Écriture : Mémoires d’un Métier – Stephen King
On writing. 2000Origine : Etats-Unis
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Stephen King aime parler de lui et de son travail. Que ce soit via ses œuvres, qui puisent allégrement dans sa propre vie pour en sortir des thèmes, des localisations, des situations, ou bien via ses notes au lecteur ouvrant ou clôturant certains de ses livres. Mais il ne l’a jamais fait par pure vanité, ni par fausse modestie. King a toujours été un écrivain proche de ses lecteurs, auxquels il s’adresse en toute franchise, établissant avec lui une relation particulière qui est loin de la sympathie intéressée de l’écrivain cherchant avant tout à vendre son produit. Le succès obtenu par King lui a valu pas mal de critiques, que ce soit de la part de critiques littéraires ne voyant ses livres que comme des “romans de gare” ou de celle d’un certain lectorat purement axé horreur dissimulant bien mal un certain snobisme communautaire rejetant les auteurs à succès. Ces reproches sont purement de principe, car un regard un tant soit peu sérieux porté sur l’œuvre de King permet tout de suite de voir que la proximité de l’auteur avec ses lecteurs n’est pas feinte, et qu’elle repose sur un ou plusieurs univers parfaitement identifiables (Castle Rock, Derry, le monde de La Tour sombre…) au sein desquels les lieux, les personnages et les évènements ne sont jamais oubliés. King n’écrit pourtant jamais de séquelles, il peut se permettre de changer de sujet entre deux livres sans pour autant faire l’impasse sur la toile de fond dressée par ses précédents romans. Il reste donc ouvert aux nouveaux lecteurs, et ne s’enferme pas dans une communauté restreinte. Pour autant, il ne recherche pas la vente à tout prix : ses histoires, même basées sur de l’horreur en apparence digne des séries B (un chien enragé, des vampires, un clown tueur, un cimetière faisant renaître les morts, un homme capable de prédire l’avenir etc etc) sont souvent rehaussées par un style collant au plus près du ou des personnages principaux. Souvent solitaires ou regroupés en petit groupe, ils portent les romans sur leurs épaules voire en sont eux-mêmes les narrateurs, intégrant ainsi le lecteur à leurs aventures. King nous invite auprès de ses héros, et le lecteur devient un témoin privilégié de leur vie et de leurs pensées, ce qui donne aux livres l’aspect de témoignages confidentiels ne pouvant que favoriser la connivence entre narrateur et lecteur. Et ceci accentué par presque 40 ans de carrière et encore plus de bouquins. Il était donc logique que King en vienne un jour à écrire un livre qui ne serait pas de la fiction.
L’idée lui en est venue auprès d’autres écrivains, en parlant boutique. L’un d’entre eux fit remarquer que jamais la question du langage n’était venue sur le tapis lors des interviews. C’est que c’est un domaine réservé aux “grands auteurs”… Agréant à ce constat, et voulant prouver que lui aussi pouvait avoir des choses à dire en la matière, Stephen King réagit donc en écrivant Écriture, qui se veut un livre simple principalement adressé aux écrivains en herbe. Ne se faisant pas de grandes idées sur les livres traitant en long, en large et en travers du processus créatif (des “conneries” selon lui), il se concentre vraiment sur le vif du sujet. Sa principale référence est The Elements of style, de William Strunk Jr. et E.B. White, un court traité résumant les principales règles d’écriture qui semble avoir eu sur lui et sur beaucoup d’autres écrivains un impact loin d’être négligeable. A cela s’ajoute les années passées par King en tant que journaliste, qui se sont accompagnées de conseils venus de son rédacteur en chef, pratiquement tous visant à élaguer les textes des mots superflus, des tournures lourdes ou des hors-sujets. On peut donc en déduire que le style d’écriture de Stephen King découle d’un mélange entre la théorie et la pratique… Ce sera le plan d’Écriture.
La première partie du livre, baptisée “CV”, se rapproche donc d’une autobiographie. Sauf que les évènements qui y sont relatés sont doublement réduits : déjà par la mémoire de King, et surtout parce qu’il semble n’avoir abordé que les choses qui ont influencé directement sa carrière en ancrant en lui certaines préoccupations. Difficile de ne pas faire le lien entre ses ennuis de santé, qui lui ont valu pas mal de peur et de douleur, à son habileté à décrire le sentiment d’épouvante ressenti par les enfants de plusieurs de ses livres. Difficile aussi de ne pas faire le lien entre sa vie familiale difficile et celle de ses personnages. Sans parler de l’alcoolisme et de la toxicomanie, dont il a souffert, et qu’il a transmis a bon nombre de ses personnages également. Si Écriture aborde finalement peu la question de l’imagination, c’est tout bonnement parce que King n’a rien d’autre à conseiller sur le sujet que de renvoyer le lecteur à ses propres expériences. Celles qui marquent la vie, mais aussi celles qui sont plus anecdotiques et qui peuvent très bien faire naître un concept que l’auteur se fera un plaisir de développer. Sur ce point, King laisse son lecteur entièrement libre, et cette première partie en apprendra plus aux exégètes de l’auteur qu’aux apprentis écrivains (tout en sachant que l’on peut être aussi bien l’un que l’autre). Quoiqu’on y trouve aussi l’historique de King en tant qu’écrivain amateur, de ses récits adolescents plagiés sur les films découverts au cinéma au jackpot obtenu pour Carrie, en passant par ses chroniques au journal du lycée et par ses années de galère pour placer telle ou telle nouvelle dans les revues dédiées aux publications personnelles. King donne même les sommes qui lui ont été versées pour tous ses textes vendus. Au-delà de l’aspect biographique, cet historique professionnel est un moyen d’inciter les jeunes écrivains à l’abnégation. Mais pas l’abnégation fermée du génie incompris : il convient de rester à l’écoute des remarques, et d’apprendre de ses erreurs. Même sans être publié, disposer des observations de professionnels de l’édition est un gage non seulement pour parvenir à être publié, mais aussi pour peaufiner son style d’écriture. Les leçons apprises par King sont au centre de la seconde (et troisième) partie d’Écriture, la plus technique.
Transmettant ce qu’il a lui-même assimilé, et se souvenant probablement qu’il en fut un, King devient alors professeur. Ses remarques concernent la grammaire, le vocabulaire, la comparaison, les personnages, la narration, l’intrigue, le découpage des paragraphes, la réaction face à la page blanche, le choix d’un agent littéraire… Il affiche des opinions bien tranchées sur tous ces sujets, qui pour lui ne semblent faire aucun doute. Le vocabulaire se doit d’être employé de façon naturelle, et pas pour exposer sa science, les verbes déclaratifs sont à proscrire, les adverbes à passer au bûcher, l’auteur ne doit pas être prisonnier d’une intrigue toute tracée mais laisser celle-ci suivre son chemin etc etc… Chaque argument est doté d’exemples à suivre ou à ne pas suivre, avec une insistance plus marquée pour ces derniers : les formes pesantes telles que “éructa-t-il“, les adverbes d’insistance témoignant de la peur d’un auteur de ne pas être compris, les piteuses expressions toutes faites, tout cela constitue l’illustration pratique des théories de King, apparentant tout à fait son texte à un cours. Il y a même un exercice, à retourner à King via son site internet ! Et, cerise sur le gâteau, le livre contient une reproduction du manuscrit d’une nouvelle, avant et après sa correction par King, qui donne également ses indications quant aux diverses phases de l’écriture (premier jet en isolement total, relecture en écoutant les conseils des proches ou des “lecteurs idéals”…).
Cohérent avec ses principes, King n’hésite pas à s’en prendre à des écrivains intouchables, tels Lovecraft, dont il juge les dialogues “raides et sans vie”, citant un exemple issu de La Couleur tombée du ciel. Bref, il y a énormément de conseils, qu’il serait assez vain de retranscrire intégralement (après tout, lisez le livre !). Et il serait tout aussi vain de chercher à contredire King, qui en critiquant Lovecraft dans ce qui est une de ses meilleures nouvelles ne tente pas de se placer au-dessus de lui -et de tous ceux qu’il critique- mais bien d’en faire une analyse constructive, ce qui de toute façon ne veut pas dire qu’il ne les apprécie pas. Après tout, il sait aussi se critiquer lui-même, et certaines de ses œuvres. Tout comme il est capable d’encenser quelques collègues, que ce soit Hemingway pour sa sobriété ou encore les écrivains phares du roman noir, doté d’un fabuleux sens de la comparaison. Quoi qu’il en soit, lire beaucoup, du bon comme du moins bon, joue un rôle crucial dans la capacité à écrire (et King de donner quelques unes de ses lectures qui l’ont marqué dernièrement).
En revanche, on ne peut s’empêcher de penser que les leçons à tirer d’Écriture sont indissociables des goûts littéraires de King, et que seuls ceux qui veulent écrire dans le même style que lui suivront à la lettre ce qu’il expose. D’autres écrivains ont fait part de leurs propres principes, qui ne coïncident pas forcément avec ceux de King. Je pense notamment au beatnik Jack Kerouac, qui dans des textes trouvables dans le recueil Vraie blonde, et autres… s’est livré au même genre d’exercice pour les amateurs de la prose spontanée, diamétralement opposée à la concision vantée par King. Chacun est libre de suivre le style désiré, et pas plus King que Kerouac ne détient la vérité au sujet de la conception littéraire. C’est peut-être ce qu’on peut reprocher à Écriture : le fond est très bien organisé, très didactique et sa concision en fait un manuel de référence, mais l’auteur est un peu trop catégorique. A vrai dire, ne m’étant jamais vraiment essayé à l’écriture de fiction, je ne peux véritablement émettre d’avis quant aux conseils livrés par King.
Un évènement particulier arrivé à Stephen King avant de finaliser Écriture est l’occasion pour lui d’ajouter un post scriptum. Il s’agit de l’accident qui faillit lui couter la vie en 1999, et qui le contraignit à rester cloitrer un bon bout de temps à l’hôpital ou sur un fauteuil. Narré comme une œuvre de fiction, le récit de cet évènement (où il se fit percuter par un chauffard ivre pendant une promenade) est à la fois un autre exemple des conceptions d’écriture selon King, mais aussi l’illustration du quotidien d’un écrivain, qui pour la première fois depuis ses années de vaches maigres éprouve de la difficulté physique à exercer son activité. Même l’usage de drogues et d’alcool ne l’avait pas plongé aussi bas (il ne l’avait d’ailleurs pas affecté du tout, ni positivement ni négativement). Comment il s’en est sorti ? Par la médecine, bien entendu, mais aussi avec l’aide de sa femme, Tabitha, qui pour le coup a joué le rôle d’une version positive de Annie Wilkes, l’infirmière en charge de l’écrivain Paul Sheldon dans Misery. C’est l’occasion de lui rendre un vibrant hommage, non seulement pour cet épisode de la vie de King, mais aussi pour toute sa carrière, puisque c’est en elle que King a toujours placé toute sa confiance quant au jugement porté sur ses livres. Pour King, les conditions matérielles sont centrales au processus créatif, et à ce titre Tabitha est son point d’ancrage depuis déjà de nombreuses années, avant même qu’il ne vive de son talent. Là encore, Écriture apparaît comme un livre éminemment personnel. Derrière toutes les leçons prodiguées par King, l’impression dominante une fois le livre fermé est celle que la technique d’un écrivain n’est pas tant importante que la question des conditions d’existence, et qu’à ce titre il serait assez vain de prétendre à grand chose sur la seule base des conseils techniques donnés par l’auteur de Dead Zone. Le métier d’écrivain est dépendant de trop nombreux paramètres abstraits ou non pour pouvoir en tirer des généralités indiscutables permettant d’accoucher du roman parfait. A ce titre, Écriture fait office de curiosité utile, mais ne propose pas de solutions miracles… Après tout, l’art n’est pas une science.