Piranha 2, les tueurs volants – James Cameron
Piranha Part Two : The Spawning. 1981Origine : États-Unis / Italie
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Produit par Roger Corman pour sa compagnie New World, le premier Piranhas avait pas mal marché. Alors comment cela se fait-il que le second soit arrivé entre les mains du producteur égyptien Ovidio G. Assonitis et de ses financiers italiens ? Si l’on en juge par le nom du réalisateur, James Cameron, ancien responsable des effets spéciaux pour Corman, et quand l’on sait que le camarade Roger s’est fait une spécialité de promouvoir ses plus ambitieux employés au poste de réalisateur, il est difficile d’imaginer que la New World ne fut pas à un moment impliquée sur cette séquelle. Le pillage sauvage de franchises, procédé pour lequel les italiens se sont particulièrement distingués (les réappropriations pirates de Zombie ou de Evil Dead en témoignent) semble ici exclu. L’explication la plus logique serait qu’en cette difficile année 1981, époque où les résultats commerciaux de la New World commencèrent à baisser fortement du fait de l’arrivée des gros studios sur le marché de la série B, Corman se soit débarrassé de productions jugées peu fiables. Piranha 2 aurait ainsi été refourgué aux italiens, friands de ce genre de sous-Dents de la mer. Nommé après le départ d’un premier réalisateur et servant également de scénariste, le novice James Cameron aurait ainsi fait partie du lot. Ce fut d’ailleurs une surprise pour lui de découvrir lors de son arrivée sur les lieux de tournage que les acteurs étaient pour la plupart originaires d’Italie, et qu’ils ne parlaient guère anglais. Ce fut en tout les cas le début de la galère, ses relations avec Ovidio Assonitis devenant bientôt fort conflictuelles. Selon certaines sources, le producteur, futur ponte de la Cannon, aurait passé son temps sur le dos de son réalisateur, tandis que pour d’autres, Cameron aurait fini par claquer la porte, laissant la réalisation à Assonitis. Qu’il se soit barré ou qu’il ait filmé sous contrôle, Cameron n’a en tout cas pas eu le loisir de s’exprimer véritablement. Et une chose est sûre : le montage final n’a pas été de son ressort. D’où le fait que Terminator soit considéré comme son premier véritable film. Et pourtant…
Catastrophe sur cette petite île au large de la Floride. Des plongeurs sont retrouvés morts, boulottés par de quelconques monstres marins. Anne Kimbrough (Tricia O’Neil), la monitrice de plongée, enquête sur ces mystérieux décès en compagnie de Tyler Sherman (Steve Marachuk), un touriste, et en vient à la conclusion que les morts sont dues à des piranhas mutants échappés de l’épave d’un navire militaire. Y’a plus qu’à convaincre le flic Steve Kimbrough, ce qui ne sera pas aisé puisque Steve est le mari d’Anne et que leurs relations se sont particulièrement tendues dernièrement. Encore plus dur, voire impossible : convaincre le gérant du club touristique local d’annuler la fête du poiscaille prévue pour très bientôt.
Certes, ce scénario ne paye pas de mine. A vue de nez, il s’agit d’une énième repompe des Dents de la mer qui à quelques évocations près ne se donne même pas la peine d’entretenir le lien avec le premier Piranhas. Joe Dante reprenait lui aussi la structure du film de Spielberg, usant d’étapes imposées dans ce sous-genre peu enclin au renouvellement (les héros qui s’activent comme des beaux diables, d’abord pour mener une enquête dont le monde se fout, puis pour alerter des autorités trop vénales pour agir, des baigneurs inconscients, un final apocalyptique), mais il se démarquait tout de même du tout-venant par ses poissons d’eau douce. Pas de ça ici. Nous sommes dans l’océan, dans un patelin touristique. Niveau zéro de l’imagination, pense-t-on… Malgré tout, 30 ans après, on ne peut que songer à certains futurs films de Cameron. Le milieu aquatique et les nombreuses scènes de plongée ne sont pas sans évoquer Abyss (voire Titanic), la lutte finale dans les coursives de l’épave ressemble un peu à celle d’Aliens, l’héroïne forte en gueule et en actes tout en restant un minimum féminine (instinct maternel, empathie prononcée) donne un bref aperçu de Ripley, et la scène dans laquelle un piranha fait exploser le ventre d’une de ses victimes se passe de commentaire. Et puis il y a Lance Henriksen, qui jouera dans Terminator et Aliens. Mais à vrai dire, il faut vraiment connaître Cameron pour détecter ces parentés entre Piranha 2 et tous les films cités. Car leur portée n’a vraiment rien à voir. Les séquences sous-marines sont fortement statiques, aux antipodes des déluges d’action qui caractériseront les prochains films de Cameron, l’actrice principal n’a aucun charisme et les effets spéciaux sont rudimentaires (encore que l’on a vu bien pire dans le cinéma italien).
Tout “cameroniens” que soient ces éléments, il est bien difficile de les séparer du reste du film, dominé par des défauts dignes de Lamberto Bava. Il y a déjà cette catastrophique entame de film, qui nous plonge dans un milieu digne de celui des Bronzés. Ça drague dans tous les coins, ça batifole à qui mieux-mieux, ça sort des répliques dignes de ces personnages totalement crétins. L’héroïne elle-même n’est pas loin d’entretenir une relation incestueuse avec son fils, avant que celui-ci n’aille faire le zouave sur le yacht d’un millionnaire et de sa fille, tandis qu’elle même tombera dans les bras d’un vulgaire dragueur n’ayant même pas la classe d’Aldo Maccione. Cameron (ou Assonitis, qu’importe) invente plein de personnages vivant dans leurs coins et ne se mélangeant que fort peu. Citons aussi un duo de nénettes peu farouches, un pêcheur sage et son fils débile, un couple de “geeks”, une vieille libidineuse accrochée à un maître-nageur gêné, et même deux jeunes gens qui n’hésitent pas une seconde à se débarrasser de leur équipement de plongée pour se butiner au fond de la funeste épave (ils auront l’honneur d’ouvrir le film, mauvais présage pour eux). Un humour au ras des pâquerettes, qui rend particulièrement difficile l’empathie pour les personnages, et qui par conséquent entraîne au mieux l’indifférence et au pire la moquerie lorsque le moment sera venu de nous émouvoir sur le sort de telle ou telle personne. Comme beaucoup de ses congénères, Piranha 2 cherche à avoir le beurre et l’argent du beurre : rameuter plein de personnages qui n’ont d’autre utilité que de faire sourire et / ou de se dénuder à la moindre occasion avant de se faire tuer, et plus tard chercher à émouvoir sur de telles chairs à saucisse. Même dans ces défauts, le film est trop commun pour quiconque est habitué aux monstres marins du cinéma italien. Par contre, contrairement à d’autres, on ne peut lui reprocher de mettre trop de temps à démarrer : les morts interviennent régulièrement, et la situation se décante assez vite. Tout le croustillant n’est pas concentré dans le dernier quart d’heure, ce qui -sans pour autant égaler le rythme du premier Piranhas ou même éviter complètement l’ennui- rend superflu l’usage de la fonction “avance rapide”. Ce qui nous amène aux piranhas en eux-mêmes. Les tueurs volants sont particulièrement mal exploités. Leur don est utilisé avec parcimonie, et ils se contentent la majeure partie du temps de grignoter sous l’eau en émettant le même bruit que leurs ancêtres du premier film. On attendait tout de même autre chose de leur part que de sauter au cou des plaisanciers un peu trop près du bord de leurs embarcations… Pour plus de fantaisie, on aurait aimé qu’ils suivent la voie tracée par l’un d’entre eux, ce petit saligaud qui s’est caché dans une victime pour mieux sauter à la gueule de la concierge de la morgue. A n’en pas douter, cette relative sagesse est à mettre sur le compte d’un budget trop étriqué, qui empêche même le réalisateur de s’attarder sur leur faciès.
Ni une bonne surprise (comme le fut le film de Joe Dante) ni une catastrophe, Piranha 2 les tueurs volants est un film quelconque. Son prestigieux réalisateur et son titre entretenant un lien de parenté avec son renommé prédécesseur sont bien les deux seules choses qui l’ont préservé de l’anonymat. Évidemment, il serait tentant d’oublier le manque de libertés de Cameron et d’aller chercher la petite bête aux débuts fauchés du futur réalisateur de Terminator 2, de Titanic et d’Avatar, mais en toute objectivité, si l’on se met à considérer Piranha 2 comme le summum du comique involontaire, alors il faudra présumer que le ridicule d’autres films peut tuer.