La Femme apache – Roger Corman
Apache Woman. 1955Origine : États-Unis
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Suite à une succession de meurtres et de vols, les habitants d’une petite ville de l’ouest sont à deux doigts de donner l’assaut sur la réserve apache voisine. Pour ces citoyens excédés ainsi que leur shérif, la culpabilité des peaux-rouges ne fait aucun doute puisque l’on a retrouvé plumes, flèches et autres signatures indiennes sur les lieux des crimes. Afin de désamorcer les tensions et mener une enquête en bonne et due forme, le gouvernement a dépêché sur place un rude gaillard du nom de Rex Moffett. Une fois la foule temporairement calmée, ses investigations le conduisent d’abord à s’entretenir avec Anne Lebeau, une “sang mêlée” qui avec son frère Armand vit à l’écart des deux communautés. Une situation qui permettrait aisément de semer la zizanie entre colons et natifs tout en restant plus ou moins dans l’ombre. Toutefois, la farouche Anne semble bien trop idéaliste pour tremper dans ce genre de stratagème. Armand, en revanche… Mais encore faut-il le prouver !
A ne pas confondre avec Une fille nommée Apache, un western spaghetti de 1976, cette Femme apache se caractérise avant tout par un événement : la première apparition de Dick Miller au cinéma ! Invité par son ami Jonathan Haze à rencontrer ce réalisateur débutant qu’était alors Roger Corman, le natif du Bronx se voyait au départ davantage scénariste. Or le cinéaste / producteur avait plutôt besoin d’acteurs. Pas un problème pour Dick Miller : un bon coup de maquillage histoire de lui donner un beau teint cuivré, et le voilà lancé vers la gloire dans la défroque de l’Indien Tall Tree ! Un rôle quasi muet et purement fonctionnel, puisqu’il ne s’agit que d’être l’un des deux hommes de main apaches de Armand Lebeau. Et puis au passage, Miller profita de la mêlée finale pour incarner discrètement un des villageois en colère (la légende veut que ce villageois soit l’auteur du coup de feu envoyant Tall Tree ad patres). Avec Dick Miller dans le circuit en plus de Jonathan Haze, Corman commençait doucement à s’entourer de la petite troupe de fidèles qui l’accompagnera tout au long de sa carrière de réalisateur voire au-delà. Il en allait de même derrière la caméra, puisqu’on retrouve déjà ici le directeur photo Floyd Crosby et le compositeur Ronald Stein, qui feront les beaux jours de Corman et plus généralement de la firme du binôme Arkoff / Nicholson. Encore nommée American Releasing Corporation avant de devenir peu après l’American International Pictures, celle-ci était alors flambant neuve, puisque le premier film qu’elle distribua (The Fast and the Furious) datait de l’année précédente et, quoique réalisé par John Ireland, avait déjà été fourni par Corman. Celui-ci proposa à Arkoff et Nicholson un marché gagnant-gagnant : typiquement, lui se chargerait de produire les films (imaginés par lui-même ou par l’AIP) et eux s’engageraient à lui acheter dans la foulée pour en assurer la distribution, là où à l’ordinaire les producteurs devaient attendre avant de percevoir leurs retours sur investissements. Ainsi, Corman aurait de quoi financer immédiatement ses prochains projets tandis que l’AIP pourrait rapidement mettre de nouvelles productions sur le marché. Et puisque les sommes investies étaient minimes, les bénéfices n’étaient guère difficiles à engranger. Les deux camps purent ainsi prospérer et collaborer en harmonie. Cela changerait dans les années 60 lorsque les divergences artistiques vinrent semer le trouble , mais pour l’heure pas de soucis de ce côté : il s’agissait de tirer le meilleur des maigres moyens alloués, de savoir surfer sur les modes du moment et les artifices vendeurs (quitte à s’approcher des limites du code Hayes toujours en vigueur) sans pour autant s’interdire de raconter des histoires pourvues à l’occasion d’une certaine portée sociale ou politique.
Second film de Corman en tant que réalisateur, La Femme apache est comme le premier –Cinq fusils à l’ouest– un western. La différence entre les deux étant qu’il s’agit ici d’une commande de la ARC / AIP rédigée par Lou Rusoff, beau-frère de Samuel Arkoff. Mais puisque tout le monde s’accordait sur le type de film à tourner, on ne peut guère faire de différence. D’autant que Roger Corman apprenait le b.a.-ba du métier sur le tas, en enchaînant des films, et qu’il ne mettait guère en avant son sens de la mise en scène encore balbutiant. Rendre son film avant tout compréhensible, voilà le basique objectif qu’il semble s’être fixé. Et, fort d’un scénario rudimentaire, il y parvient sans soucis. Son film n’en est pas plat pour autant : ainsi fait-il la part belle aux plans larges et aux décors naturels. Mais tout cela ne fait que refléter l’une des conventions du western et n’est pas dû à proprement parler au réalisateur qui n’a fait que reproduire ce que lui-même attendait lorsqu’il n’était qu’un spectateur lambda. Tous les réalisateurs novices n’atteignent même pas ce stade, et reconnaissons donc lui l’intelligence de comprendre ce qui lui incombait, à défaut de savoir innover. Nous sommes bien loin de ce que fera Sergio Leone quelques années plus tard, et du reste même à son sommet Corman n’atteindra jamais la maestria de son collègue italien, mais toujours est-il qu’il sait déjà flairer les éléments pouvant séduire le public et que dès son deuxième film, il se montre capable de le satisfaire a minima. Il faudra attendre un petit peu avant de percevoir l’évolution de son propre style (peut-être avec The Undead, un film d’épouvante reflétant mieux ses goûts personnels et annonçant ses expérimentations psychédéliques ultérieures).
Ce qui l’a donc intéressé ici, outre bien entendu l’expérience à acquérir, tient donc essentiellement à l’histoire racontée. Il y a été attiré par le conflit de communautés qu’elle présente, un peu annonciatrice des luttes pour les droits civiques de la décennie suivante. Il s’est en outre permis de rajouter un élément de complexité en évoquant le sort des “sangs mêlés” que sont les Lebeau, rejetés aussi bien par les indiens que par les colons. Sans être non plus mis totalement à l’écart -ils sont parents du chef indien et font du commerce avec les blancs-, ils ne sont pourtant intégrés nulle part et c’est ce qui explique en grande partie les actes de Armand Lebeau. Un personnage intéressant, qui comme sa sœur a fait des études et qui semble moins agir pour l’appât du gain que pour la délectation de voir les deux communautés dont il est exclu se détruire réciproquement. A terme, il n’exclut d’ailleurs pas de régner lui-même sur la tribu apache décapitée. Cet homme, qui rejette l’offre de sa sœur de retourner dans l’anonymat d’une grande ville, est tout bonnement à la recherche d’une considération, quand bien même négative. On retrouve ici un personnage de chien fou typique du western (encore que ses plus belles heures étaient encore à venir : songeons aux héros de westerns spaghettis ou aux personnages de Peckinpah) que Corman approfondit par une fine mais pertinente étude sur la marginalité, le racisme, et leurs conséquences sur la psychologie d’un individu.
De son côté, Anne Lebeau est bien moins travaillée. Ou plutôt elle s’éclipse progressivement au gré de son histoire amoureuse naissante avec Rex Moffett. Fougueuse au début, et même devancière des personnages de femmes fortes plébiscitées par Corman (elle ouvre le film en se battant couteau à la main avec un zouave -Jonathan Haze- qui l’a appelée “squaw”), elle s’assagit progressivement en prenant conscience du petit jeu d’Armand et en étant non seulement incapable de le raisonner, mais en se retrouvant elle-même malmenée par lui et ses acolytes (dont un ne reste pas insensible à ses charmes). Elle est donc poussée dans les bras de Moffett, perdant au passage sa personnalité pour ne plus être qu’une femme en détresse finissant dans les bras d’un héros qui, lui, n’aura jamais été vraiment intéressant. Incarné par Lloyd Bridges (père de Jeff et de Beau), Rex Moffett est le simili John Wayne standard. Brave et serviable, il se place au-dessus de la mêlée, voulant éviter des heurts en ramenant les esprits échaudés à la raison. Ce faisant, il acquiert un certain côté paternaliste évitant aux événements -et donc au film- de déraper vers une violence tous azimuts. De fait, l’action en elle-même se limite à quelques guet-apens minimalistes et à des bagarres plus ou moins cinégéniques (dont le combat final au sommet d’une colline rocheuse).
Ne le cachons pas : si le film est loin d’être déplaisant, il n’est pas non plus transcendant. Les éléments cormaniens, ou du moins leur ébauche (dont également une scène de baignade à poil, exploitation oblige !) sont disséminés voire un peu étouffés au milieu d’un conformisme mis en œuvre avec l’application du débutant ambitieux. Mais ils sont tout de même bien là, permettant à La Femme apache de ne pas être qu’un anonyme western de série B et de revêtir une certaine importance dans l’histoire de Corman et de l’AIP. De toute façon, la première apparition de Dick Miller à l’écran ne saurait être qu’une simple anecdote !