CinémaComédie

Quand la panthère rose s’emmêle – Blake Edwards

quandlapanthererosesemmele

The Pink Panther strikes again. 1976

Origine : Royaume-Uni / États-Unis 
Genre : Comédie 
Réalisation : Blake Edwards 
Avec : Peter Sellers, Herbert Lom, Lesley-Anne Down, Burt Kwouk…

S’il fallut attendre sept ans avant que l’inspecteur Clouseau ne revienne sur les écrans pour le troisième volet de La Panthère rose, et même 11 ans si l’on considère qu’une vraie Panthère rose se doit d’être réalisée par Blake Edwards et jouée par Peter Sellers, l’attente fut brève pour le quatrième… Trop brève ? Suite au succès du Retour de la panthère rose, tout le monde se précipita pour une séquelle immédiate, dont le scénario fut, à l’instar de celui du film précédent, basé sur l’un des sujets conçus par Blake Edwards lorsque celui-ci envisageait de transformer sa saga (alors en sommeil) en série télévisée. Ajoutons à cela que les relations entre Edwards et Sellers s’étaient fortement dégradées, que la santé de Sellers déclinait et que le film fut amputé d’une vingtaine de minutes pour mieux convenir aux critères de durées de l’époque… On aurait donc pu s’attendre à ce que Quand la panthère rose s’emmêle soit un produit bâclé. Et bien non ! C’est tout simplement le meilleur de la saga, un sommet seulement dépassé par The Party dans les filmographies pourtant remarquables d’Edwards et de Sellers.

Pré-générique.
Nous avions quitté le commissaire divisionnaire Dreyfus (Herbert Lom) à l’asile, pris d’une folie meurtrière à l’encontre de son subordonné l’inspecteur Jacques Clouseau. Mais maintenant, il va mieux. Il est capable de rester maître de lui lorsqu’on évoque son ennemi, et quoiqu’il aimerait bien réoccuper son poste, il a même accepté l’idée que Clouseau lui ait succédé. Ses médecins le pensent guéri. Ils lui font même savoir qu’ils envisagent une sortie très prochaine, validée après une réunion qui se déroulera l’après-midi même. Mais entre temps, Dreyfus reçoit la visite de Clouseau, et une série de catastrophes le font replonger dans ses vieux démons.
Et sans transition, générique de début, dans lequel le cartoon de Clouseau se rend dans un cinéma et assiste à quelques scènettes dans lesquelles la célèbre panthère rose pastiche des classiques (Alfred Hitchcock présente, Batman, Dracula, King Kong, La Mélodie du bonheur, Cadet d’eau douce, Chantons sous la pluie, Sweet Charity… et pour le générique de fin, ce sera Les Dents de la mer) tandis que Mancini revisite les thèmes musicaux de ces succès pour les adapter au jazz des Panthère rose.

Difficile de souligner les qualités d’un film aussi fou que celui-ci sans toucher un mot de son entame. Modèle du genre, le pré-générique est davantage qu’une mise en bouche : c’est une véritable tornade prenant la forme de Jacques Clouseau, venu en quelques minutes ruiner les efforts des médecins et faire voler en éclat la douce quiétude ressentie par Dreyfus dans son cadre bucolique. Cette tornade faite d’un enchaînement de maladresses retombant toutes sur Dreyfus emporte non seulement la raison de ce dernier en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, mais aussi l’attention du spectateur, qui ne peut que s’en retrouver scotché. Edwards a ferré sa proie, le public, et ne la lâche pas comme ça, l’achevant ensuite par son générique cinéphage de toute beauté enjolivé par la partition de Mancini. Un véritable départ en fanfare pour ce qui sera un sommet de loufoquerie.

En droite lignée de ce prologue résumant à lui seul ce que Clouseau a fait subir à Dreyfus par le passé, le véritable sujet du film est en fait l’évasion de l’ex commissaire divisionnaire, sorti de l’asile pour devenir un terroriste international à la tête d’une bande formée par les bandits les plus redoutés, achetés par le magot d’un casse juteux. Après avoir établi sa planque dans un château bavarois, il fait kidnapper le professeur Fassbender, dont la dernière invention est capable de détruire la planète toute entière. Dreyfus exige des nations de l’ONU qu’elles éliminent Clouseau, sans quoi il fera usage de son armement à grande échelle. Pendant ce temps là, le principal concerné se trouve en Angleterre, où il avait été appelé pour enquêter sur le kidnapping alors irrésolu de Fassbender. C’est comme à son habitude par les plus grandes des coïncidences qu’il remontera la piste jusqu’en Bavière, sans même être conscient ni de la situation mondiale actuelle, ni de l’identité de celui qu’il recherche, qu’il a toujours traité de façon on ne peut plus désinvolte.
Telle est la caractéristique principale des relations entre Dreyfus et Clouseau : là où le premier est obsédé par le second, qu’il conçoit désormais comme une menace non plus personnelle mais universelle, l’ex Inspecteur ne fait aucun cas de l’aliéné. Il n’a jamais conscience des sentiments qu’il lui inspire, et c’est très certainement ce qui lui vaut cette animosité, autant que les désagréments “matériels” qu’il lui inflige. Bien que Dreyfus soit celui qui pâtisse le plus de ses gaffes, et ce depuis déjà longtemps, Clouseau n’a d’ailleurs conscience de rien, et surtout pas des catastrophes qu’il provoque toujours malgré lui. Il brise les convenances au rythme de ces désastres. Ce n’est pas un hasard si les films de La Panthère rose se déroulent souvent dans des milieux huppés : ceux-ci sont souvent guindés, intellectualisants, et façonnés par les protocoles. Un Clouseau, et tout s’effondre. A bien y réfléchir, le potentiel comique du personnage repose tout autant sur les gags en eux-mêmes que sur cette capacité à dynamiter des milieux bien établis sans même être conscient de le faire. Clouseau n’est pas un anarchiste, au contraire : aussi incongru que cela puisse paraître, il se considère pleinement intégré à l’élite et cherche à en endosser les valeurs. Mais il n’a rien à faire dans ce milieu, et en un sens le discours halluciné de Dreyfus est véridique. Clouseau est un flic nullissime, mais il dispose d’une chance hallucinante et forcément irritante pour son ancien patron. Ainsi, il vole de succès en succès sans que l’on ne sache comment, et quand bien même il est une catastrophe ambulante il se montre d’une arrogance rare, exprimée avec un discours excessivement châtié (renforcé excellemment dans le doublage du regretté Michel Roux pour servir de palliatif à l’impossibilité de reproduire l’accent français pris par l’anglais Peter Sellers). Bref Clouseau a tout pour agacer ceux qui le côtoient, mais il est un personnage mythique pour les spectateurs. On ne soulignera jamais assez combien ces personnages de comiques malgré eux sont sauf exceptions largement supérieurs à ceux qui cherchent à se faire remarquer. En plus d’être plus drôles, ils sont aussi potentiellement plus profonds, et incarnent ainsi le contraire de la solution de facilité. Mais encore faut-il qu’ils soient incarnés par des acteurs aussi distingués que Peter Sellers, capable de réellement faire croire qu’il est son personnage plutôt qu’il ne le joue. Plus il rendra son personnage haïssable par les autres protagonistes, plus il le rendra drôle. Cela exigeait du tempérament, et Sellers n’en manquait pas.

Ces qualités du personnage principal, on les trouvait déjà dans les films précédents. Mais ici, avec l’expérience, Sellers excelle plus que jamais. Il maîtrise désormais pleinement son personnage, tout comme Blade Edwards maîtrise complétement son sujet et peut se permettre de voir plus large qu’une simple enquête policière. Aucun autre Panthère rose ne s’était aventuré à ce point sur le terrain mégalomane des James Bond, autre saga britannique alliant sens du “chic” et héros charismatique. Quand la panthère rose s’emmêle n’est pas loin d’en être une parodie. On y retrouve plusieurs éléments typiques de 007 passés à la moulinette de Clouseau : les lieux de l’action, tout d’abord, avec la fête de la bière munichoise, le château alpin, le manoir anglais, la boîte de nuit snobinarde et l’hôtel de luxe. Tous ces endroits sont à mettre en rapport avec la capacité de Clouseau à interagir avec son milieu. On peut aussi comparer Dreyfus et son organisation à Blofeld et au SPECTRE, tant pour la bizarrerie de ce chef terroriste que pour ses méthodes de conquête du monde. L’implication des gouvernements et de l’ONU face au péril permet aussi de donner une touche d’espionnage ubuesque à cette intrigue qui ne l’est pas moins et accentue le côté “invincible” de Clouseau, dans la lignée de l’infaillibilité de James Bond. Enfin, on retrouve une “Jacques Clouseau Girl” en la personne d’une sensuelle espionne soviétique jouée par Lesley-Anne Down succombant pour un rien au noble héros, lequel n’en demandait pas tant et se retrouve fort dépourvu devant la gent féminine (la conclusion du film est un sommet de romantisme à la mode Clouseau).
Compte tenu de ces ressemblances, difficile de ne pas songer à Casino Royale, véritable parodie des James Bond dans laquelle officiait déjà Peter Sellers. Mais là où une armada de réalisateurs et d’acteurs avaient échoués en 1966, Edwards et Sellers réussissent magistralement dix ans plus tard, principalement parce qu’ils ne rabaissent jamais leur propre saga en dessous du schéma bondien qui leur a servi de base pour mieux exploiter le potentiel de leur héros concept. Il y a de vrais chefs d’orchestre à la barre, et ils ne sont pas prêts à brader leurs talents pour quelques gags faciles. Quand la Panthère rose s’emmêle a beau être en apparence très primesautier, sa construction est magistrale. C’est aussi ce qui distingue cette saga des films de gaffeurs avec Pierre Richard. Inutile de revenir sur l’introduction, déjà évoquée. Elle n’est qu’un des points d’orgue venant faire culminer ce qui s’apparente à une symphonie comique. Dans ses idées, dans son montage, Edwards compose plusieurs fois des séries composées d’enchaînements jubilatoires (l’introduction, donc, mais aussi l’entraînement avec Kato, l’interrogatoire du personnel de Fassbender…), et même euphoriques lors de l’atmosphère festive de l’Oktoberfest, voyant un Clouseau en état de grâce réchapper à son insu aux meilleurs tueurs de chaque nation, qui s’entretuent en le ratant. Entre chacun de ces emballements, aucun coup de mou : la richesse de Clouseau, que ce soit par sa personnalité, ses idées foireuses (les déguisements improbables !) ou ses bévues, laisse toujours la porte ouverte à l’inattendu. En un sens, c’est même ce dont parle le film : l’incapacité générale à maîtriser ce flic français décidément hors normes, tant dans les films qu’il anime que dans le cinéma comique.

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