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Cry-Baby – John Waters

cry-baby-affiche

Cry-Baby. 1990

Origine : États-Unis
Genre : Comédie musicale déjantée
Réalisation : John Waters
Avec : Johnny Depp, Amy Locane, Ricky Lake, Susan Tyrrell…

Dans un collège de Baltimore en l’an de grâce 1954, les élèves se divisent en deux catégories. D’un côté, nous avons les Square (les Coincés en version française), composés de fils à papas ; et de l’autre les Drape (les Frocs moulants), qui regroupent les délinquants juvéniles. Chaque groupe campe sur ses positions jusqu’au jour où le leader des Drape, Wade Walker, surnommé Cry-Baby, et Allison une représentante des Square, tombent éperdument amoureux l’un de l’autre. Cette liaison “contre nature” ne va pas sans provoquer quelques soubresauts au sein de la communauté. Les Square –et plus particulièrement Baldwin, petit ami revendiqué d’Allison– voient d’un sale œil que l’une des leurs fricote avec l’une de ces graines de voyou, et font tout leur possible pour contrarier leur idylle.

Cry-Baby marque un tournant dans la carrière de John Waters. Loin d’être brutal, celui-ci s’est en fait amorcé dès 1988 avec Hairspray, film musical dont l’action se situe dans les années 60, et à l’occasion duquel le cinéaste commence à quelque peu policer son style. Toutefois, la présence de son égérie Divine (dans un double rôle) suffisait à maintenir un lien fort avec son œuvre passée. Las, le célèbre coprophage casse sa pipe peu de temps après la sortie du film sur le sol américain, laissant le cinéma de John Waters comme orphelin de sa figure la plus représentative et ouvertement décalée. Légitimement marqué, le cinéaste n’a depuis lors jamais cherché à remplacer sa muse, s’amusant plutôt pour chacun de ses films suivants à intégrer des acteurs dont l’image ne colle pas forcément avec son univers.

Le premier a essuyé les plâtres est donc Johnny Depp, dont la carrière cinématographique était jusqu’alors plutôt confidentielle malgré sa participation aux Griffes de la nuit et Platoon. Sa notoriété, il la doit au petit écran et plus particulièrement au personnage du jeune inspecteur Tom Hanson de la série 21 Jump Street. Véritable icône pour adolescentes en fleur, il correspond tout à fait à ce que John Waters recherchait, à savoir un acteur au charme un peu canaille qui évoque les icônes d’antan tels James Dean et surtout Elvis Presley. Pour le comédien, jouer pour le « pape du trash » revient à casser une image d’idole des jeunes qui lui colle à la peau, et dont il rêve de se défaire. A travers le personnage de Wade « Cry-Baby » Walker, Johnny Depp voit l’occasion rêvée de se moquer à la fois de cette image de rocker antisocial que la presse de l’époque (ou devrais-je dire les gazettes) lui attribue bien volontiers, et de son personnage de beau gosse mal fagoté de la série 21 Jump Street. De fait, les deux hommes se rejoignent par une volonté parodique commune, même si celle-ci ne revêt pas le même but.

Loin de ces considérations toutes personnelles, John Waters ambitionne quant à lui de rendre hommage à la musique des années 50, tout en parodiant gentiment les films de cette époque (pour exemple, les scènes dans la prison pour mineurs renvoient au Rock du bagne de Richard Thorpe avec Elvis Presley). Plutôt que de créer des morceaux exprès pour le film, John Waters préfère utiliser des chansons d’époque auquel il apporte juste un léger dépoussiérage en confiant leur interprétation à Rachel Sweet et James Intveld, les doublures vocales de Amy Locane et Johnny Depp. Filou, il ne se soucie guère d’un quelconque respect chronologique, n’hésitant pas à utiliser des chansons composées après l’année à laquelle se déroule l’histoire (Teardrops are falling des Five Wings, 1955 ; High School Hellcats de Dave Alvin, 1958). Néanmoins, il apporte un soin tout particulier au choix de ces morceaux, puisque loin de ne revêtir qu’un aspect décoratif, ils servent de colonne vertébrale à l’intrigue, à l’instar de cette superbe utilisation du Please, Mister Jailer de Wynona Carr, sans conteste l’un des grands passages musicaux du film. Jusqu’alors cantonnée à la marge, la musique rock tend à s’affranchir de son carcan à l’aune de cette séquence pour exploser littéralement dans toute sa puissance libératrice.
Véritable ode à la musique rock, Cry-Baby la dépeint dans toute sa sauvagerie et sa sensualité. Les Drape sont ouvertement sexués lorsque les Square brillent par leurs belles mises en plis où pas un poil ne dépasse (à croire qu’ils sont encore habillés par leurs mamans !). John Waters joue de cet antagonisme assez basique jusque dans la musique qu’ils chantent et écoutent (le rock pour les premiers, le doo-wop pour les seconds). Néanmoins, il ne sombre pas dans un manichéisme à base de bons et de méchants. Au contraire, il réside une certaine porosité entre ces deux camps antagonistes, ce qu’illustre parfaitement Allison qui peut aisément passer d’un bord à l’autre. De même, Wanda Woodward et Milton Hackett, tous deux membres de la bande à Cry-Baby, sont issus de familles bien sous tous rapports (ultra compréhensive chez les Woodward, ultra catholique chez les Hackett). Leur appartenance aux Drape relève de l’acte de rébellion pur et simple, auquel le rock’n’roll apporte une dimension nouvelle. Cette musique dit tout haut ce que des gens bien élevés sont censés dire tout bas, voire pas du tout, leur fournissant un formidable exutoire qui ne va pas sans faire vaciller les fondements d’une société bien-pensante. Cela offre à John Waters l’occasion de s’adonner à son jeu favori, le dézingage des clichés sociétaux. Finalement, sous ses dehors de jeune voyou, Cry-Baby n’est pas loin d’être le personnage le plus conformiste de l’histoire. Après tout, son mauvais fond revendiqué (mais guère visible) relève davantage de l’atavisme que d’une volonté propre. Lui ne souhaite que partager sa folle passion avec sa belle, refusant même les avances d’une accorte jeune femme, sous prétexte qu’elle couche à droite à gauche. En fait, il demeure prisonnier de son aspect extérieur (mèche rebelle, veste en cuir, voiture customisée puis moto rutilante), celui-là même qui le conduit en prison, alors même qu’il ne faisait que répondre à une attaque de Baldwin et sa bande. En prenant la défense des marginaux, John Waters nous invite à prendre garde aux apparences. Il y a sans doute plus à craindre des Hackett, couple bondieusard prêchant leur bonne parole dans le propre fief des Drape, que des Drape eux-mêmes et de leurs tenues vestimentaires qualifiées « d’homosexuelles » par ces mêmes bigots.

Délesté des provocations trash des débuts, Cry-Baby apparaît comme le film le plus accessible de son auteur. Néanmoins, sa patte demeure reconnaissable entre toute, ne serait-ce qu’au travers d’une distribution hétéroclite et sulfureuse où voisinent l’actrice X Traci Lords, le rocker Iggy Pop, ou encore Patty Hearst, cette fille d’un milliardaire qui a défrayé la chronique au mitan des années 70. Et bien que le film soit produit par une major pour un budget confortable, John Waters bénéficie de ce qu’il prône pour ses personnages, à savoir une grande liberté. Il en résulte un divertissement de qualité, réjouissant et jubilatoire dans lequel alternent à un rythme soutenu séquences burlesques de haut vol (la tentative de libération de Cry-Baby par « Délit de faciès » et Milton), passages musicaux aériens et blagues potaches. En somme, un bien beau spectacle.

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