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La Tour sombre IV : Magie et cristal – Stephen King

The Dark Tower IV : Wizard and Glass. 1997

Origine : Etats-Unis
Genre : Fantasy
Auteur : Stephen King
Editeur : J’ai lu

Étrange fin que celle de Terres perdues, qui s’arrêtait en plein milieu du défi de devinettes lancé par Blaine le monorail au ka-tet de Roland Deschain (oui, je sais, dit comme ça, ça a l’air tarte, mais ça ne l’est pas trop à la lecture). Pendant six ans, les lecteurs ont dû prendre leur mal en patience avant de découvrir le dénouement de ce “cliffhanger”, qui de l’aveu de Stephen King au moment de l’écriture du troisième tome de La Tour sombre ne disposait d’aucune fin toute prête. Dans la postface de Magie et cristal, l’auteur ne justifie pourtant pas cette trop longue absence par la résolution de l’épisode “Blaine le mono”, mais par la difficulté de la tâche qu’il s’assigne. Car oui, Magie et cristal est pour sa très grande partie un aparté au sein de la quête de la Roland, du moins par rapport à ce qui concerne le moment présent, celui qui depuis le premier épisode est celui qui sert de référence. Ce roman est un long, très long flash-back nous dévoilant la première mission de Roland en tant que pistolero, à l’âge de quatorze ans. Un récit essentiel, en ce sens qu’il nous permet enfin d’en savoir plus au sujet de Cuthbert, de Alain et de toutes les autres figures avec lesquelles le pistolero a grandi et qui ne dépassaient jusqu’alors pas le stade de la simple évocation. Et cependant, aussi étoffé soit ce récit et aussi crucial soit-il pour bien cerner les tenants et les aboutissants de la quête pour la Tour, sa présence ici n’est pas sans poser un problème purement littéraire, prévisible dès le premier tome de la saga, le très brouillon Pistolero. A savoir que King sacrifie un tome entier à ce passé, rompant une quête qui avait déjà été longue à se mettre en place (seul le troisième volet ne tournait pas autour du pot et faisait progresser les personnages vers la Tour). L’impression que la saga entière est décidément beaucoup trop hachée ne s’en trouve que renforcée. L’autre solution aurait consisté à dévoiler le passé de Roland par petites touches, mais cela aurait probablement été encore pire, le premier tome en faisant foi. King a donc opté pour la solution du moindre mal, et encore… car une fois le présent tome achevé, il reste encore de grosses zones d’ombre sur le passé du pistolero. Et donc il y a fort à parier que les futurs tomes seront parasités par un nouveau retour dans le passé, que ce soit comme ici en un seul bloc ou sous une forme plus éclatée. King paye le tribut d’avoir initié sa saga de façon non linéaire, sans avoir un plan clairement établi. Il progresse par à coup, et La Tour sombre, de loin son œuvre la plus ambitieuse, continue à partir dans toutes les directions. La “Jupiter du système solaire de son imaginaire“, dit-il avec raison. En tant que création littéraire, La Tour sombre est un monstre tentaculaire qui finit par déborder sur tous ses autres romans, et qui contient “l’ensemble des mondes” qu’il a créé, avec une parenté supérieure entretenue avec Le Fléau (mais aussi dans le présent roman avec Shining)… au point qu’il devient impossible pour King de se concentrer sur la véritable quête, qui comme c’est le cas ici apparaît presque bâclée. Car autour du long flash-back se trouvent le dénouement de l’épisode “Blaine le mono” et la première rencontre avec Randall Flagg, le magicien venu de l’enfance de Roland et l’homme noir sorti du Fléau. Démarrer un roman par ce qui aurait dû être le dénouement du précédent n’est certainement pas le bon moyen d’immerger le lecteur (à moins d’exiger que celui-ci lise les deux à la suite). De l’eau a coulé sous les ponts, et toute la tension accumulée au cours de la lecture de Terres perdues n’existe plus. On ne fait alors plus grand cas de Blaine le mono et de son jeu de devinettes. Le climax du livre précédant devient ici une simple péripétie, comme si King avait déjà en tête la tâche qui l’attend dans le flash-back. Mais pire encore est le sort réservé au final de Magie et cristal : alors qu’il vient de consacrer 700 pages au passé du Roland, et qu’il ne s’est pas privé pour faire naître des émotions, pour soulever des interrogations, King attend du lecteur qu’il se réinvestisse immédiatement dans la quête de la Tour pour une rencontre importante avec Randall Flagg. Même si l’auteur essaye de faire le lien entre le contenu du flash-back et les aventures dans le palais de Flagg (inspiré plus qu’un peu du Magicien d’Oz), il est difficile de se sentir concerné. D’autant plus qu’à ce stade du roman, King semble lui-même avoir eu hâte d’en finir, puisqu’il se montre étonnamment succinct, lui qui au contraire se montre généralement très prolixe. La brièveté de ce dénouement n’aide pas vraiment à repartir sur des bases solides. Ni l’auteur ni le lecteur n’en avait précisément envie à ce stade du roman, ce qui souligne une nouvelle fois les gros problèmes de découpages dont souffre la saga. Les critiques des romans de La Tour sombre présentes sur Tortillapolis sont rédigées dans l’ordre, sans connaître le contenu du roman suivant. Je ne peux donc qu’espérer que King se montrera par la suite moins dispersé, et qu’il considérera sa saga non plus comme le symbole de tout un imaginaire, mais comme une histoire, aussi épique soit-elle (les dates de publication rapprochées des trois tomes restant sont en tout cas rassurantes : elles laissent espérer que King en a fini avec les tâtonnements… car rappelons qu’en quatre tomes, seul Terres perdues a fait avancer le shmilblick !).

Maintenant, place au fameux flash-back, qui est très paradoxal. Car si sa présence tombe comme un cheveu sur la soupe alors que la quête de Roland venait enfin de prendre son envol, le récit en lui-même est relativement simple et épuré. King a déjà dévoilé ce qui le précède dans les tomes précédents, et on sait déjà à quoi ressemblera le futur. A ce stade de sa vie Roland est inexpérimenté. Il n’y a donc guère d’allées et venues dans le temps, si ce n’est à travers le cristal du magicien, utilisé surtout vers la fin et qui nous donne des visions sur l’avenir. Le reste est d’une sobriété confinant parfois à la simplicité.
Fraichement élevé au rang de pistolero, Roland est envoyé par son père avec ses amis Cuthbert et Alain dans la baronnie de Mejis, officiellement pour y compter les denrées et le matériel pouvant à l’avenir être utilisés par l’Affiliation (le pouvoir central sis à Gilead), officieusement pour être tenus à l’écart des manœuvres menées par l’Homme de bien, Farson, ennemi de l’Affiliation. Mais la paisible Mejis n’est pas ce qu’elle semble être : Farson y a dépêché des hommes à sa botte menés par l’impitoyable Jonas pour y subtiliser tout ce dont il aura besoin dans sa guerre contre l’Affiliation, avec l’accord des autorités de Mejis corrompues. Découvrir et déjouer ce plan serait relativement facile aux trois minots envoyés par Gilead si il n’y avait pas Susan. Future promise du maire Thorin, dont elle devra porter l’enfant, sa route va croiser celle de Roland et ils vont bien entendu tomber amoureux. Réticente à son union avec le maire Thorin, Susan va intégrer le ka-tet de Roland et l’aider dans sa lutte contre Jonas. Tout ceci bien entendu sous le sceau du secret, même si personne n’est dupe que Mejis va être le théâtre d’un affrontement important.

Du western mâtiné d’un peu de fantasy. Voilà ce que l’on peut dire de Magie et cristal (ou du moins du flash-back), livre qui de l’aveu de King s’est écrit dans la douleur, principalement en ce qui concerne la romance entre Roland et Susan. Et pourtant, de part la densité du récit, on jurerait que King a pris un plaisir monstre à créer ce petit monde de Mejis, ses non-dits, ses machinations, ses amours secrets et bien entendu ses aspects surnaturels (surtout présents via la sorcière et sa boule de cristal). King ne s’est jamais caché d’être un romancier populaire, d’avoir été inspiré par une culture de masse, et ce versant de son profil d’écrivain est ici prédominant. Ainsi, Magie est cristal fait figure de synthèse entre différents éléments issus du western, de la fantasy, de l’eau de rose médiévale. Il ne faut pas vraiment s’attendre à quelque chose de profond, nous ne sommes pas dans un des romans personnels de King comme peuvent l’être ceux qu’ils consacrent à l’enfance, ou aux écrivains (sans parler de l’enfance d’un écrivain !). Par contre, nous avons droit à un monde où les redresseurs de torts se confrontent à la main-mise de bandits sur un village, où il existe une sorcière dans une cabane isolée et où deux adolescents découvrent l’amour et le sexe en cachette, bravant les interdits et les projets conçus par leurs aînés. Malgré les références faites à la Tour sombre et au futur de Roland, ce sont bien ces aspects qui intéressent le lecteur, aussi éculés puissent-ils paraître. Car King réussit à lier le tout dans une intrigue passionnante, où tout est imbriqué sans qu’on ne puisse parler de sous-intrigues. Ainsi, les coucheries nocturnes entre Roland et Susan peuvent jouer sur le complot mené par les hommes de Farson via la sorcière Rhéa et sa boule de cristal. Chaque scène a un rôle à jouer, et si l’intrigue conçue par King n’est pas des plus novatrices elle se distingue par son aspect extrêmement bien huilé, ne cédant jamais à la gratuité (tout l’inverse de La Tour sombre en tant que saga, pourrait-on dire). Il est vrai que King place cette intrigue dans un cadre auquel il est désormais rompu, celle d’une petite communauté. Plus que la maîtrise des genres dont il se sert ici, c’est certainement cette expérience dans la gestion et la hiérarchisation des relations entre protagonistes qui joue dans la réussite de ce roman au sein du roman. De là découle aussi tous les sentiments complexes que l’on éprouve pour les différents personnages d’importance, ce qui dans tout roman de “communauté” est décisif. Le jeune Roland n’est pas ici le sous-Homme sans nom qu’il deviendra : il est déjà un pistolero, mais il est tiraillé entre son devoir et ses penchants personnels. Susan est quant à elle coincée dans une double vie qui la fait peu à peu sortir du stéréotype de la demoiselle en détresse. Les amis de Roland sont pour leur part partagés entre leur amitié pour Roland, qui les pousse à laisser leur chef vivre sa vie, et la nécessité de le pousser à faire des choix avant qu’il ne soit trop tard pour déjouer le complot de Jonas. Du côté des “méchants”, ce n’est pas la psychologie des personnages eux-mêmes qui a droit au développement de l’auteur, mais plutôt leurs antagonismes. Car ils se trouvent divisés : entre la bande à Jonas, le maire, la tante de Susan, Rhéa la sorcière et les autres, leur alliance est bien fragile. King nous place en fait dans une situation où l’on ne peut que rester scotchés au livre jusqu’à ce que toutes les cartes se découvrent (il emploie d’ailleurs la métaphore des castels, un jeu de Mejis que l’on comparera à un jeu d’échecs). Et il a le chic pour entretenir le suspense en lâchant régulièrement quelques petites phrases annonciatrices des prochains chapitres, et qui nous poussent tout droit vers une issue que l’on sait funeste. Le pivot du récit n’est pas seulement de savoir ce qui va se passer, mais aussi comment cela va se passer.

Dans son ensemble, Magie et cristal brille donc par tout ce qui n’est pas relatif à La Tour sombre. Plutôt qu’une pierre blanche au sein du cycle, le livre se lit comme une histoire très solide, ayant sa propre vie. C’est à se demander si King ne s’est pas fendu de ce flash-back finalement léger pour s’accorder un peu de répit supplémentaire avant de poursuivre la quête de Roland, tout en faisant mine d’y œuvrer pour calmer les lecteurs les plus impatients, qu’il continuera à faire poireauter jusqu’en 2003 et Les Loups de la Calla (à sa décharge, il est vrai que son accident de 1999 l’a un temps éloigné du traitement de texte). Entre les deux, ils n’auront qu’à se consoler sur une nouvelle anodine, “Les Petites sœurs d’Eluria”, et sur les références à la Tour sombre faites dans Cœurs perdus en Atlantide.

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