Yakuza – Sidney Pollack
The Yakuza. 1974Origine : Etats-Unis
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Sur le plan cinématographique, les années 70 sont réputées pour être une décennie particulièrement engagée et d’une grande richesse thématique. Cette décennie a permis l’émergence d’éminents cinéastes tels Martin Scorsese, William Friedkin, Brian De Palma, Francis Ford Coppola ou encore Steven Spielberg, tous formant ce qu’on a appelé le Nouvel Hollywood. Ils ont impulsé un véritable élan créatif, qui toutefois n’a jamais pu se départir durablement des considérations financières inhérentes à l’industrie cinématographique. Paul et Leonard Schrader le savent bien, eux qui sont également issus du Nouvel Hollywood et qui n’hésitent pourtant pas à surfer sur la vague des succès du moment pour vendre leurs scénarii. Le scénario de Yakuza naît de leur envie commune de profiter de l’engouement suscité par les films de Bruce Lee. Leonard, le frère aîné, a vécu quelques temps au Japon, et c’est lui qui pousse Paul à s’intéresser à la culture nipponne. Tous deux s’associent et pondent un scénario de film d’action dont l’histoire prend place en Asie, et qui s’inspire directement de tout un pan de la cinématographie japonaise : le film de yakuzas. Curieusement, le poste de réalisateur incombe à Sidney Pollack, un metteur en scène compétent mais au style peu énergique qui se marie mal avec les intentions des deux frères scénaristes, faire de Yakuza un film sombre et violent. C’est sans doute pour que le film colle mieux au style de Sidney Pollack que Robert Towne a été engagé pour reprendre et adoucir le scénario des frères Schrader.
Harry Kilmer n’est pas retourné au Japon depuis des lustres. Il y a laissé trop de souvenirs qu’il ne souhaite pas raviver. Mais lorsque son ami George Tanner sollicite son aide pour libérer sa fille kidnappée par la mafia japonaise, il met ses tourments de côté pour lui rendre service. Au-delà de sa mission, ce voyage lui permettra de répondre à des questions restées trop longtemps sans réponses.
En règle générale, ce type de film joue du sentiment de nouveauté qu’éprouve l’un des deux personnages principaux au contact d’une culture étrangère à la sienne. Or Yakuza ne joue sur ce registre que sur un mode mineur dans la mesure où Harry Kilmer connaît bien le pays pour y avoir vécu au sortir de la Seconde Guerre Mondiale. Le mode de comportement des japonais et les codes de la mafia locale ne l’étonnent guère, au contraire de Dusty, fils de George Tanner et envoyé au Japon pour prêter main forte à Harry. C’est à lui que revient le rôle du candide, de celui qui s’interroge sur ce qu’il voit. Cependant, ce personnage tient un rôle qui va bien au-delà de ce simple substitut du spectateur. Le gamin aux allures de petite frappe se révèle très vite être un homme sensé, capable de faire la part des choses et de réfléchir par lui-même. Ses nombreuses questions témoignent d’un réel intérêt pour une culture dont il ignore tout, bien que son père commerce avec le Japon depuis longtemps. Richard Jordan campe un personnage attachant qui apporte une once de vie salutaire au milieu de ces deux blocs monolithiques que sont Harry Kilmer et Tanaka Ken.
Le film se construit autour de ces deux figures, deux frères ennemis qui possèdent de nombreux points communs. Ce sont deux hommes d’honneur qui malgré leurs différends, se vouent un respect mutuel. Pour les interpréter, Sidney Pollack dispose de deux légendes. Côté américain, Robert Mitchum, acteur physique qu’on ne présente plus et qui excelle dans l’interprétation de personnages négatifs (La Nuit du chasseur, Les Nerfs à vif). Côté japonais, Ken Takakura, grande vedette de films de yakuzas, et dont le jeu minimaliste lui a valu le surnom de “L’homme qui ne sourit jamais”. Les deux hommes se ressemblent par cette présence qu’ils dégagent sans avoir recours à des tics de comédiens. Alors qu’ils forment le duo central du film, ils ne se parlent que fort peu, cultivant les non-dits. C’est que sous l’impulsion conjointe de Robert Towne et de Sidney Pollack, le film d’action tant souhaité par les frères Schrader s’est mû en un triangle amoureux, dont le personnage de Eiko Tanaka en constitue le sommet. A elle seule, elle cristallise tout l’amour que peuvent éprouver ces deux êtres bourrus et taciturnes que sont Harry et Ken. Harry se plaisait au Japon et il s’y serait bien installé si seulement Eiko ne l’avait pas éconduit. Il en a nourri une profonde amertume qui l’a amené à se replier sur lui-même. Quant à Ken, il vit écartelé entre la haine qu’il voue à Harry pour l’avoir suppléé dans le coeur de Eiko et la dette d’honneur qu’il a envers cet homme qui l’a sauvé de la misère et d’une mort certaine. Tanaka Ken demeure prisonnier d’un code de l’honneur quelque peu désuet dans un Japon en constante mutation et qui s’ouvre enfin au monde. Sa vie se résume à une litanie de souffrance et de repentance que la ressortie de son katana ne soulage pas, bien au contraire. Harry et Ken se répondent en tant que vestiges du passé de leur pays respectif, Harry prenant des allures de cowboy vengeur lors du combat final. La fin leur offre l’occasion de tout reprendre à zéro et de s’ouvrir à l’autre dans une communion de gestes particulièrement douloureuse.
Si sur le plan formel, les scènes d’action pâtissent des faibles prédispositions de Sidney Pollack en la matière (montage haché à la limite de la lisibilité, réalisation statique), il s’en sort mieux avec ses personnages qu’il parvient tous à faire exister à des degrés divers. Il évite soigneusement le second degré et les clins d’oeil, deux tares qui deviendront par la suite les ingrédients incontournables de ce genre de film, Rush Hour en tête. Dans Yakuza, nous ne trouvons nulles traces de choc des cultures ou d’un dénigrement de l’une par rapport à l’autre, mais plutôt une mise en exergue de la notion de respect, une notion bien trop souvent et hâtivement bafouée.