CinémaFantastique

Odd Thomas – Stephen Sommers

Odd Thomas. 2013.

Origine : États-Unis
Genre : Il voit des morts partout
Réalisation : Stephen Sommers
Avec : Anton Yelchin, Addison Timlin, Willem Dafoe, Gugu Mbatha-Raw, Melissa Ordway, Nico Tortorella, Patton Oswalt.

A première vue, Odd Thomas est un type sans histoires. Bien que de nature solitaire, il est plutôt bien intégré à la communauté de Pico Mundo, sachant se montrer aimable et souriant. Il file le parfait amour avec Stormy Llewellyn, une amie d’enfance avec laquelle il est destiné à vivre pour toujours selon la prédiction d’une de ces machines de fêtes foraines et sa voyante mécanique. Seulement Odd a un secret, il voit les morts. Mieux, il les comprend. Ce don lui permet ainsi d’identifier les coupables de meurtres irrésolus pour le plus grand plaisir de Wyatt Porter, le policier en chef de la ville. Et parfois même de les prévenir, si tant est qu’il parvienne à déchiffrer les signes qui s’offrent à lui. Et là, tout semble annoncer un massacre de masse dans les plus brefs délais. Ses soupçons se portent sur un homme, Bob Robertson. Il décide alors, contre l’avis de Stormy, de mener l’enquête. Et celle-ci pourrait bien s’avérer plus retorse que prévue.

Si Stephen Sommers a démarré sa carrière de réalisateur en 1989 avec pas moins de deux films la même année, Catch Me If You Can et Terror Eyes, il lui a fallu attendre de travailler sous la bannière Disney pour que son travail soit visible de manière plus large. Sous l’égide du studio aux grandes oreilles, il signe deux adaptations de romans populaires. D’abord avec Les Aventures de Huckleberry Finn en 1993, où l’on retrouve Elijah “Frodon” Wood dans le rôle titre, puis avec Le Livre de la jungle en 1994, preuve que Walt Disney Pictures n’a pas attendu le 21e siècle pour transposer en “dur” ses plus célèbres films d’animation. Radical changement de registre dès son film suivant, une appréciable série B d’horreur au casting réjouissant. A une époque plutôt pauvre en la matière davantage portée sur les néo slashers et leurs castings télévisuels, Un cri dans l’océan fait son petit effet dans le landerneau du cinéma de genre. Néanmoins, ce n’est véritablement qu’à la faveur de La Momie qu’il s’imposera aux yeux du public. En renouant avec le film d’aventures, tombé quelque peu en désuétude depuis Indiana Jones et la dernière croisade 10 ans plus tôt, Stephen Sommers offre en outre un bain de jouvence au parent pauvre des figures du cinéma horrifique classique, la momie, donc. Des figures qu’il martyrisera sans vergogne dans l’imbuvable Van Helsing, se vautrant allègrement dans une frénésie et un trop plein d’esbroufe épuisant. Odd Thomas intervient à un moment de sa carrière où il se trouve dans le creux de la vague. En s’attaquant au roman de Dean Koontz, devenu un best-seller et qui compte aujourd’hui 6 suites sans compter quelques déclinaisons, Stephen Sommers annonce la couleur. Il veut revenir sur le devant de la scène et, si le public suit, s’offre la possibilité de repartir sur une saga. L’échec n’en sera que plus cuisant, sortant de manière confidentielle aux États-Unis et directement en dvd partout ailleurs.

Le film s’ouvre par ces mots de Odd Thomas énoncés en voix off qui prennent valeur de profession de foi : “Je ne sais pas pourquoi vous vous intéresseriez à moi car à notre époque, la célébrité est une valeur qui compte pour la plupart des gens. Je ne suis pas une célébrité, je ne suis pas l’enfant d’une célébrité et je ne suis pas le mari d’une célébrité. Je n’ai pas non plus été abusé par une célébrité et je n’ai pas donné un rein à une célébrité”. Comme empli d’une soudaine bouffée d’humilité, Stephen Sommers dresse finalement le portrait de bon nombre de ses confrères dont les noms existent moins que les titres de leurs films à succès. Ce n’est pas tant un film de Stephen Sommers que les gens viennent voir qu’un sujet qui les stimule ou les intrigue. Néanmoins, il fait conclure son personnage par un “Pourtant, je mène une vie originale”, sorte d’appel du pied déguisé pour qu’on veuille bien s’attarder sur une filmographie qu’il estime digne d’intérêt. On le sent quelque peu désabusé sur notre époque même si cette amertume n’infuse pas le reste du film. Au fond, il est comme son personnage, un incurable optimiste qui en dépit des aléas de la vie tente de tirer du positif en toutes choses. On retrouve ce trait de caractère dans sa manière de concevoir le cinéma. Il veut avant tout divertir, en mettre plein la vue, privilégiant une approche plus sensitive que réflexive. Il en résulte souvent un trop-plein rébarbatif qui tend à noyer ses personnages dans de grosses scènes d’action souvent peu impliquantes. En ce qui concerne Odd Thomas, Stephen Sommers se retrouve pris entre deux feux, si je puis dire, puisque le fond de l’intrigue revient à prévenir un meurtre de masse, sujet particulièrement sensible aux États-Unis. Odd Thomas est alors soumis à un contre-la-montre dont l’issue peut s’avérer fatale. Dans ce contexte, il semble particulièrement délicat d’organiser un divertissement autour de cet élément, ce que le réalisateur s’ingénie pourtant à faire. Il n’avait d’ailleurs pas traité autrement la menace terroriste représentée par Cobra dans G.I. Joe, le réveil du cobra. Ici, il contourne la gravité de son sujet en l’incluant dans un parcours héroïque. A la manière des super-héros, Odd Thomas trouve dans cette menace et ses conséquences le déclic qui lui permettra de pleinement embrasser les responsabilités qu’induisent ses capacités sensorielles. Nous ne sommes pas loin de la maxime que l’oncle Ben assène à Peter Parker,  et qui dans sa version simplifiée donne : “Un grand pouvoir implique de grandes responsabilités”. Odd Thomas est donc filmé comme l’égal de ces personnages en collants qui n’en finissent plus de déferler sur nos écrans, petits ou grands. Il excelle dans le combat au corps-à-corps, soi-disant pour préserver son minois des mauvais coups, et n’a donc pas froid aux yeux lorsqu’il s’agit de confronter tel ou tel meurtrier impuni. Et en dépit d’un passif familial chargé (sa mère a fini en hôpital psychiatrique à cause de son père, lequel vit depuis sur la crédulité des gens en arnaquant son prochain), Odd ne souffre d’aucun vague à l’âme. Il ne serait pas interprété par Anton Yelchin, parfait en “boy next door”, qu’il pourrait en devenir irritant. D’ailleurs, il en agace certains, à commencer par ces agents de police qui goûtent peu que leur chef donne du crédit à chacune de ses assertions, mais sans non plus que cela ne le gêne aux entournures. Les quelques embûches qui se présentent à lui relèvent de la péripétie prestement surmontée. Il est bien trop serein pour se formaliser pour si peu.

Le principal défaut du film provient précisément de ce ton décontracté. La mort s’invite constamment dans le quotidien de Odd Thomas sans que celui-ci n’en pâtisse. Il a la chance de pouvoir compter sur une petite-amie compatissante qui, si elle s’inquiète parfois, ne cherche jamais à entraver ses envolées chevaleresques. Si cela l’a effrayé un jour, à la manière du jeune garçon Cole Sear dans Sixième sens de M. Night Shyamalan (1999), ce n’est plus le cas aujourd’hui. Et en brave type, il ne cherche pas à monnayer son don, comme cherchait à le faire Frank Bannister dans Fantômes contre fantômes (Peter Jackson, 1996). En fait, le projet de Stephen Sommers tient en une synthèse de ces deux films. Sauf qu’il ne réussit ni à émouvoir, ni à effrayer, ni à surprendre. Il se repose beaucoup sur les effets spéciaux numériques (les bodachs ne sont d’ailleurs pas sans évoquer les détraqueurs, apparus pour la première fois à l’écran dans Harry Potter et le prisonnier d’Azkaban) et une construction en flashbacks mentaux lorsque que Odd Thomas tente de renouer les fils de l’intrigue. Stephen Sommers tente d’insuffler du dynamisme à sa mise en scène par tous les moyens mais en oublie le principal, l’humain. Une constante dans son œuvre qui n’aurait pas trop d’incidence s’il ne tentait pas in fine de verser dans l’émotion lors d’une conclusion maladroite car mal amenée. Et puis le côté gentillet du couple Odd – Stormy, dont la romance naît d’une carte de diseuse de bonnes aventures mécanique, n’aide pas. Les deux tourtereaux s’autoproclament singuliers et excentriques mais rien dans leur relation ne vient l’illustrer. Un dîner romantique sur le toit d’une église ne saurait suffire à rendre leur couple iconoclaste. La vérité est qu’ils s’aiment d’un amour pur et chaste, à l’image de bien d’autres. L’extraordinaire tient aux émanations ectoplasmiques qui apparaissent à Odd, pas à leur manière de vivre leur amour. Stormy elle-même ne se distingue guère du tout-venant. Elle gravite dans un univers rose-bonbon – elle travaille dans un magasin de crèmes glacées -, et s’invite dans l’enquête d’Odd sans y apporter de contribution notable. Elle n’est là que pour nourrir la partie émotionnelle du récit, laquelle se résume aux 10 dernières minutes. Cela excepté, l’intrigue aurait été la même sans elle et le caractère de Odd Thomas inchangé. De manière générale, Stephen Sommers échoue à faire exister les personnages secondaires au-delà du respect au matériau originel. Willem Dafoe, jamais le dernier pour cachetonner, n’a ainsi strictement rien à jouer, son personnage se noyant dans l’inconsistance générale. Les morts n’ont pas plus d’intérêt, cantonnés à un rôle de lanceurs d’alertes ou de joyeux drilles (Arnold Vosloo, habitué de l’univers de Stephen Sommers vient faire un petit coucou). En ce qui les concerne, on navigue à vue. Ils apparaissent parfois immaculés ou dans l’état dans lequel ils ont fini, et parfois les deux à la suite, sans que cela ne se justifie. Pas plus qu’on ne parvient à saisir pourquoi Odd Thomas vit parfois des rêves prémonitoires, ce qui lui permet de prévenir le crime ou du moins en amoindrir la portée, et qu’à d’autres moments, il doit attendre que les gens meurent pour être en connexion avec eux. Tous ces éléments mal définis contribuent à se désintéresser rapidement de cette histoire, voulue pourtant comme fondatrice d’un futur mythe cinématographique.

Plus que jamais, Un cri dans l’océan apparaît comme l’exception au sein d’une filmographie finalement très consensuelle. En dépit d’un sujet propice au macabre et au malaise, Stephen Sommers s’efforce d’arrondir les angles. A la manière de son héros, il préfère fermer les yeux sur la réalité des choses, préférant s’inventer une gentille histoire chiche en sensations fortes plutôt que plonger dans la noirceur du monde. Cette dernière n’apparaît que par bribes et souvent noyée dans des effets de mise en scène superfétatoires ou une interprétation trop appuyée. Stephens Sommers est l’ennemi de la subtilité, et il n’est pas prêt de changer son fusil d’épaule, lui qui travaille à un remake du Choc des mondes.

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