CinémaWestern

True Grit – Joel & Ethan Coen

truegrit

True Grit. 2010

Origine : États-Unis 
Genre : Western 
Réalisation : Joel & Ethan Coen 
Avec : Hailee Steinfeld, Jeff Bridges, Matt Damon, Josh Brolin…

A chaque nouveau western qui sort au cinéma, il est de coutume d’évoquer le retour du genre, et les nostalgiques d’espérer une nouvelle vague du western comme ce fut le cas par le passé. Mais force est d’avouer que le genre est tout de même très peu représenté au cinéma, et les westerns qui ont eut les joies d’une distribution cinéma internationale ces 10 dernières années se comptent sur les doigts d’une main. Parmi eux, Open Range constitue à mon sens le haut du panier, suivi de près par 3h10 pour Yuma et d’un peu plus loin par Appaloosa. Du reste je n’ai pas vu L’Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford et des choses comme Sukiyaki Western Django ou Le Bon, la brute et le cinglé semblent ne reprendre à leur compte que quelques clichés visuels du genre pour en faire totalement autre chose.
A coté de cela, d’autres films ont eu une démarche plus intéressante. Elle consiste cette fois à tourner totalement le dos à ces clichés visuels justement (des chevaux, des chapeaux et des colts) pour faire des sortes de “néo-westerns” qui sortent totalement du genre et du contexte (le 19ème siècle américain). Mais l’on retrouve bien cette mise en scène des grands espaces, ces duels où les hommes s’affrontent par les armes autant que par leurs personnalités, et cet esprit d’aventures cruelles dans des étendues pas si civilisées que cela. Ces films là renouvellent réellement le genre, et parmi eux il y a d’éclatantes réussites comme le magnifique Trois enterrements de Tommy Lee Jones, le très sombre There will be blood (avec un Daniel Day-Lewis dont la silhouette moustachue n’est pas sans évoquer Lee Van Cleef) ou encore l’excellent No country for old men réalisé par les frères Coen.

Les frères Coen qui justement franchissent le pas et réalisent cette fois un vrai western qui pourra rejoindre fièrement les trois titres que j’ai cité plus haut.
Car ici il n’est plus question de transcender le genre en changeant le contexte, on retrouve bien tous les éléments aptes à faire de True Grit un western des plus classiques.

Le film raconte l’histoire de Mattie Ross, une demoiselle de 14 ans qui n’a pas la langue dans sa poche et dont le père vient de se faire assassiner par Tom Chaney, qui s’est réfugié en territoire indien pour échapper à la justice. Mais c’est sans compter sur la détermination de la jeune fille, qui engage un Marshall pour 100$. Ensemble ils se lancent à la poursuite du criminel…

Si ce synopsis vous rappelle quelque chose, c’est normal car True Grit est le remake de 100 dollars pour un Shérif, l’un des derniers films de John Wayne, réalisé par le grand Henry Hathaway et qui vaudra au Duke son unique oscar. Mais au lieu de remake on devrait plutôt parler de “relecture” puisque les frères Coen confessent avoir voulu réaliser une nouvelle adaptation du livre éponyme de Charles Portis. Outre-atlantique le lien entre les deux films est plus manifeste puisque True Grit est le titre original de 100 dollars pour un Shérif. En l’état, des différences substantielles subsistent entre les deux films. Si la trame principale et les thèmes sont les mêmes, les spectateurs les plus attentifs noteront des divergences dans le final, ainsi que lors d’une fusillade clé dans le film. Cela dit, en dehors de la même origine, les deux films n’appellent pas tant à la comparaison et demeurent assez différents dans leur traitement. Le film de Hathaway étant l’un des derniers fleurons de la période classique du western mettant en avant de fantastiques chevauchées au sein de paysages grandioses, tandis que le film des frères Coen se veut, comme à leur habitude, plus une étude de caractères d’individus aux caractères trempés (allant parfois jusqu’à la stupidité). Je vais donc arrêter là les différences (d’autant que ma mémoire de 100 dollars pour un Shérif est assez lacunaire !).

Dans tous les cas, il s’agit donc d’un vrai western qui nous conte une histoire d’hommes et de courage (ce que désigne le “grit” du film, dont le sens exact est difficilement traduisible, mais cela signifie “courage et détermination” d’une manière familière, un peu notre équivalent “d’avoir des couilles” en somme).
La particularité de l’histoire étant que le “vrai courage”, bien qu’il se rapporte avant tout, dans les dialogues, au personnage du marshall Rooster Cogburn, caractérise en réalité tout le trio de héros du film, et surtout la petite fille de 14 ans, personnage inhabituel pour un western s’il en est !
Qui dit vrai western dit aussi contexte de la conquête de l’ouest. Et là encore, nous sommes en plein dedans. Le film se situant à l’époque charnière de l’histoire des États-Unis où les individus se dotent d’un système judiciaire d’État, qui commence à aller à l’encontre de la justice personnelle, où les coups de colt tirés dans le dos servent à régler les comptes. Ce n’est donc pas un hasard si le film s’ouvre sur une séquence de lynchage (justice populaire par excellence) pour se poursuivre dans un tribunal, où l’on découvre le personnage de Cogburn, sommé de justifier ses actes devant des avocats et un jury. De manière fort maligne, le scénario intègre donc son histoire de vengeance et de quête de justice dans un contexte plus large qui traite de la construction de l’idée de justice dans l’histoire des États Unis. Une idée de justice pour partie basée sur l’autodéfense, directement liée à l’usage du colt lors de la conquête de l’ouest et qui aura donné naissance au deuxième amendement auxquels les américains tiennent tant, dans la mesure où ils considèrent que le port d’une arme constitue une part de leur culture, issue pour partie du western justement !

Assurément, en tant que western, True Grit constitue ainsi un film sur l’identité américaine. L’Amérique est une nation dont le passé le plus ancien est justement cette conquête de l’ouest, dont l’histoire a été magnifiée par les westerns mettant en avant le caractère héroïque des premiers américains. Ce que fait très bien True Grit, en distanciant tout de même son propos. En effet il n’est pas question ici de faire une œuvre de propagande, mais plutôt d’alimenter la réflexion sur le genre par petite touches.
Bien que les frères Coen signent là leur première incursion dans ce genre, ce n’est finalement pas étonnant de voir ces réalisateurs qui ont, depuis leurs débuts dans le film noir, toujours traité de l’Amérique dans leurs films. D’autant que le film noir est, malgré son nom d’origine française (en américain, “film noir” se dit “film noir”, prononcez “filme noawr”) et son esthétique issue de l’expressionnisme allemand, un genre cinématographique lui aussi typiquement américain, au même titre que le western. D’ailleurs la plupart des grands réalisateurs américains de western ont signés d’admirables films noirs (on pense à Howard Hawks évidemment qui réalise Rio Bravo -le western classique le plus célèbre ?- et Le Grand sommeil entre autres, cela va jusqu’à Peckinpah dont l’illustre et inégalable La Horde Sauvage sera suivi quelques années plus tard par un excellent Guet-apens, et bien sûr Henry Hathaway qui en plus du film remaké par les frère Coen a donné au film noir un joyau avec le formidable Carrefour de la mort).

True Grit contient à ce titre de très nombreux éléments qui ne dérouteront pas du tout les amateurs du cinéma des deux frères réalisateurs, qui gardent leur patte si reconnaissable même dans ce genre nouveau pour eux. Bien que très éloigné des expérimentations de A Serious man, leur dernière œuvre comporte ce même sens de l’humour à froid qui caractérise les frangins. Personne ne sera ainsi étonné de voir surgir des personnages, souvent très stupides, à but uniquement comique. L’intérêt des réalisateurs pour les personnages idiots et losers est devenu célèbre à tel point que certains y voient une véritable marque de fabrique. Mais malgré ces touches d’humours, le ton du film reste tout de même très sérieux, sans atteindre toutefois la noirceur de No country for old men. L’ambiance reste à l’aventure et l’héroïsme, ce qui sied très bien à l’intrigue du film. Les passages exaltant les prouesses héroïques des héros sont bel et bien présents et bien que peux nombreux, ils occupent une place importante dans l’histoire. Leur mise en scène est par ailleurs très juste, donnant à ces scènes l’ampleur qu’elles méritent tout en maintenant une certaine sobriété bienvenue. On sent à ce propos que ce n’est pas tant ces scènes, ni même la réflexion sur la justice aux États-unis qui intéresse les deux réalisateurs, mais bel et bien les personnages de cette intrigue.

Souvent très cyniques et peu tendres envers leurs héros (tout le monde se souvient notamment de Fargo et le sort souvent cruel réservé aux personnages) les deux frères adoptent ici un ton plus tendre, proche de celui qu’on trouve dans O’Brother, et on devine parfois une vraie affection pour le trio de héros du film.
En effet leurs actions sont souvent magnifiées, et si les réalisateurs s’amusent un temps des travers de chacun des héros (car évidemment ils ne sont pas parfaits non plus), au final ce qui est mis en avant c’est bel et bien leur courage, leur profond sens de la justice et l’amitié qui se sera liée entre eux au cours de leur aventure. Cela nous rend d’emblée ces personnages très attachants, l’avis des réalisateurs nous étant proposé comme seul point de vue jeté sur cette histoire. Et le film de prendre parfois des détours un peu manichéens, ce qui ne déparait toutefois pas avec le classicisme revendiqué de ce western. Les méchants sont ainsi incarnés par une brochette d’acteurs à la gueule burinée, qui auraient pu sans mal figurer au casting d’un western spaghetti ou d’un film de Peckinpah. En outre ils sont peu gâtés par le maquillage qui leur rajoute quelques tares physiques (Josh Brolin se voit ainsi affublé de disgracieuses tâches noires sur le visage, tandis que d’autres acteurs secondaires ont les lèvres tordues ou l’air débile). Cela n’empêche toutefois pas le casting d’être d’excellente qualité et tous les acteurs parviennent à tirer leur épingle du jeu, gentils comme méchants. Évidemment le trio de héros tire un peu la couverture à lui. Mention spéciale à un Jeff Bridges à la voix plus éraillée que jamais, dont l’interprétation, si elle n’a pas été récompensée, n’a cependant pas à rougir de la comparaison avec celle du Duke dans le film de 1969. A ses côtés Hailee Steinfeld constitue à n’en pas douter la révélation du film, tandis que Matt Damon excelle dans un rôle tout en nuances, auquel l’acteur ne nous avait pas habitué.

Au final True Grit apparaît comme un western très réussi sur tous les plans. Sa plus grande qualité étant d’offrir au spectateur un grand spectacle d’aventures peuplé de personnages marquants et attachants. Et même si je lui préfère la noirceur et l’originalité d’un No country for old men, True Grit est un très bon élément dans la filmographie des frères Coen et un très bon film tout court.
On aurait tort de s’en priver !

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