CinémaHorreur

La Fin de Freddy, l’ultime cauchemar – Rachel Talalay

findefreddy

Freddy’s Dead : The Final Nightmare. 1991.

Origine : Etats-Unis
Genre : Horreur
Réalisation : Rachel Talalay
Avec : Lisa Zane, Shon Greenblatt, Lezlie Deane, Robert Englund…

Et voilà, c’était prévisible : Freddy tourna dans son dernier film en 1991 (année noire, puisqu’en plus de lui, Freddie Mercury disparut, et l’URSS implosa). Résultat d’un trop-plein de Freddy pour tout le monde : pour Robert Englund, qui avait déjà renaclé pour aller tourner l’opus précédent, mais aussi pour le public, qui n’avait pas fait de L’Enfant du cauchemar le triomphe escompté, le film étant au final moins rentable que Les Griffes du cauchemar et que Le Cauchemar de Freddy. En conséquence, New Line, devenue une compagnie prospère, décida d’enterrer Freddy avant même que celui-ci ne finisse carrément par être boudé, comme ce fut le cas pour les dernières aventures du Jason Voorhees de la Paramount. Se débarrasser de Freddy avant que celui-ci ne soit devenu has been auprès du public, voilà une bonne idée, qui permettait éventuellement de le déterrer avec la garantie d’un minimum de succès si une bonne occasion se faisait sentir. Ca ne pris d’ailleurs pas beaucoup de temps : trois ans, le temps à Wes Craven de revenir avec un concept totalement original. Mais n’empêche que Freddy a beau être revenu deux fois au cinéma depuis sa prétendue mort, son sixième film constitue son véritable enterrement. Depuis, ni Freddy sort de la nuit ni Freddy vs Jason ne sont venus s’inscrire dans le prolongement de la saga des années 80. La chose est impossible : ces années là sont finies, et quoi que les producteurs de New Line puissent faire (les “versus”, remakes ou préquelles, comme il en est souvent question), un nouveau Freddy sentira forcément toujours l’opportunisme réchauffé et ne pourra adopter le même “look” que les films produits à la chaîne dans les années 80. La Fin de Freddy, quoique réalisé en 1991, est le dernier de ceux-là. Et à l’époque, New Line désirait effectivement mettre un terme définitif à la saga, réussissant ainsi à faire revenir sans trop de soucis Robert Englund, qui signa même d’emblée pour un septième film, juste au cas où (il faut dire que si il cherchait bien à échapper à Freddy, ce n’est pas en tournant dans des films comme Danse macabre ou Le Fantôme de l’opéra qu’il allait parvenir à se diversifier). Il fallait donc soigner cette sortie. Pour ce faire, plutôt que de recruter un nouveau venu comme à l’habitude (encore que Peter Jackson, contacté, ait fourni un script proposant de faire de Freddy un tueur fraîchement à la retraite persécuté par des adolescents !), Robert Shaye, patron de la New Line, choisit des solutions internes. La réalisation fut ainsi confiée à Rachel Talalay, ex-productrice de John Waters pour Hairspray et Cry-Baby, et qui participa à tous les Freddy à l’exception du cinquième (vu qu’elle était justement à ce moment là aux côtés de Waters). Ainsi, elle fut chargée de s’occuper des décors dans le premier film, puis elle passa au service de la production pour le second, gravit les échelons pour devenir productrice exécutive sur le trois et enfin productrice tout court pour le quatre. Une ascencion hiérarchique qui la porta donc logiquement au poste de réalisatrice pour ce qui devait être le sixième et dernier film (New Line reprit la même philosophie après avoir racheté les droits des Vendredi 13, au moment de confier à Adam Marcus la réalisation de Jason va en Enfer). Niveau scénario, là aussi, après avoir lu et désapprouvé plusieurs scripts (dont un réunissant plusieurs personnages de l’ensemble de la saga), c’est Michael De Luca, déjà scénariste officieux sur le cinquième volet, qui allait tout réécrire, ne gardant que de minimes éléments des versions proposées. Un travail de connaisseurs, donc. Une aubaine ? Que nenni ! Car ayant travaillé à quasiment tous les Freddy, Rachel Talalay avait constaté que les Freddy ayant rapporté le plus furent les opus trois et quatre, soit les deux plus humoristiques de toutes la saga. Alors pour essayer de rameuter les spectateurs en masse, La Fin de Freddy allait être une véritable fête, un film cartoon avec un dernier quart d’heure en 3-D dans lequel de nombreuses personnalités furent invitées (Roseanne Barr et son mari de l’époque, Tom Arnold, Alice Cooper, Johnny Depp et, pour la chanson-titre, Iggy Pop). Non seulement le film allait faire la part belle à l’humour, mais en plus beaucoup de réponses allaient être données sur la mythologie jusqu’ici assez vague de Freddy Krueger : sur son enfance, sur son vivant de tueur, sur sa vie familiale et même sur la façon dont il est devenu le démon des rêves !

Ainsi, le film débute par un cauchemar, dans lequel le tout dernier adolescent de Springwood se voit persecuté et envoyé par Freddy en dehors des limites de la ville pour rechercher quelque chose, on ne sait alors pas trop quoi. L’adolescent, prétenduement amnésique, se réveillera près d’une grosse ville, et il sera recueilli dans un refuge pour jeunes instables, à la charge d’une certaine Maggie. Celle-ci le nommera John Doe (nom commun à tous les anonymes d’Amérique) et, après avoir trouvé sur lui un article du journal de Springwood, l’aménera de force dans cette ville pour lui faire retrouver la mémoire. Trois autres adolescents désireux de s’échapper du refuge les accompagneront à leur insu, mais les trois lascars seront repris par Maggie une fois arrivés à Springwood. Trop tard pour les renvoyer au refuge, ils devront se démerder seuls dans la ville fantôme pendant que Maggie et John visiteront la ville pour tenter de soigner le jeune amnésique. Mais ces investigations les méneront sur la trace de Freddy Krueger, qui, apprendront-ils, est à la recherche de son enfant !

Ce qu’il ne faut pas voir ! Cette intrigue là est encore plus bête que celle du Cauchemar de Freddy et doit même avoir recours à trois adolescents inutiles pour proposer le quota de meurtre, le reste se concentrant sur la recherche de l’enfant de Freddy, et sur le besoin qu’a le tueur des rêves de mettre la main sur lui. S’inspirant quelque peu de Twin Peaks, série à la mode à l’époque, Talalay et son scénariste De Luca imaginent un Springwood décalé, où après avoir vus tous les enfants de la ville périr sous les griffes de Freddy, les adultes sont devenus psychotiques : la fête foraine est desertée si ce n’est pour quelques clowns dégueulasses qui clopent négligemment ou pour une vieille dondon frustrée (Roseanne) de ne plus avoir de marmaille en bas âge, une salle de classe est occupée par un professeur dément mélangeant l’histoire du programme scolaire avec l’histoire de Freddy, et l’orphelinat est tenue par une vieille folle voyant des enfants imaginaires partout. De très bonnes idées, hélas totalement sous-employées si ce n’est pour ces trois scènes très sommaires. Il faut donc se rendre à l’évidence : le film se contente basiquement d’utiliser son intrigue saugrenue sur l’enfant de Freddy. Si les scénarios des précédents Freddy avaient des ratés, ceux-ci étaient en général dûs aux côtés bordéliques des histoires qu’ils présentaient. Mais ici, l’histoire est très claire et n’est en rien perturbée par les développements mythologiques qui la construisent entièrement, reléguant les meutres au rang d’étapes gratuites. Ainsi, les trois adolescents inutiles du scénario investissent une maison abandonnée qui se révélera être le 1428, Elm Street, et deux d’entre eux (comme si le troisième avait une quelconque importance) s’y adonneront sans connaissance de cause au sommeil et donc aux cauchemars. Talalay, pour faire passer la pillule, étire ces séquences oniriques en longueur, et marche sur les pas de Renny Harlin et de ses excès. Freddy torture l’ouïe défaillante d’un adolescent doté d’un sonotone déréglé, puis il utilise des effets psychédéliques pour faire rentrer un autre, camé, dans le poste de télévision. S’ensuivra une séquence cartoonesque, dans laquelle Freddy fera passer le jeune homme dans un jeu vidéo, lui faisant faire des bonds à la Tex Avery. Tout ceci fait de Freddy un véritable clown, ce qu’on ne peut que regretter. Mais ce seront tout de même des instants forts imaginatifs, qu’on sauvera aussi grâce à l’emploi de la fabuleuse chanson “In-A-Gadda-da-Vida” d’Iron Butterfly, ainsi qu’avec le caméo de Johnny Depp, venu pour dénigrer l’usage de la drogue avant de se faire humilier par Freddy. Tous les autres cauchemars seront utilisés à des fins certes spectaculaires (toujours très réussies) mais auront l’audace de ne présenter aucun meurtre (à une exception près : un gars qui tombe du ciel sur une table de fakir : c’est ainsi le seul film de la saga dans lequel Freddy n’utilise jamais son gant pour tuer !). Leur seule justification concrète, outre de développer le côté farce, sera de laisser le champ libre à de la parlotte, Freddy expliquant qu’il recherche son enfant pour qu’il puisse l’amener hors de Springwood vers un nouveau terrain de jeu. Mais le problème est que l’on s’en fout… John, qui croyait être le fils de Freddy, sera mis à mort (ce n’est d’ailleurs pas la première fois dans la saga que l’on change de héros en cours de route), et c’est finalement Maggie qui découvrira être la fille de Freddy. Non seulement l’impact de la révélation est annihilé par le grand-guignol avec lequel elle est amenée, mais en plus ce ne sera absolument pas une surprise pour le spectateur, qui dès le départ se sera farci des flash-backs montrant Freddy de son vivant en train d’assassiner sa femme sous les yeux de sa propre fille (laquelle étant la fameuse fillette déclamant la comptine de Freddy dans tous les films de la saga).

Si l’on y ajoute que les acteurs sont presque tous insupportables, il n’y a vraiment pas de quoi se satisfaire de cet étalage de bêtises désirant mythifier encore un peu davantage le personnage de Freddy. La saga avait commencé en faisant de Freddy un croquemitaine utime et mystérieux, et elle se termine donc en eau de boudin, approfondissant à outrance son passé quelconque. Jusqu’ici, dans les autres films, y compris dans les plus fantasques, tous les éléments rattachés à la légende de Krueger avaient été traités sobrement ou avec noirceur. Mais Talalay fait tout l’inverse, et achève son travail de sape bien involontaire dans un dernier quart d’heure proprement consternant. C’est que pour la mort de Freddy, nous étions en droit d’attendre quelque chose de grandiose… Nous l’avons. Mais pas de la façon souhaitée. Car dès que la 3-D intervient (et elle est même justifiée dans le film lorsque Maggie revêt une paire de lunettes adaptées à la 3-D…ridicule !), tout n’est plus pensé que dans le but d’en mettre plein les mirettes des spectateurs. Tout gicle à l’écran et à la face du public (du moins quand l’effet est réussi, car l’effet 3-D est souvent raté), et nous explorons le cerveau et la mémoire de Freddy comme si l’on était dans un train fantôme. Le tueur ne méritait pas ça : les principales étapes de sa vie, déjà dispensables, sont ainsi sacrifiées à l’effet gratuit. Enfant, il est moqué par ses camarades de classe, adolescent, il est battu par un père adoptif ivrogne (Alice Cooper) et dans les derniers instants de sa vie humaine, il parlemente avec les “démons du rêve”, trois têtards volant en numérique, immondes (songez donc à ce qu’était le numérique à cette époque où Jurassic Park n’avait même pas été réalisé) et capables de le faire vivre dans les rêves. C’était donc ça, des tétards volants, qui auront permis à Freddy de devenir l’un des tueurs les plus réputés du cinéma d’horreur. Il ne restera donc plus à Maggie et à ses amis que de les libérer par une plate péripétie qui trahit un manque d’idée certain. Affligeant.

Cet enterrement en petite pompe serait proprement scandaleux si le film ne présentait pas de temps en temps quelques idées marrantes (concentrées pour la plupart dans sa première moitié), et si le générique de fin ne jouait pas sur la corde nostalgique en présentant un montage des plus belles scènes des six films sur fond d’une belle et rock’n’roll chanson d’Iggy Pop. Robert Englund lui-même ne porte pas La Fin de Freddy dans son coeur, disant ainsi lors d’une interview que la chose qu’il préfère dans le film, c’est son affiche.
Maintenant, cet enterrement baclé, qui avec La Revanche de Freddy se dispute le titre de plus mauvais film de la saga, ne retire rien à la gloire de Freddy. Il est aujourd’hui de bon ton de cracher sur la saga initiée par Wes Craven, sous le prétexte qu’elle aurait (à elle seule ?) contribuée à abrutir le cinéma d’horreur, et à en faire un genre commercial. Les détracteurs, faisant par ailleurs preuve d’un élitisme hypocrite, à pleurer sur le manque de reconnaissance du genre tout en conspuant les films à succès, oublient un peu vite de regarder les films en eux-mêmes, qui selon leurs spécificités sont des monuments d’inventivité, d’effets spéciaux parfaits, de frayeurs, de mises en scènes créatives. Sans compter les innombrables personnes que la saga a aidé à lancer dans le métier, des acteurs (Johnny Depp, Patricia Arquette, Larry Fishburne…), des réalisateurs (Chuck Russell, Renny Harlin, Stephen Hopkins), des scénaristes (Frank Darabont, Brian Helgeland), et même la New Line elle-même, que Freddy a sauvé de la banqueroute et qu’il a fait prospérer jusqu’à ce qu’elle devienne une major hollywoodienne. Alors oui, les Nightmare on Elm Street ont été fait à la chaîne pour mieux ramasser le pactole, mais-ce que cela enlève leurs mérites aux films ? Et n’oublions pas que les budget des six premiers Freddy n’ont jamais excédé les 7 millions de dollars, et que même s’ils en ont rapporté bien plus, ils ne peuvent pas être vus comme des blockbusters. Ce sont les héritiers des films Corman, ce sont aussi les modernisateurs d’un genre qui commençait au début des années 80 à tourner à vide.

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