Tout est fatal – Stephen King
Everything’s Eventual. 2002Origine : Etats-Unis
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Stephen King écrit beaucoup. Il publie environ un livre par an, parfois plus, et il est désormais devenu rare qu’un de ses romans n’atteigne pas les 500 pages, que ce soit en grande édition ou en format poche. Au milieu de cette tempête créatrice, quelques recueils pointent de temps en temps le bout de leur nez. Mais même là, King semble avoir du mal à faire court : Différentes saisons, Minuit et Cœurs perdus en Atlantide rassemblent plutôt des novellas, ou nouvelles longues à l’image de Peur bleue ou encore de son récent et original Blockade Billy (une histoire centrée sur le baseball), des nouvelles tellement épaisses qu’elles ont eut droit à une sortie individuelle, devenant ipso facto de courts romans. Ses véritables recueils se font plutôt rares et sont relativement méconnus, chose qui a peut-être à voir avec les films adaptés des nouvelles qui s’y trouvent, généralement pas très ambitieux voire carrément opportunistes (Le Cobaye remportant la palme de l’arnaque). Cependant, King apprécie toujours l’écriture de nouvelles, format qu’il considère comme un art à part entière, un art qu’il aime toujours à exercer, pour se prouver qu’il en est encore capable “contrairement à ce que peuvent penser ses critiques les moins tendres“, mais un art en crise. Un phénomène qu’il attribue à la disparition des magazines pulps, naguère friands de courts récits achetés pas chers à des auteurs amateurs. King a lui-même démarré ainsi, et comme il l’expliquait dans Écriture, il en a tiré une certaine expérience de “terrain”, différente de ce qu’il a pu apprendre comme étudiant lors de cours d’écriture car acquise avec les conseils et recommandations des éditeurs de ces magazines, plus proches du lectorat que ne le sont les professeurs universitaires munis de grands principes. La question de la publication de ces nouvelles ne fut finalement pas grand chose par rapport à ces expériences (surtout qu’il était payé des clopinettes) et ça l’est encore moins aujourd’hui, alors que les pulps ont largement disparus. C’est pour cette raison que King décida de publier “Un tour sur le Bolid” sur internet, support pour lui comme un autre, mais il est vrai que lorsque son auteur s’appelle Stephen King, la nouvelle a bien plus de chance d’être lue et commentée que lorsque l’on est un anonyme sans site internet. Toujours est-il que la réception d’ “Un tour sur le Bolid” lui laissa un sentiment de frustration. Car personne ne s’intéressa à la nouvelle elle-même, mais toute la presse commenta la décision de la publier sur internet. Coup de génie ou coup de massue portée à l’industrie du livre (débat en vogue en 2000, année de sa publication), peut importait pour King, qui attendait plutôt des réactions sur sa nouvelle. Il en a déduit qu’effectivement, cet art était proche “de se perdre dans les poubelles de l’histoire”, et c’est donc probablement pour ça qu’il a rassemblé toutes ses nouvelles au sein d’un recueil appelé à devenir un best-seller (dire l’inverse serait de sa part une marque de fausse modestie, il sait très bien que c’est un gros vendeur), presque dix ans après Rêves et cauchemars. Et il en appelle aussi à soutenir les auteurs ayant publié un recueil, donnant quelques titres.
Une fois ce contexte établi, il n’est alors plus très difficile de comprendre ce qui a poussé King à choisir les nouvelles figurant dans Tout est fatal. A l’inverse de Danse macabre, qui demeure pour moi son meilleur recueil, le maître mot est ici la diversité. Car si les nouvelles de Danse macabre étaient pour la plupart assimilables à un style, celui des récits horrifiques second degré qui trouveront un écho au cinéma dans Creepshow, celles de Tout est fatal vont au-delà. Y figurent bien entendu des titres que l’on aurait pu trouver dans le premier recueil de l’auteur (“Salle d’autopsie quatre” et son paralysé en passe de se faire disséquer, “Quand l’auto-virus met cap au nord” et son histoire de tableau mouvant inspiré du polaroid de Minuit 4, “Un tour sur le Bolid” et le dilemme posé par un ange de la mort à un vivant, “1408” et sa chambre d’hôtel hantée écrasant un écrivain trop sûr de lui et “Déjeuner au Gotham Café” et son restaurateur qui pète les plombs). Mais on y trouve aussi tout un tas d’expérimentations en rupture avec le style habituel de King. “La Mort de Jack Hamilton” est ainsi un récit policier à l’ancienne racontant la fin de la cavale de Dillinger dans les années 30. “Cette impression qui n’a de nom qu’en français” est un déroutant exercice de style dans lequel un personnage mort revit indéfiniment une même situation avant de se rendre compte que cette répétition est la véritable nature de l’enfer. “Tout ce que vous aimez sera emporté” est un récit très noir sur le suicide avec des touches d’absurdité (on penserait presque à un récit des frères Coen entre Blood Simple et Barton Fink), “Salle d’exécution” est un récit d’aventure pur et simple mettant un homme face aux bourreaux d’une dictature bananière, “L.T. et sa théorie des A.F.” ainsi que “Tout est fatal” sont des allégories à portées philosophiques dissimulées respectivement derrière une façade de banalité à la Raymond Carver et une histoire de manipulation gouvernementale, “L’Homme au costume noir” se veut une nouvelle gothique dans la lignée de Nathaniel Hawthorne, l’un des pères fondateurs de la littérature américaine (fantastique ou non, même si ici il s’agit bien de fantastique) et “Petite chansseuse” est un conte social. Enfin, assez à part dans le recueil (c’est en tout cas la nouvelle la plus longue, quelle surprise), “Les Petites sœurs d’Eluria” s’inscrit dans le cycle de La Tour sombre et raconte comment le pistolero Roland Deschain a été aux prises avec des infirmières vampires lors de la poursuite de Walter, l’homme en noir. Une nouvelle qui ne jouera aucun rôle dans la quête pour la Tour, mais qui a le mérite de faire patienter les amateurs de la saga, en rade depuis Magie et Cristal.
Tout est fatal est un recueil très diversifié, donc, et ceci très certainement dans le but de montrer que la brièveté d’une nouvelle n’empêche pas l’auteur de faire travailler son imagination ni sa technique. C’est même tout l’inverse : la nouvelle est un exercice, et les auteurs auraient bien tort de ne pas s’y montrer audacieux. C’est ce que l’on retient des notes laissées par Stephen King en ouverture et en introduction de chacune des nouvelles. Pour autant, est-ce que King a lui-même réussi cet exercice ? Les nouvelles sont ambitieuses, certes, certainement plus que dans Danse macabre, recueil qui à côté fait vraiment très “œuvre de jeunesse”, mais ce King muni d’une solide expérience a-t-il réussi tout ce qu’il a entrepris ? Et bien si les exercices de Tout est fatal sont variés, leurs réussites le sont tout autant. Dans le style “Creepshow“, “Déjeuner au Gotham Café” est loin au dessus des autres. C’est certainement la nouvelle la plus drôle et la plus gore du recueil, et l’auteur y joue habilement du décalage entre le standing du restaurateur et sa folie furieuse, qui monte par petites touches pour briser à la fois le snobisme de l’établissement et la solennité dramatique du repas qui y est prévu entre les protagonistes principaux. Les autres sont déjà moins drôles, quoi qu’on puisse saluer “1408” et le traitement original qu’elle réserve à une histoire de pièce hantée -faisant succéder au passage l’épouvante à l’humour-. Les deux récits philosophiques ne sont pas forcément désagréables à lire, mais King y enfonce des portes ouvertes. “L’homme au costume noir” est une nouvelle très prenante, ce qui est très certainement dû à la réussite de King, qui y utilise un style très vieillot accentuant l’aspect légendaire du récit qui nous est conté. Son excursion dans le genre policier n’a rien d’original et se solde par une classique vision romantique de Dillinger et de sa bande, “Salle d’exécution” fait dans le James Bond gore (on pourrait d’ailleurs la rattacher au style Creepshow), “Tout ce que vous aimez sera emporté” est un succès déprimant reposant sur la banalité de l’homme en passe de se suicider, “Cette impression qui n’a de nom qu’en français” est du point de vue de l’écriture très bien construite mais ne se laisse pas lire facilement, tandis que “Petite chansseuse” est une nouvelle pleine d’optimisme, toute en légèreté. Enfin, “Les Petites sœurs d’Eluria” se montre novatrice sur le plan du vampirisme, mais assez creuse dans l’aspect romantique. King y rejoue quelque peu le drame amoureux de Roland et de Susan de Magie et cristal et n’échappe pas au cliché de l’amour impossible.
Grosso modo, Tout est fatal est un livre plaisant, sans aucun véritable raté mais avec peu de choses géniales. En outre, sa diversité est telle qu’il est parfois difficile de passer d’une nouvelle à une autre. Il serait effectivement plus judicieux de ne pas lire un tel livre d’une traite, mais de couper sa lecture entre chaque nouvelle. En ce sens, cette collection donne l’impression d’être davantage l’illustration des propos de King dans son introduction et dans Écriture qu’un recueil cohérent. Du reste, “1408” n’est autre que la rédaction complète d’une histoire que King avait entamée dans Écriture pour démontrer les différences entre le premier traitement et la finalisation d’un texte.
Brume et autres nouvelles, Danse macabre, et reves et cauchemars sont les trois recueils de nouvelles qu’il faut avoir lu de Stephen King. Tout est fatal est décevant, on dirait qu’il a pris les nouvelles les moins bonnes qu’il n’a pas publié, les a un peu corrigé et les a mis dans un recueil fourre tout. Plus de la paresse, ou un moyen de gagné un peu plus d’argent qu’autre chose.
La preuve je n’ai jamais reussi à terminé ce recueil de nouvelles.