CinémaComédie

Dumb and Dumber de Peter et Bobby Farrelly

Dumb and Dumber. 1994.

Origine : États-Unis
Genre : Éloge de la connerie
Réalisation : Peter Farrelly
Avec : Jim Carrey, Jeff Daniels, Lauren Holly, Mike Starr, Karen Duffy, Charles Rocket, Victoria Rowell.

Deux amis, Harry Dunne et Lloyd Christmas, vivent d’expédients en attendant de pouvoir mener à bien le projet qui leur tient à cœur. Alors qu’il exerce en tant que chauffeur de limousine-taxi, Lloyd a le coup de foudre pour Mary Swanson, la cliente qu’il conduit à l’aéroport. Incapable de verbaliser l’amour qui le consume, il se borne à la couver du regard jusqu’à son embarquement. Il ne perd donc pas une miette de sa supposée étourderie – elle oublie sa valise au milieu du hall – et s’empresse de la récupérer afin de la lui remettre. Ce faisant, il coupe l’herbe sous le pied de deux rançonneurs à qui cette valise était destinée. Sans le savoir, Lloyd a mis le doigt dans un terrible engrenage. N’ayant pu rejoindre Mary à temps, il rentre tout penaud chez lui, où l’attend un Harry tout aussi dépité. Sur un coup de tête, il décide alors de rejoindre la jeune femme là où elle se rendait. Il n’a aucun mal à convaincre son compère de le suivre dans sa folle envolée et tous deux prennent la route pour un long périple à travers le pays entre Providence et Aspen, dans le Colorado. Devant eux, l’amour plus qu’hypothétique d’une femme de passage, derrière eux, un duo de tueurs bien décidés à leur reprendre la valise.

Quand The Mask débarque sur les écrans français le 26 octobre 1994, son interprète principal Jim Carrey n’est pas connu en France. Tout juste le public français a t-il pu l’apercevoir en copain de Nicolas Cage dans Peggy Sue s’est marié ou en acteur de film de seconde zone dans La Dernière cible, l’ultime sortie de l’inspecteur Harry Callahan. Dans les deux cas, rien de bien mémorable. Aux États-Unis, il en va tout autrement. 1994 marque l’éclosion de l’acteur. Dès le mois de février, Jim Carrey fait mouche dans les chemises hawaïennes de Ace Ventura (Ace Ventura, détective chiens et chats en France lors de sa sortie au mois de mars 1995). The Mask enfonce le clou au mois de juillet avant que Dumb and Dumber achève , au mois de décembre, de faire du comédien le nouveau phénomène de la comédie américaine. A tel point que dès l’année suivante, il intègre le casting de l’ultra coloré Batman Forever, preuve de son fort pouvoir d’attraction. Sur le sol français, l’engouement du public pour l’acteur se fait plus aléatoire, dépassant rarement le cadre d’un premier cercle d’initiés, au contraire d’une critique de plus en plus subjuguée par le bonhomme. Il incarne une forme de comique corporel qu’on avait plus vu au cinéma depuis Jerry Lewis et Louis De Funès, y apportant une bonne dose de bêtise auto-satisfaite. Avec les frères Farrelly, dont il s’agit du premier film en duo – Peter ayant réalisé deux téléfilms pour la télé en 1987, les trois hommes développent un humour plus bête que méchant qui laisse libre cours aux penchants de Jim Carrey pour les improvisations délirantes. Rien de bien subversif là-dedans, contrairement à ce qui a pu être avancé à l’époque, mais suffisamment percutant pour lancer un nouveau courant dans lequel s’engouffreront les frères Wayans (Scary Movie et Scary Movie 2, les trois autres n’étant plus de leur ressort), les frères Weitz (American Pie) ou encore Judd Appatow (40 ans toujours puceau en tant que réalisateur, Supergrave en tant que producteur).

Le con est un ressort comique efficace. Bon nombre de sitcoms comptent parmi leurs personnages principaux des simplets ou des imbéciles heureux propices aux gags faciles. Mais en général, cela reste des personnages foncièrement gentils, à qui on donnerait le bon dieu sans confession. Dumb and Dumber (qu’on pourrait traduire par “de plus en plus stupides”) se démarque de la masse non seulement en les utilisant comme personnages principaux mais en nous les dépeignant sans faux-semblants ni circonstances atténuantes. Harry et Lloyd sont cons et s’accommodent fort bien de leur état. D’autant plus qu’en bons cons qui se respectent, ils n’ont pas conscience de leur abyssale connerie. Comme le disait en substance Georges Brassens dans la bien nommée “Quand on est con”, nous sommes tous le con de quelqu’un. Fonctionnant en binôme, ils sont chacun le référent de l’autre, macérant dans leur bêtise crasse et s’adonnant à des jeux enfantins à longueur de temps. Cependant, ils se distinguent l’un de l’autre par une expression différente de la connerie. Lloyd est plus vachard dans sa bêtise. A la fois conscient qu’il n’est rien, ou en tout cas pas grand chose, il ne manque néanmoins jamais une occasion de rabaisser les gens qu’il estime inférieur à lui. C’est cette vieille dame impotente à qui il confie ses achats non sans lui avoir copieusement manqué de respect – et qui lui volera tout en guise de représailles – ou encore cette serveuse envers laquelle il fait preuve d’un grand mépris (“Ces filles de la campagne qui n’ont rien dans le cerveau.”). On peut ajouter les divers employés de l’hôtel dans lequel ils séjournent à Aspen, qu’il arrose copieusement de pourboire avec le dédain du nouveau riche qui possède tellement d’argent qu’il ne sait plus quoi en faire. A côté, Harry ressemble à un gentil benêt. Un enfant dans un corps d’adulte qui ne voit le mal nulle part. Un ami fidèle toujours prêt à pardonner mais aux coups de sang aussi soudain que disproportionnés. Gare à celui qui lui lancera la première boule de neige ! Leurs différences passent à travers le jeu de leurs interprètes. Jeff Daniels s’exprime davantage dans la douceur et la bonhomie lorsque son compère dispense une certaine agressivité teintée de provocation. Chacun joue dans son registre mais forme un duo complice et complémentaire aux moments opportuns. Face à ce voleur de scènes qu’est Jim Carrey, Jeff Daniels fait mieux que lui tenir la dragée haute. Il compose un personnage presque lunaire et poétique au sourire désarmant de candeur. Il parvient, comme y parviendra merveilleusement Jacques Villeret dans Le Dîner de cons, à donner une idée de l’insondable vide qui le parcourt. Son Harry s’apparente à une page blanche tant il semble tout découvrir pour la première fois. Il est bête à manger du foin mais peut se révéler touchant sans en avoir l’air. Il apporte cette petite touche d’humanité qui permet de suivre jusqu’au bout les pauvres pérégrinations de ces deux demeurés désœuvrés.

Pour leur premier film en commun, Bobby et Peter Farrelly jouent la carte du road-movie mâtiné d’une légère intrigue policière. Légère car propice aux quiproquos. L’humour doit naître du décalage entre les actions très premiers degrés des deux zigotos (rendre une valise dont ils ignorent tout du contenu et qu’ils croient involontairement oubliée) et les deux tueurs à leurs trousses, persuadés d’avoir affaire à deux pointures parce qu’ils déjouent tous leurs stratagèmes. Le plus expérimenté trouvera d’ailleurs la mort après avoir voulu jouer sur le terrain potache des deux lascars, en une version pimentée de l’arroseur arrosé. Inconscients du danger qui les menace, Harry et Lloyd travestissent leur morne existence en un jeu permanent. Tout est propice à la déconnade. S’ils sont soumis aux problèmes du quotidien (le chômage, le manque d’argent), ils trouvent toujours un moyen pour s’en extirper, quitte à seulement retarder le moment où il faudra rendre des comptes. La gestion de cette fortune tombée du ciel en atteste. Ils préfèrent flamber plutôt que de jouer la prudence tout en prenant bien soin d’établir des reconnaissances de dettes pour chacun de leurs achats démentiels. Une manière de jouer la carte de la démesure en restant néanmoins soumis à une logique très terre-à-terre. A ce titre, Dumb and Dumber apparaît constamment sous contrôle. Les auteurs tentent quelques coups de folie qui ne vont jamais plus loin qu’un gag scatologique ou une rêverie hallucinée. De même, les bêtises et impairs des deux comparses n’ont pas de réelles conséquences sur leur environnement, à un accident de la route près. Montré comme un gag (la voiture envoyée dans le décor explose comme dans un film d’action) ledit accident se voit ainsi expurgé de toute portée dramatique. Nous sommes loin de The Party où la maladresse de Hrundi V. Bakshi finissait par envahir tout l’écran et toucher tous les protagonistes, comme par contagion. Ici, les seuls personnages qui ont à en pâtir sont “les méchants” du film, de vils rançonneurs dont le temps de présence a été considérablement réduit à l’écran. Par leur maladresse et leur bêtise, Harry et Lloyd ont été les grains de sable qui ont enrayé la belle mécanique du crime. Cette issue morale – ils sont dépossédés de l’argent et de tous les objets qu’ils se sont offerts avec – confère in fine une utilité à ce long périple parti pourtant pour être dérisoire. Sans non plus faire de leurs personnages des équivalents de Forrest Gump, les frères Farrelly tendent à faire rentrer leurs personnages dans une certaine normalité fictionnelle dans le sens où ils finissent héroïsés. Certes, sans fleurs ni couronnes mais avec les remerciements du FBI.

Bien loin de sa réputation de film dément et irrévérencieux, Dumb and Dumber n’est qu’une comédie poussive au manque de rythme criant. Bobby et Peter Farrelly s’appuient trop sur leurs comédiens et pas assez sur un scénario construit pour susciter le rire. Dans l’ensemble, les gags brillent par leur pauvreté, parfois rallongés inutilement (la langue collée par le froid au télésiège) ou exploités de manière trop simpliste (le sabotage au laxatif du rendez-vous galant). Avec leurs personnages de marginaux, les frangins s’inscrivent à leur manière dans la continuité des frères Coen ou de Tim Burton mais ne disposent ni du ton incisif et de l’élégance des premiers ni de la tendresse du second. Dumb and Dumber fait partie de ces films au culte aussi inattendu qu’inexplicable qui aura droit à sa préquelle (Dumb and Dumberer : Quand Harry rencontra Lloyd en 2003) et à une suite tardive avec les acteurs originaux (Dumb and Dumber De en 2014).

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