rendez-vous réguliers auprès d’un psychologue. Le récit de son bonheur récent prend un tour étrange lorsqu’elle révèle que son mari a dû partir pour son travail à peine leur union entérinée. Il y a quelque chose qui cloche dans son quotidien, et surtout dans la manière dont elle le perçoit. L’agression dont elle est rapidement victime participe de cette impression. A aucun moment ne lui vient à l’esprit d’évoquer à sa logeuse ou le médecin venu à son chevet la particularité physique de son agresseur, un manchot. Pas plus à son mari lorsqu’elle le retrouve enfin. Ce détail passé sous silence relève de la manipulation scénaristique. Il tend d’un côté à jeter le doute sur la santé mentale de Peggy, ce que les réactions pleines de détachement de son entourage entérinent, et de l’autre à donner aux spectateurs un coup d’avance dans la désignation du coupable potentiel. Jimmy Sangster joue sur deux tableaux sans avoir suffisamment de matière. Compte tenu du faible nombre de personnages – quatre – et de l’ostentation avec laquelle il nous révèle le manchot de l’histoire, le suspense ne tient guère. Devant tant d’évidence, il y a forcément un loup quelque part, lequel sortira du bois lors du dernier acte. Par ailleurs, Jimmy Sangster marche sur les traces du Roman Polanski de Répulsion avec son héroïne blonde jamais bien loin de la folie. Sauf qu’il use d’une mise en scène nettement moins sophistiquée et élaborée, se bornant à promener son héroïne dans les couloirs désespérément vides de l’école où son mari officie. Ces déambulations apparaissent avant tout pour ce qu’elles sont, du remplissage. Les intérieurs de l’école ne présentent pas d’intérêt particulier si ce n’est le temps du passage au réfectoire où toutes les tables sont mises. Cette incongruité en pleines vacances scolaires agit comme un instantané d’une vie subitement à l’arrêt. La mort plane. Reviennent alors en mémoire les plans qui accompagnent le générique et qui se terminaient par les jambes d’un pendu accroché à une branche d’arbre. Et plus tard, ce sera ce joli lapin sur lequel Peggy ne pourra que trop brièvement s’attendrir avant qu’il ne se fasse cribler de plombs par la peu délicate Molly Carmichael. Davantage que les questionnements autour de l’état mental de Peggy, c’est cet entêtant parfum de fin de règne flottant dans l’air qui éveille la curiosité. Que ce soit de manière consciente ou non, Jimmy Sangster met en lumière l’impasse artistique dans laquelle se trouve la Hammer, prisonnière de ses heures de gloire.

Au cours des décennies, la Hammer a tenté d’imposer de nouveaux visages en tête d’affiche afin de suppléer les anciens. Parmi eux, Ralph Bates. Dans sa courte filmographie – il tournera essentiellement pour la télévision – il compte à son actif cinq films estampillés Hammer dont les trois réalisés par Jimmy Sangster. Dans Sueur froide dans la nuit, il campe le mari buissonnier. Il a toujours une bonne excuse pour déserter le foyer et la formule habile pour amadouer une jeune épouse de toute façon trop aveuglée par ses rêves de jeune fille enfin réalisés. Son air duplice le rend immédiatement soupçonnable de cacher son jeu, d’autant que ses déplacements soi-disant professionnels s’accordent mal avec son métier d’enseignant en mathématiques. Il se présente comme l’obligé de Michael Carmichael, le directeur de l’établissement, mais rêve en secret de l’écarter. Ses raisons seront exposées lors d’un dernier acte particulièrement bavard et maladroit dans sa manière de les expliciter. Si elle offre l’occasion à Joan Collins de peaufiner son numéro de perverse, cette dernière partie se vit surtout comme la victoire des classiques sur les modernes. Même cantonné à un second rôle, Peter Cushing en impose. Dans les costumes stricts de Michael Carmichael, il est avant tout une présence, son personnage s’esquissant davantage à travers les dialogues échangés entre Molly et Robert que dans l’action. Cependant, ses rares apparitions suffisent à électriser un récit sclérosé. Irrémédiablement lié à la Hammer, Peter Cushing en représente l’âge d’or au côté de son compère et ami Christopher Lee. D’une loyauté sans faille, il n’a jamais tourné le dos au studio, en dépit des difficultés et de ses propres soucis personnels. Au point de rester jusqu’au bout le principal attrait, comme ici, des films auxquels il participait. Par son jeu et sa stature, il apporte un peu de cette flamboyance qui tend à faire défaut aux dernières productions du studio. Il est la véritable vedette du film et son personnage central, Peggy apparaissant comme un simple pion au service d’une machination. Elle représente les limites d’un film qui cantonne ses personnages féminins à des archétypes (la blonde fragile et la brune perverse) juste bonnes à observer ces messieurs régler leurs différends. La seule originalité provient de la manière dont ceux-ci se règlent, sans confrontation directe mais avec une science aigüe de la manipulation. Il aurait été souhaitable que Jimmy Sangster déploie cette même science plutôt que de s’abandonner aux grosses ficelles et à une construction narrative frappée du sceau de la fatalité pour seuls horizons.

Trop paresseux pour intriguer plus de quelques minutes en dépit d’une certaine noirceur, Sueur froide dans la nuit sonne le glas d’une longue collaboration. Jimmy Sangster ne travaillera plus pour la Hammer, ni ne réalisera aucun autre film. Il continuera néanmoins à vivre de sa plume au service de séries parmi les plus en vue de l’époque (L’Homme qui valait 3 milliards, L’Homme de fer, Cannon, Wonder Woman), de téléfilms et de films américains dont Phobia, l’un des plus mauvais John Huston, devenu un scénariste parmi tant d’autres. Cela ne saurait faire oublier le rôle prépondérant qu’il a joué dans l’essor de la Hammer. Qu’il ait aussi participé à son déclin peut rendre la pilule amère bien que cela dénote d’une fidélité extrême.

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