Colorado – Sergio Sollima
La Resa dei conti. 1966Origine : Italie / Espagne
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Malgré qu’il ait uniquement réalisé trois films du genre, Sergio Sollima est considéré comme l’un des trois réalisateurs phares du western spaghetti, avec Sergio Leone et Sergio Corbucci. Pourtant, il est le moins prolifique des trois, avec uniquement trois westerns à son compteur, dont deux consacrés au même personnage de Cuchillo, l’as du couteau interprété par Tomas Milian. Colorado est le premier d’entre eux et date de 1966, soit seulement deux ans après Pour une poignée de dollars, le film de Leone qui inaugura la déferlante western italienne. Et il est assez incroyable de constater que dès lors, sans n’avoir encore jamais réalisé de western et sans avoir pu se baser sur les plus grands fleurons du western politique, Sollima réussit la prouesse à la fois à rivaliser avec les œuvres spectaculaires de Leone et à aborder un sujet éminemment engagé. Il faut dire que Franco Solinas, scénariste marxiste à qui l’ont doit de nombreux chef d’œuvres du genre (mais aussi La Bataille d’Alger, État de siège etc) fut impliqué dans l’affaire, sans que son nom ne soit pourtant crédité au générique.
Nous retrouvons donc la patte du scénariste, approuvée par un Sollima qui dans ces deux westerns suivants ne fera pas autre chose que reprendre à son compte le même point de vue politique. Cuchillo est un peón mexicain crasseux traversant les territoires du Mexique aux États-Unis en vivant de petits larcins devant moins à son habile maniement du couteau qu’à sa ruse, finement dissimulée sous des allures de guignol quelque peu attardé. Ostensiblement mexicain, il subit d’ordinaire l’inimitié des américains. Accusé du viol et du meurtre d’une fillette de douze ans par un riche propriétaire terrien nommé Brokston (Walter Barnes), il sera traqué par John Corbett (Lee Van Cleef), un chasseur de prime reputé que Brokston projette au terme de cette ultime mission de faire élire au sénat pour l’aider à défendre son projet de chemin de fer. Corbett n’est pourtant pas un chasseur de primes classique : c’est un homme de justice plaçant ses valeurs au-dessus de l’appât du gain. Du Colorado au Texas, sa course poursuite au Cuchillo l’amènera à connaître son ennemi, ainsi et surtout que les ennemis de son ennemi, pas aussi respectables qu’il n’y paraît.
Disons le tout de suite puisqu’il ne s’agit pas d’une grande surprise : Colorado est un film gauchiste, et la vision qu’il donne du monde est celle de la lutte des classes. Les classes dirigeantes, riches propriétaires américains ou policiers corrompus mexicains, s’opposent à l’égalité, s’accaparant non seulement les richesses mais aussi le sens de de la justice. Pour eux, les hommes comme Cuchillo ne sont que des bêtes, bonnes à servir de boucs émissaires, à être humiliées ou exécutées. Plusieurs fois dans le film, Cuchillo sera ainsi amené à côtoyer ses ennemis, qui tous, au-delà de leur nationalité, ne chercheront qu’à le bafouer. La fuite éternel du peón symbolise la lutte permanente pour échapper aux sanctions voulues par des classes aisées dérangées par celui qui fut naguère un révolutionnaire et qui reste à ce jour un élément libre et non soumis. La différence entre les deux mondes est aussi criante que le jour et la nuit : Cuchillo est sale là où les bourgeois sont propres, il est fantasque là où les autres sont guindés (témoin cet aristocrate prussien au monocle, ami de Brokston)… Il a beau être un délinquant et un menteur, ce qu’il admet bien volontiers, il reste toujours intègre et profite de la vie sans autre limite que celle fixée par le respect de gens qui le méritent. Tout le contraire de la bourgeoisie, qui sous des allures respectables est prête à tout pour accroître son emprise sur la société.
En poursuivant Cuchillo et en ayant quelques occasion de bavarder avec lui (avant que Cuchillo ne parvienne à prendre la tangente), Corbett traversera le même quotidien que lui, apprenant à sortir du carcan de son milieu bourgeois pour assister à des spectacles opposés au respect de la dignité humaine : Cuchillo traîné dans la boue et fouetté par des cow-boys, mis en prison par un officier mexicain corrompu puis incriminé à tort d’un meurtre qu’il n’a pas commis. Son état de bête, c’est à la discrimination sociale (et raciale) qu’il le doit. Corbett est le personnage-témoin auquel s’identifie le spectateur. Avec son sens de la justice dépassant le clivage de classe, il est à priori neutre et peut dès lors juger les faits. Bien entendu, le film étant très gauchiste, très libertaire, il n’y a pas vraiment de place au débat et la bourgeoisie n’a rien pour elle, au contraire d’un Cuchillo anarchisant profondément sympathique (un rôle définissant d’ailleurs à la perfection la carrière de Tomas Milian). Le film vise ainsi essentiellement à ranger de son côté ses spectateurs les moins politiquement conscients. Colorado s’apparente à un film de propagande, et se révèle bien moins subtil que d’autres films du genre, tels El Chuncho ou Le Mercenaire. Peut-être est-ce dû au fait que la vision qu’il m’ait été donné de voir est la version courte, expurgée d’une vingtaine de minutes. Il n’en reste pas moins que l’on ne peut que saluer son engagement et que la beauté en panoramique qu’il donne à la vie sans contraintes de Cuchillo, courant à travers le désert et trouvant toujours le moyen de se libérer de ses geôliers (le tout sur fond d’une superbe musique de Morricone), vaut bien tous les pensums extrême-gauchistes du monde. Deux ans plus tard, Sollima remettra Cuchillo sur le tapis avec un Saludos Hombre encore meilleur que Colorado.