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Différentes saisons – Stephen King

Different Seasons. 1982

Origine : Etats-Unis
Genre : Nouvelles dramatiques et thriller
Auteur : Stephen King
Editeur : J’ai lu

Premier recueil de nouvelles écrites par Stephen King, Danse macabre contenait vingt nouvelles de style et de qualité variables qui ont depuis fait les beaux jours de producteurs de séries B horrifiques. Différentes saisons est son second recueil, et marque le contrepied total du premier. Les nouvelles qui le composent sont au nombre de quatre, liées les unes aux autres par le biais des saisons, et trois d’entre elles furent adaptés au cinéma dans des films respectables tournés par des réalisateurs renommés. Il y a d’abord “Rita Hayworth et la rédemption de Shawshank”, devenu Les Évadés sous la caméra de Frank Darabont. Ensuite se trouvent “Un Élève doué”, porté à l’écran sous le même titre par Bryan Singer, et “Le Corps”, première du lot à avoir été adaptée. C’était en 1986, et la nouvelle devint Stand by me à l’initiative de Rob Reiner.

Récit “d’espoir, éternel printemps”, “Rita Hayworth et la rédemption de Shawshank” est le récit que fait le prisonnier Red Redding de ses trois décennies au pénitencier haute sécurité de Shawshank où il fut condamné à vie pour le meurtre de sa femme et de ses voisins. Devenu le pourvoyeur de la prison, il assista en 1948 à l’arrivée d’Andy Dufresne, un banquier condamné à perpétuité pour le meurtre de sa femme et de son amant. Crime qu’il a toujours nié. Personnage étrange et assez renfermé sur lui-même (au point de se satisfaire d’une cellule individuelle), Dufresne n’est pas à sa place à Shawshank : frêle, il commence par devenir la cible favorite des violeurs. Beaucoup plus intelligent que la moyenne, il agace aussi les matons. Puis il parvient à amadouer ces derniers en leur faisant part de ses conseils fiscaux. Désormais protégé, en charge de la bibliothèque de la prison, il ne semble pas vouloir s’arrêter là. Le matériel qu’il a commandé auprès de Red dès son arrivée laisser penser qu’il a une idée derrière la tête.. Histoire modeste et rationnelle, “Rita Hayworth…” est une sorte de biographie d’Andy Dufresne vue par les yeux d’un prisonnier fasciné par un intrus au sein de la prison et de sa rigueur dictatoriale. Malgré les épreuves traversées, Dufresne ne change jamais : il reste un homme rêveur et toujours plein d’un espoir mystérieux, celui de rejoindre la fille de son poster (Rita Hayworth fut la première) là où tous ses codétenus cèdent bien vite à leurs instincts les plus bas. Red, le narrateur, fait lui aussi figure d’exception : étant le pourvoyeur, il ne peut se permettre d’oublier les règles de vie. Ce qui fait de lui l’un des seuls prisonniers à admirer Dufresne et la résistance que celui-ci oppose au quotidien broyeur de la prison. Au contact de Dufresne, Red réapprend même à espérer. Pour lui, l’espoir est malgré tout un sentiment effrayant. La pensée des grands espaces et de la liberté s’oppose au monde clos et réglé de la prison, King en profitant d’ailleurs pour évoquer le quotidien pénitencier des détenus de longue durée. L’admiration et l’amitié qu’éprouve Red pour Dufresne se ressent à travers le style d’écriture : l’ex banquier devient un personnage presque légendaire, contrastant là aussi avec la banalité primaire des autres détenus et des matons. Le contraste est tel qu’il en apparaît presque comme un personnage féérique, fantastique, dont l’objectif de retrouver les femmes de ses posters (et les lieux où elles se trouvent sur les images) n’apparaît plus aussi chimérique. Nouvelle relativement courte (à peine 120 pages), “Rita Hayworth et la rédemption de Shawshank” est bien un récit d’espoir, habile et sensible.

“Un élève doué” est pour sa part bien plus longue. Il s’agit d’un roman de plus de 200 pages, consacré à “un été de corruption”. Si la corruption est évidente, son lien symbolique avec l’été semble moins flagrant. Là où l’espoir qui dominait “Rita Hayworth…” justifiait son rattachement au printemps, saison de renaissance, la corruption d’ “Un élève doué” n’est pas à proprement parler l’image typique que reflète la saison estivale. L’histoire ici racontée n’a d’ailleurs pas spécialement lieu en été : elle s’étend sur plusieurs années. Dans une petite ville de Californie, Todd Bowden, 13 ans, est passionné par les camps d’extermination nazis. Reconnaissant en Arthur Denker le criminel de guerre recherché Kurt Dussander, il oblige le vieillard à lui raconter les faits les plus “juteux” de son passage à la tête du camp de Patin. En échange de quoi, Todd accepte de garder le silence sur son identité. Le gamin pense ainsi avoir la situation bien en mains… La corruption que laisse entendre ce sujet est même plus qu’évidente : elle est malsaine. Voir un gamin américain confortablement installé dans son confort bourgeois, aimé de ses parents et fort d’une insolente réussite scolaire s’immiscer volontairement dans la mémoire sordide d’un ex officier nazi n’est pas la chose la plus consensuelle qui soit. Todd Bowden ne dispose vraiment d’aucune excuse : King décrit en détail sa vie parfaite, sans une seule anicroche. Il n’a pas à considérer le vieux Dussander comme une branche à laquelle se raccrocher, comme le fit le peuple allemand avec le régime nazi durant la difficile entre-deux guerre. C’est certainement cette absence de problème qui le pousse dans les bras de l’horreur absolue : n’ayant aucune raison objective d’exprimer de la haine, il vit une haine de procuration, se plaisant à se mettre dans la peau de Dussander lorsque celui-ci officiait à Patin. Il fait preuve envers le vieillard d’une arrogance absolue, son chantage lui donnant l’impression de disposer du droit de vie ou de mort sur lui. Todd se considère en quelque sorte comme un officier nazi et Dussander n’aurait d’autre choix que de tenir le rôle de sa victime. Peut-être de manière inédite, King ose faire haïr son personnage principal de 13 ans. Certes, le cinéma ou la littérature présentèrent bien quelques moutards démoniaques ou psychopathes, mais “Un élève doué” n’appartient ni au fantastique ni à la série B grand-guignol. Les lieux et les noms mentionnés ont beau être fictifs, le réalisme n’est jamais remis en question. La meilleure preuve en est que malgré sa haute corruption, Todd Bowden ne cesse jamais d’être un gosse, et la situation qu’il croyait maîtriser se retourne progressivement contre lui. En ravivant les souvenirs d’Arthur Denker, en le contraignant à se remémorer son passé, en l’obligeant à revêtir un uniforme SS pour narrer ses récits, Todd redonne peu à peu vie à Kurt Dussander, l’officier nazi qui sommeillait dans l’esprit d’un vieillard qui s’évertuait à ne plus faire de vagues. Jusqu’à ce qu’un beau jour le jeune américain se rende compte qu’il est désormais compromis jusqu’à la moelle : Dussander affirme avoir écrit une lettre maintenue en lieu sûr racontant toute l’histoire, qui serait amenée à être lue si d’aventure il venait à mourir, que ce soit de cause naturelle ou par condamnation (l’État d’Israël le recherche depuis longtemps). Avec toute son arrogance, l’immature nazillon se rend compte qu’il n’arrive pas à la cheville du vieux nazi. King fait preuve d’une grande habileté dans la logique de son histoire, de plus en plus glauque. Todd, “l’élève doué”, ne fait pas que bien assimiler ses leçons à l’école : il apprend également la cruauté et le machiavélisme auprès d’un Dussander redevenu lui-même. Sa corruption va en se décuplant jusqu’à ce qu’il cesse de vivre sa haine par procuration auprès de Dussander pour la ressentir dans son quotidien. Il s’agit d’abord de rêves puis ensuite de meurtres sur des clochards qu’il considère être comme la lie de l’humanité. De son côté, le nazi ravigoté n’est pas en reste… Aucun soldat de l’armée rouge n’étant en vue, la nouvelle progresse en accentuant le malaise, les deux protagonistes ne cessant d’agir en toute discrétion, sous couvert pour l’un de son faux nom et pour l’autre de son statut d’adolescent modèle. Après la lecture, l’explication du lien entre l’été et la corruption devient un peu plus évidente : cette nouvelle très lourde n’est pas sans évoquer la chaleur poisseuse de certains étés, qui est parfois le théâtre de drames intenses (le livre suivant de Stephen King, Cujo, jouera beaucoup de cette chaleur mortelle).

Avec ses 180 pages et quelques, “Le corps” dévoile pour sa part “l’automne de l’innocence”. Une nouvelle dans laquelle un écrivain revient sur son souvenir de jeunesse le plus marquant, quand âgé de douze ans il se lança avec trois amis dans une longue marche au milieu des bois pour aller observer le cadavre d’un enfant mort. Dit comme ça, ce sujet aurait pu lui aussi être marqué par la corruption. C’est bien pourtant le sentiment inverse qui prédomine : l’innocence. “Le corps” est l’une de ces histoires à travers lesquelles King revit sa propre jeunesse avec une forte dose de nostalgie. Le narrateur devenu écrivain populaire (éreinté par la critique), l’enfance dans une petite ville du Maine en 1960, les difficultés familiales, autant d’éléments qui trahissent la nature autobiographiques du récit. A ce titre, les commentaires d’adultes du narrateur sur les évènements qu’il décrit se montrent aussi importants que ces évènements eux-mêmes, somme toute plutôt paisibles. King (ou plutôt son alter ego Gordie Lachance) n’hésite pas à admettre que ses souvenirs sont idéalisés et que tout ce qui lui paraissait être énorme à l’époque semble aujourd’hui dérisoire : l’engueulade avec le gardien de la décharge, la vision d’un cerf au petit matin, la baignade dans une rivière infestée de sangsues, la rébellion contre les gros caïds d’Ace Merrill… Et pourtant à travers son activité d’écrivain il cherche à préserver tous ces instants à part, l’épopée entière formant un instantané du passé. Le narrateur est en quelque sorte un photographe capable d’œuvrer longtemps après les faits et de conserver toute la portée émotionnelle de son sujet. Là où tous ses amis de l’époque ont perdu ces souvenirs avec le temps, lui les a conservé en lui, et les coucher par écrit les grave à jamais. Cette capacité de conservation ne serait pourtant pas très utile si l’aventure qu’il immortalise n’avait eu aucun sens. La quête du corps est un moment privilégié dans la vie de Gordie Lachance et de ses amis, même si les autres n’en ont pas eu aussi clairement conscience. En partant de Castle Rock, leur ville natale (et la racine de toute la carrière de Stephen King), ils vivent les derniers feux de l’innocence enfantine. Ils espèrent bien revenir avec de nouveaux espoirs, tels que ceux sous-entendus par Gordie lorsqu’il leur raconte l’histoire d’un garçon rejeté qui parvint à se venger de la société. Pourtant, à l’aube de l’adolescence, les quatre enfants devront se rendre compte qu’ils sont mortels, et que leur présence sur terre ne tient pas à grand chose. Avant même d’observer le cadavre, deux d’entre eux furent à deux doigts de trouver la mort en traversant une passerelle ferroviaire. Plus encore que Gordie, c’est Chris Chambers qui “grandit” le plus vite au cours de cette histoire. Probablement le plus malheureux des quatre, il prenait déjà la vie avec les responsabilités d’un adulte. C’est principalement à lui que va l’empathie du narrateur, à la fois à la recherche d’un soutien moral pour ses propres difficultés et désireux lui aussi d’offrir ce soutien. L’amitié entre Gordie et Chris est de celles qui ne peuvent être traduites par des mots, sous peine de passer “pour un pédé” auprès des autres enfants. Même adulte, trouver les mots est une vraie gageure pour Gordie. L’écrivain a beau être un photographe, il n’est pas capable de tout retranscrire. C’est ce qui provoque la nostalgie : les instants privilégiés ne pourront jamais être tout à fait revécus. La quête du corps fut le premier tournant dans la vie des quatre garçons, une étape initiatique au terme de laquelle l’innocence s’est perdue. Chacun retourna chez lui pour y faire face à ses problèmes, et seul Gordie et ses talents de conteurs eut vraiment l’opportunité de faire quelque chose de sa vie. Chris, combattif, le seul qui du reste comprit l’histoire optimiste racontée par Gordie pendant l’épopée, essaya en vain de s’en sortir tandis que Vern et Teddy sombrèrent peu à peu et devinrent des inconnus. Avec la quête au cadavre, l’innocence connut bien son automne. King mit beaucoup de lui-même dans cette nouvelle, dressant le lien entre l’enfant qu’il fut hier et l’écrivain qu’il est aujourd’hui. “Le corps” est une vraie catharsis.

Le cycle des saisons se boucle avec “La méthode respiratoire”, qui est “un conte d’hiver”. Cette fois, au lieu de mettre en abîme sa profession d’écrivain, King passe du côté des lecteurs et évoque ses sentiments sur l’activité de lecture. David Adley, un juriste new-yorkais d’âge mûr, est convié par un collègue à assister aux soirées d’un club de lecture. Là où il s’attendait à trouver une galerie de vieillards ressassant leurs souvenirs de guerre, il tombe en fait dans un lieu apaisant, chaleureux, où le temps semble s’arrêter pendant que les invités s’adonnent sans cérémonie à la culture dans une atmosphère détendue. L’endroit n’a rien d’exceptionnel en soi, si ce n’est que les livres qui s’y trouvent sont inconnus ailleurs et ne figurent dans aucune classification bibliographique. Ce sont pourtant tous des chefs d’œuvre. King ne fait rien d’autre que de faire l’éloge de la lecture, activité qui pour lui arrête le temps, arrête les soucis, et qui constitue une intarissable source de plaisirs culturels. Le club de lecture qu’il décrit est à la lisière du fantastique : Stevens, le gérant, est un homme qui ne vieillit pas. Quant au bâtiment en lui-même, si l’on s’en réfère aux bruits entendus dans les couloirs inaccessibles, il semble construit sur un monde à part. Mais le narrateur ne s’y attarde pas, certainement pour ne pas rompre le charme de ce lieu qui pourrait bien être la représentation de l’imaginaire. Se plonger dans la lecture ouvre en fait les portes de ce monde, d’où la proximité du fantastique. Un fantastique non pas inquiétant mais enchanteur, à l’image des contes de Noël. Sur peu de pages (une trentaine), King décrit son sentiment vis-à-vis des bibliothèques et autres lieux de culture, qu’il fréquenta avec assiduité pendant son enfance. Plusieurs de ses romans ou nouvelles tourneront d’ailleurs sur le même thème, mais rarement avec un sentiment aussi apaisé. Quant à la seconde histoire, elle est en fait racontée par un des invités du club, dont une coutume veut qu’à chaque Noël un récit fantastique soit de mise. Cette année, c’est l’ancien médecin Emlyn McCarron qui s’y colle, se remémorant le souvenir de Sandra Stansfield, une de ses patientes durant les années 30. Enceinte en dehors du mariage, seule dans New York, elle vint voir McCarron pour gérer sa grossesse. Sans avoir été amoureuse, leur relation fut caractérisée par l’admiration et la confiance réciproque, symbolisée par la méthode respiratoire du Dr. McCarron, alors jugée absurde. L’amitié entre la patiente et le médecin tient en fait dans cette sensation née de la rencontre entre deux personnes esseulées, toute deux considérées avec malveillance par la société new-yorkaise (McCarron pour ses pratiques médicales et Sandra pour sa grossesse en dehors du mariage). Sur une quarantaine de page, King se contente de décrire cette forte amitié sous-entendue qui ne peut s’exprimer au-delà du cabinet médical, et qui ne s’exprime pas avec des mots (comme dans “Le corps”, à ceci près qu’ici les concernés sont adultes). Le lien entre les deux personnages réchauffe en fait leur cœur dans un monde rigoureux, dominé par l’impersonnalité et la froide rigueur. Très ambiguë, la violente fin du récit parvient à prolonger cette entente au-delà de la mort, dans le souvenir, et donc une fois encore dans la narration qu’en fait McCarron. C’est en quelque sorte une illustration du charme littéraire provoqué par le club de lecture, fortement inspiré par la Chowder Society du roman Ghost Story par Peter Straub (à qui la nouvelle est dédiée).

Stephen King conclue Différentes saisons en s’adressant directement à ses lecteurs, mentionnant le contexte d’écriture et de publication de ces quatre nouvelles, qui sont en fait des novellas, c’est à dire des textes généralement méprisés par les éditeurs, qui par leur taille (fixée en nombre de mots) se retrouvent coincés entre le roman et la nouvelle. Déjà peu enthousiaste à l’idée de publier un recueil de novellas, l’éditeur et ami de King devint carrément sceptique lorsqu’il s’aperçut que ces histoires n’appartenaient pas au genre horrifique dans lequel King s’était pourtant laissé enfermer de bon gré. Différentes saisons est un livre important dans la carrière de l’auteur, lui ouvrant la porte à de futurs récits (La Ligne verte, Cœurs perdus en Atlantide, l’essai Écriture) qui allaient lui permettre de rompre toujours temporairement avec l’horreur, genre qui lui revient instinctivement. En d’autre terme, Différentes Saisons prouve qu’un écrivain catalogué dans l’horreur peut lorsque l’envie lui prend devenir un écrivain respectable.

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