CinémaHorreur

Vamp – Richard Wenk

Vamp. 1986.

Origine : États-Unis
Genre : Vamp flash
Réalisation : Richard Wenk
Avec : Chris Makepeace, Robert Rusler, Dedee Pfeiffer, Sandy Baron, Gedde Watanabe, Grace Jones.

A.J. et Keith souhaitent intégrer la confrérie des Emma Dipsa Phi non pas pour des questions de prestige mais parce que ça leur permettrait de quitter la chambre qu’ils occupent actuellement et dont l’environnement ne leur sied guère. Seulement, ils ne sont pas prêts à supporter n’importe quoi. Trouvant la cérémonie d’admission ridicule et soporifique, ils le disent ouvertement. Face à ce camouflet, les membres de la confrérie n’envisagent plus leur admission d’un très bon œil. Or A.J. n’est pas du genre à se laisser démonter. En contrepartie de leur admission, il se vante de pouvoir leur procurer la moindre de leurs envies en vue d’animer la fête d’admission. Et leur choix se porte sur une stripteaseuse. Un défi de taille que A.J. se fait fort de relever, au grand dam de Keith. Le campus ne croulant pas sous les candidates, les deux copains décident d’arpenter les clubs de la ville pour en convaincre une de participer à leur soirée. N’ayant pas de voiture, ils demandent à Duncan de leur prêter la sienne. Plein aux as mais sans amis, il accepte à condition de pouvoir les accompagner. A.J. et Keith cèdent à sa requête à contrecœur. Ils débarquent donc en ville en trio et jettent leur dévolu sur le club After Dark où les numéros s’enchaînent jusqu’à celui de Katrina. Subjugué, A.J. en est certain, c’est elle qu’il leur faut.

Quand le Dracula de John Badham et le Nosferatu, le fantôme de la nuit de Werner Herzog sortirent en l’an de grâce 1979, nous ne le savions pas encore mais il s’agissait alors des derniers feux du célèbre comte sur grand écran, que ce soit sous son nom de scène popularisé par Bram Stoker ou sous son pseudonyme officieux. Mon honnêteté et mon sens de l’exhaustivité me poussent néanmoins à citer Les Charlots contre Dracula, triste pitrerie signée Jean-Pierre Desagnat en 1980 qui après le tout aussi affligeant Dracula Père et Fils d’Édouard Molinaro sorti en 1976 (et avec Christopher Lee en personne, s’il vous plaît !), confirmait que le cinéma français de l’époque ne prenait pas ces choses-là très au sérieux. Leur chef de file momentanément mis sur la touche, les vampires n’allaient pas pour autant déserter les écrans de cinéma. Ils allaient au contraire trouver une seconde jeunesse et prendre diverses formes au gré des envies de réalisateurs le plus souvent débutants. On note au début une nette tendance pour le côté classieux du vampire, que ce soit les gravures de mode pour magazines en papier glacé de Les Prédateurs, dans lequel Tony Scott se vautre dans un maniérisme daté, ou le dandy des quartiers pavillonnaires de Vampire, vous avez dit vampire ?, petite production sans prétention mais qui a su trouver le juste équilibre entre modernité et tradition. Nouveau venu dans le métier, Richard Wenk prend le contrepied de ce cliché, aidé en cela par les quelques impératifs que le producteur Donald P. Borchers lui avait soumis, à savoir la présence d’un vampire (l’évidence), d’une strip-teaseuse et d’un trio d’étudiants. A charge pour lui de concocter le meilleur cocktail avec ces ingrédients dignes d’un teen movie… avec supplément hémoglobine.

Les comédies adolescentes ne sont pas nées avec les années 80 (souvenons-nous du American College de John Landis en 1978) mais ont incontestablement explosé durant cette décennie, comme du reste tout un pan de la production de l’époque qui s’articulait autour de personnages adolescents. C’était la décennie du slasher, des films de John Hughes ou encore du film d’horreur familial dans le sens où le drame impliquait souvent toute la famille (Poltergeist, Critters). Les enfants et les adolescents étaient partout. Et surtout dans les salles de cinéma. Devenu un enjeu économique majeur, l’industrie du cinéma a bien évidemment tenu compte de ce nouveau public dans l’orientation de ses productions. Ce qui ne va pas sans laisser encourir un risque d’aseptisation et d’infantilisation d’une production cinématographique de plus en plus soumise au marketing. Des risques inhérents à un mode de pensée qui tend davantage vers la rentabilité mais qui peuvent parfois être contrebalancés par une inventivité et une forme de légèreté qui dans certains cas parviennent à toucher juste, voire à faire date. Vamp ne joue clairement pas dans cette catégorie. Film quelque peu oublié, il relève aujourd’hui de la pure curiosité, réhaussée par la présence de Grace Jones, femme multicartes qui après le milieu de la mode et de la musique étendait son champ d’action au cinéma. Dans le rôle quasi mutique de Katrina, elle constitue la principale attraction du film sans non plus en être l’élément essentiel. Au-delà de son statut de vampire en chef, elle fascine par sa seule présence, concentré d’érotisme et d’animalité saupoudré d’une pincée d’étrangeté. Elle fait de Katrina non pas un personnage à part entière disposé à intégrer le bestiaire fantastique mais plutôt une nouvelle facette de son talent protéiforme. Son numéro de danse sur la scène de l’After Dark Club doit autant à Flashdance qu’à une performance d’art contemporain, sachant que les peintures qui lézardent son corps sont l’œuvre de l’artiste Keith Haring. A ce titre, Vamp est un condensé de ces années 80 chics et mode à l’éclairage bigarré (le vert et le rose) qui renvoie autant à l’imagerie du clip vidéo qu’au cinéma de Dario Argento voire George Romero période Creepshow. Richard Wenk s’appuie ainsi sur une direction artistique irréprochable qui transforme un quartier d’une grande ville américaine en no man’s land entièrement sous l’emprise des vampires. De la fillette égarée au conducteur de bus en passant par l’éboueur ou le réceptionniste de l’hôtel du coin de la rue que Keith et Allison croisent tour à tour sur leur chemin, tous se révèlent être des vampires. Il n’est pourtant nullement question d’expansionnisme ou de toute volonté de diriger un jour le monde. Déjà parce qu’un monde peuplé uniquement de vampires les conduirait à leur perte et parce qu’ils aspirent simplement (enfin surtout Vic, le monsieur Loyal du club) à déménager à Las Vegas. Des ambitions réduites pour des vampires qui trouvent leur équilibre dans l’anonymat. Hors de question pour eux de créer une psychose ou de nourrir des légendes, ce qui tendrait à braquer les projecteurs sur eux. Ils mettent un point d’honneur à ne s’attaquer qu’à des personnes seules ou isolées, afin d’éviter les problèmes. Et pour cela, ils détournent habilement l’une des règles immuables propres aux vampires en misant sur ce qui fait tourner le monde, le sexe.

La figure du vampire s’est toujours accompagnée d’un parfum de subversion propre à l’érotisme qu’elle induit. Qu’il soit homme ou femme, le vampire des origines incarne une forme de séduction malfaisante mais libératrice à l’échelle de la société corsetée du XIXe siècle. S’il ne joue plus forcément ce rôle au sein de la société des années 80, le vampire conserve néanmoins un grand pouvoir d’attraction. Après tout, son mode de survie revient à séduire ses victimes pour pouvoir par la suite s’en délecter en un rapport charnel plus ou moins appuyé, soit la motivation principale de l’adolescent en rut dans bon nombre de productions américaines. L’envie de tirer son coup ou, a minima, de se rincer l’œil tient lieu de programme immuable, lequel se teinte d’un point de vue moralisateur lorsque la mort se trouve au bout du chemin, finalité récurrente d’un sous-genre qui connaissait alors son âge d’or, le slasher. En somme, le cinéma d’horreur contemporain laisse entendre qu’il conviendrait de ne pas succomber aux plaisirs de la chair de manière inconséquente sous peine d’être puni à jamais. Le vampire ne partage pas cette problématique. Puni, il l’a déjà été et son existence frappée d’éternité n’est dès lors plus qu’une quête éperdue de luxure et de domination. A travers cette figure hérétique qui par son immortalité lance un défi au religieux, se joue le sempiternel combat entre le Bien et le Mal. Rien de tel dans Vamp. Le film de Richard Wenk se détache de ce schématisme par une approche transversale de son sujet. Ici, il n’y a pas de notion de bien ou de mal, seulement un trio de jeunes hommes perdus en territoire hostile. Il n’est pas question de lutter contre quelque chose mais plutôt pour sa survie. Encore que de A.J., Duncan et Keith, seul ce dernier prendra peu à peu conscience du cauchemar dans lequel ils se trouvent. Keith cultive l’image du héros bien sous tous rapports, celui qui était le moins emballé à l’idée de se rendre dans un club de strip-tease, et donc le plus à même de perpétuer l’idée de pureté comme unique planche de salut. Une image que ses liens avec Allison (Dedee Pfeiffer, sœur de et véritable rayon de soleil du film) viennent ternir, ajoutant une pincée de goujaterie à ses airs angéliques. Au fond, et en dépit de l’issue romantique du récit, il n’y a que son amitié avec A.J. qui compte pour Keith. Une amitié profonde et sincère que Richard Wenk rend prégnante en quelques courtes séquences, a priori anodines, mais qui en disent long sur la complicité qu’ils entretiennent. Celle-ci est d’ailleurs poussée jusqu’à l’absurde, preuve que la bromance l’emporte sur la romance. Les femmes du film sont des objets de convoitise et de désir, des pis-aller afin d’égayer une vie morne et laborieuse. Une distraction qui joue de l’appétence des hommes pour le corps féminin dans des lieux qui leur donnent l’impression de pouvoir les posséder alors qu’ils n’en sont que les esclaves. En une malicieuse inversion du paradigme propre aux vampires, ce sont désormais ces derniers qui attirent leurs proies chez eux plus qu’ils ne cherchent à être invités par elles. Richard Wenk fait de ces clubs de strip-teases des lieux de réunions pour âmes égarées, des lieux pour se perdre à jamais dans le plus strict anonymat. A premières vues, A.J., Duncan et Keith jurent au milieu de cet aréopage de laissés pour compte. Leur statut d’étudiants leur ouvre un monde de tous les possibles, cette virée n’étant vouée qu’à être une parenthèse récréative dans un parcours estudiantin balisé. Or la solitude, le vide existentiel n’attend pas le nombre des années. Duncan, prototype même de la réussite chère aux États-Unis des années Reagan, illustre in fine que l’argent ne fait pas le bonheur. Lui qui est contraint de marchander une amitié de circonstance ne doit pas regretter sa nuit, sans nul doute le moment le plus excitant – dans tous les sens du terme – de sa morne existence, même si elle ne connaîtra pas de lendemain.

Par son titre, Vamp sous-entend que les vampires au féminin seraient les nouvelles femmes fatales aux yeux d’une industrie toujours soucieuse de renouveler les figures connues. Il ne s’agit en réalité que d’une influence parmi d’autres pour un film qui en regorge. Richard Wenk emprunte notamment aux films de danse alors en vogue à l’époque et s’engage dans la voie de la déambulation nocturne. Vamp s’inscrit ainsi dans la mouvance de Série noire pour une nuit blanche et plus encore de After Hours, puisque comme dans le film de Martin Scorsese, la principale préoccupation des protagonistes consistent à quitter le quartier dans lequel ils se retrouvent coincés. Le monde de la nuit est un monde à part, régi par d’autres codes et où tout semble pouvoir arriver. Il offre la perspective de récit à la liberté folle où le moindre grain de sable peut se muer en catastrophe. Cette promesse, Vamp ne la tient que dans son premier tiers, s’essoufflant dès la première morsure. Les quelques idées qui émaillent le récit (ces danseuses qui se maquillent l’une l’autre au travers d’un miroir dont il ne reste que l’encadrement, faute de pouvoir se mirer dans son reflet) relèvent de l’anecdotique et ne suffisent pas à lui redonner un second souffle. Richard Wenk cède alors à la facilité, un humour grossier qui tend à décrédibiliser ses vampires alors qu’il avait su si bien les introduire. Pas désagréable en soi, Vamp laisse sur un sentiment ambivalent, celui d’avoir assisté aux débuts d’un réalisateur prometteur mais qui ne transformera jamais l’essai.

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