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Détenu en attente de jugement – Nanni Loy

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Detenuto in attesa di giudizio. 1971

Origine : Italie 
Genre : Drame 
Réalisation : Nanni Loy 
Avec : Alberto Sordi, Elga Andersen, Lino Banfi, Nazzareno Natale…

Nanni Loy a beau avoir fait son beurre dans la comédie, il n’en a pas moins réalisé quelques films très sociaux. Détenu en attente de jugement est de ceux-ci, et c’est celui qui fit le plus parler de lui lors de sa sortie en Italie. Pourtant, avec ce film, le réalisateur n’abandonne pas tout à fait son penchant à la comédie, engageant notamment comme interprète du rôle principal le célèbre Alberto Sordi, l’un des plus fameux acteur comique italien. Il lui confie le rôle de Giuseppe Di Noi, pimpant géomètre italien exilé en Suède, où il a construit sa vie avec son épouse Ingrid (Elga Andersen). Profitant d’une période calme dans son travail, il emmène sa famille visiter son pays natal. Mais à la douane, le fonctionnaire lui demande de l’accompagner pour régler une formalité. Giuseppe ne sera pas prêt de revoir sa famille : il sera arrêté et envoyé dans les quartiers d’isolement de diverses prisons. Coupé de tout lien avec le monde extérieur, privé d’informations quand à son arrestation, dans l’interminable attente d’un jugement, traité comme le pire des criminels, il apprendra avec bien du mal son délit supposé : l’assassinat involontaire d’un certain Frank Kaltenbrunner, un allemand qu’il ne connait même pas…

Une histoire résolument kafkaïenne dans le milieu judiciaire, évoquant avec force le formidable Procès rédigé par l’écrivain tchèque. Mais à la différence de Kafka, Loy n’utilise pas son histoire comme une métaphore du bureaucratisme et de la déshumanisation qu’il entraîne. Il se base sur des réalités concrètes, celle du système judiciaire et celle du système carcéral italiens. Deux institutions bien réelles. Le système judiciaire prend l’allure d’un exemple pratique pour ce que décrivait Kafka dans son livre. On retrouve donc cette opacité totale de la justice du point de vue de l’accusé, auquel personne ne peut répondre (et sa femme, n’obtient pas plus de résultats via l’ambassade de Suède). Les juges apparaissent très distants, inabordables, et réussir à en voir un sera une véritable prouesse qui se concrétisera d’ailleurs de façon totalement inopinée. Mais ce ne sera pas le bout du tunnel, puisque le juge lui-même se révèle aussi peu loquace que les gardiens de prisons et ne semble pas porter un quelconque intérêt à l’affaire dont il est chargé. Il n’apparaît que comme un rouage d’une procédure interminable, plombée par une bureaucratie omniprésente exigeant notamment de l’accusé qu’il communique le nom de son avocat au chef de sa section carcérale, lui qui n’a pourtant aucun contact avec l’extérieur et qui ne peut en sélectionner un qu’en fonction des informations contradictoires que lui font parvenir les matons ou ses camarades de prison. Aucune demande ne peut être traitée sans être filtrée par des services administratifs que Giuseppe ne peut même pas contacter sans le biais d’autres intermédiaires, principalement des gardiens de prisons fort peu compatissants et qui font pourtant figure de seuls espoirs.

Ce qui nous amène tout droit à l’autre aspect du film, celui qui a véritablement lancé la polémique autour du film. Il s’agit du milieu carcéral, du traitement physique et moral des prisonniers déjà affaiblis par une justice kafkaienne. Il convient déjà de signaler un point important : l’Italie que décrit Nanni Loy n’est pas l’Italie fasciste de Mussolini, pas plus qu’il ne s’agit d’une Italie semblable au Londres du George Orwell de 1984. Lorsque l’on est amené à sortir des prisons et de la justice, nous découvrons un pays occidental classique des années 70, dans lequel les gens se promènent librement, sans contrainte particulière apparente. C’est ce réalisme et ce refus de plonger dans l’anticipation en temps que genre qui donne une grande partie de la violente charge du réalisateur à l’encontre du milieu carcéral. Car l’emprisonnement est tout l’inverse de ce que l’on peut attendre de ce qui semble être un pays démocratique. Nous plongeons dans un monde à part, une véritable dictature fasciste dissimulée de l’opinion publique derrière ces larges murs de prison. Pas étonnant que la foule, lorsqu’au contact d’un convoi de bagnards (quand ceux-ci se rendent dans une gare pour un transfert), se mette à huer les soit-disant criminels, dont plusieurs sont dans la même expectative que Giuseppe. Sans aucune idée de ce qui se passe derrière les barreaux, et peut-être contrainte de ce fait à considérer que tous ceux qui ont une chaine aux poignets forment un ramassis de meurtriers, la foule rend sa propre justice verbale, très violente. Loy suggère ainsi à ses spectateurs de ne pas juger eux-mêmes les prisonniers, dont la condition leur est inconnue. Il y a fort à penser qu’en connaissance de cause, la foule ne serait peut-être pas aussi haineuse, tant les conditions de vie de ces prisonniers sont déjà suffisamment éprouvantes.

Toutes les prisons qu’est amené à traverser Giuseppe sont ainsi homogènes dans ce qu’elles ont à offrir : pour le prisonnier en isolement qu’il est, il n’a droit qu’à une minuscule cellule, sale, noire, sans toilettes, dans laquelle il est constamment dérangé par des matons qui le méprisent. Sortir de sa cellule ne lui est de toute façon d’aucun réconfort : les grilles sont partout, le mépris également, la nourriture est immonde et le règlement interdit toute forme de liberté, y compris la liberté de culte, puisque les prisonniers n’ont pas le droit de faire des prières lors des messes qui leur sont pourtant offertes. Les conditions sont donc déplorables, la claustrophobie est de mise, la dignité humaine est bafouée et les contacts normaux avec d’autres être humains sont rendus impossibles. Giuseppe parviendra bien à sympathiser avec un autre détenu, mais ils ne feront que se croiser dans des couloirs sombres, et leur amitié sera vite brisée par le funeste sort qui attendra l’ami de Giuseppe. Étant en permanence transféré d’une prison à l’autre, le personnage d’Alberto Sordi n’aura pas non plus l’occasion de se faire quelques habitudes. Son comportement généralement docile ne lui vaudra pas non plus d’égards, et même pire : à la suite d’une révolte avortée des prisonniers, il sera sanctionné comme si il avait été l’un des meneurs par des gardes ne s’étant soucié que de ramasser des coupables au hasard. Il sera transféré une autre fois vers une dernière prison, où le traumatisme dans lequel il aura de plus en plus profondément plongé durant le film atteindra son paroxysme.

Vu comme cela, Détenu en attente de jugement ne prête pas à rire. Et pourtant, en réalisateur habitué aux comédies qu’il est, Loy ne se prive pas pour insuffler une touche d’humour noir et absurde, via une superbe BO de Bruno Nicolai (on ne dira jamais assez que celui-ci, élève de Ennio Morricone, est un génie) et via son personnage principal, dont le physique de bon bourgeois sujet à l’embonpoint et dont le caractère d’incurable naïf sont autant d’ingrédients tranchant radicalement avec le milieu dans lequel il est plongé. Comme on pouvait s’y attendre, le dénouement poussera jusqu’au bout ce traitement cynique. Cet humour très cruel met mal à l’aise et s’achève par une très ironique citation au début du générique de fin comme quoi le film “ne saurait s’inspirer de la réalité”. Un trait d’esprit provocateur de la part de Nanni Loy qui semblait parfaitement conscient du tollé qu’allait créer son excellent film… et qu’il ne manquerait pas de reprovoquer à l’occasion, puisque son sujet reste toujours d’actualité dans un occident démocratique toujours prompt à distribuer des leçons de morale.

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