Deux yeux maléfiques – George A. Romero et Dario Argento
Two Evil Eyes. 1990.Origine : États-Unis / Italie
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Lors qu’on associe les termes Edgar Allan Poe et cinéma, le nom de Roger Corman revient immanquablement. En une poignée d’adaptations durant les années 60, il a permis à bon nombre de spectateurs de redécouvrir, voire toute simplement de découvrir, l’auteur américain via des films visuellement soignés et qui encore aujourd’hui font date. 30 ans plus tard, les écrits de l’auteur du Puits et du penduleétant entrés dans le domaine public, on assiste à une recrudescence de nouvelles adaptations essentiellement destinées au marché de la vidéo et dont la plus prestigieuse émane de deux grands noms du cinéma fantastique : George A. Romero et Dario Argento.
Les deux hommes avaient déjà travaillé ensemble à l’époque de Zombie (1979), réalisé par le premier et produit et remonté par le second. Avec Deux yeux maléfiques, l’idée est de réaliser une anthologie sur le modèle de L’Empire de la terreur (1962) de l’incontournable Roger Corman en offrant la possibilité à quatre grands noms du fantastique de se confronter à l’univers de Edgar Poe. Outre les deux noms déjà cités, étaient notamment envisagés Wes Craven (Les Griffes de la nuit, le seul et l’unique) et John Carpenter (Invasion Los Angeles). Mais pour des raisons d’incompatibilité de calendrier, de quatre sketches, Deux yeux maléfiques passe à deux, chaque segment se voyant rallongé en conséquence pour que le film atteigne la durée raisonnable de 100 minutes.
Les films à sketches, George Romero connaît, auteur du jubilatoire Creepshow en 1982, et producteur du plus laborieux Creepshow 2 en 1987. Il lui revient donc l’honneur d’ouvrir le bal avec “L’étrange cas de Mr Valdemar”, dont il repense considérablement le sujet original. Il écarte l’expérience scientifique de la nouvelle au profit des manigances de l’épouse de Mr Valdemar (Adrienne Barbeau) et de son amant, le docteur Hoffman (Ramy Zada), tous deux désireux de se partager le bel héritage qui se profile. Sauf que même à l’article de la mort, Ernest Valdemar (Bingo O’Malley) refuse que son épouse bénéficie de sa fortune. Alors les deux tourtereaux échafaudent un plan machiavélique : se servir de l’hypnose pour obliger le vieil avare à signer les papiers autorisant Jessica Valdemar à empocher le pactole. Malheureusement pour eux, Ernest Valdemar vient à décéder deux semaines trop tôt. Bien décidés à taire son décès, le docteur Hoffman place le corps du défunt au congélateur d’où la voix d’outre-tombe ne tardera pas à résonner dans toute la maison. Ce pourrait-il que l’état d’hypnose dans lequel il se trouvait au moment d’exhaler son dernier souffre le maintienne dans un entre-deux inconfortable ?
Si l’on met de côté les changements auxquels George Romero a procédé par rapport à la nouvelle, L’étrange cas de Mr Valdemar nous amène en terrain archi balisé. Alors que l’élément scientifique était la raison même de la nouvelle de Edgar Poe, George Romero ne l’utilise que comme un moyen pour faire basculer le récit dans l’horreur. Une horreur classique à base de morts-vivants (décidément…) et dont la tonalité n’est pas sans rappeler son travail sur Creepshow. D’ailleurs, le réalisateur crée lui-même des passerelles avec sa précédente incursion dans le film à sketches par la présence au générique de Adrienne Barbeau (“La Caisse”), E.G Robinson (“Ça grouille de partout”) ou encore Tom Atkins (le prologue et l’épilogue). Toutefois, là où Creepshow brillait par son humour noir et quelques folies visuelles, “L’étrange cas de Mr. Valdemar” apparaît des plus ternes et étonnamment sage, limite plan-plan. On frôle même le ridicule lors du clou du spectacle, le « réveil » de Mr Valdemar, dont la voix artificiellement caverneuse désamorce tout frisson. C’est d’autant plus dommage que l’évocation de cet entre-deux mondes dans lequel gravite Valdemar et la menace invisible d’êtres maléfiques pouvant intégrer notre monde par son intermédiaire promettait une fin cauchemardesque. Las, Romero se contente de les figurer de manière peu imaginative (des individus vêtus de pied en cap d’une tenue sombre, style ninja) et de leur attribuer une caution morale qui amoindrit considérablement la menace évoquée.
De son côté, Dario Argento ne choisit pas la facilité en reprenant “Le Chat noir”, sans doute le récit le plus connu de Edgar Poe, et le plus adapté. A l’inverse de George Romero, il opte pour une plus grande fidélité au récit original tout en le modernisant et en l’accommodant à sa sauce. De fait, le personnage principal est un photographe spécialisé dans la photo de scènes de crime. Il vit dans un contexte particulièrement macabre dont les photographies retranscrivent de manière crue la violence urbaine. Corps coupé en deux par un pendule tranchant (référence au Puits et le pendule) et femme méticuleusement édentée forment les visions d’horreur d’un univers dans lequel la menace provient d’un proche (amant, cousin), préfigurant ainsi l’acte de folie meurtrière dont va se rendre coupable Rod Usher (Harvey Keitel) sur la personne de sa compagne Annabel (Madeleine Potter). En bon élève, Dario Argento reprend les grandes lignes de la nouvelle originale tout en l’agrémentant des croyances séculaires tournant autour du chat noir et de ses liens avec la sorcellerie. Cela donne notamment lieu à la vision cauchemardesque d’un sabbat médiéval à la conclusion douloureuse. Totalement décomplexé, Dario Argento s’amuse en multipliant les points de vue les plus tarabiscotés. A la vision subjective plus attendue du chat s’ajoutent celles du pendule découpant les chairs et du siphon d’une baignoire se vidant de ses eaux ensanglantées. Tout cela conduit à un segment à la fois révérencieux et très personnel, d’où émanent quelques petites touches d’humour inattendues mais pas désagréables (les astuces de Rod pour faire croire à la présence de Annabel à ses côtés) qui confèrent un peu de vie à l’ensemble. On peut juste regretter un final au dénouement trop mécanique qui par sa volonté prophétique en délaisse toute logique.
Si paradoxalement, Dario Argento a semblé plus à l’aise dans cet exercice que George Romero, il faut bien reconnaître que leur association a cette fois-ci accouché d’une souris. Sans être honteux, Deux yeux maléfiques ne rend pas vraiment justice à leur talent. Enfin cela est surtout vrai pour George Romero qui apparaît ici en petite forme, au contraire d’un Dario Argento qui soigne tout particulièrement ses cadres et ses visions d’horreur. On peut toutefois souligner pour les deux segments l’excellent travail de Tom Savini qui en guise de remerciement a droit à une apparition dans “Le Chat noir”. Ce n’est que justice.