Les Dents de la mer 3 – Joe Alves
Jaws 3-D. 1983Origine : Etats-Unis
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On se plaint de la baisse qualitative ininterrompue de la saga Jaws, mais c’est de la faute de Spielberg, aussi ! Avec Jaws 3 se profilait un film plus qu’honorable, censé être réalisé par Joe Dante, qui de l’aveu du patron d’Amblin avait fait de Piranhas “le meilleur plagiat des Dents de la mer“. Le caractère de Dante aurait fait merveille sur ce qui aurait dû s’appeler “Jaws 3 – People 0”, et dont le sujet fortement satirique aurait été le tournage d’une seconde séquelle aux Dents de la mer. Une mise en abîme cinématographique, en somme, comme Dante l’avait déjà fait avec succès pour son premier film, Hollywood Boulevard (dans l’univers cormanien) et qu’il réitèrera de nombreuses années plus tard -toujours avec succès- pour Looney Tunes : Back in action. Mais non. Refusant de tuer une franchise encore juteuse, ce qui n’aurait pas manqué de se produire avec une telle auto-dérision (Gremlins 2 en attestera), Spielberg menaça de cesser sa collaboration avec Universal, et comme personne ne voulait se mettre à dos le nouveau “golden boy”, il obtint gain de cause. Place à un Jaws 3 sérieux, dont la réalisation fut confiée à Joe Alves, promu en interne après sa participation aux deux premiers films en tant que chef décorateur. Confié à Richard Matheson, le scénario fut victime lui aussi des pressions venant de la Universal, ou plus exactement de ses exigences (notamment sur les personnages), qui, alliées au concept 3D et au manque de talent du réalisateur novice (dixit Matheson), provoqua la colère de l’écrivain.
Le parc SeaWorld s’apprête à ouvrir ses portes. Les dauphins sont dociles, les skieurs nautiques sont fin prêts, le public s’annonce en masse… Ne subsistent plus que quelques points techniques à régler pour l’ingénieur Mike Brody (Dennis Quaid), fils du shérif d’Amity au temps où celle-ci était en proie aux attaques de grands requins blancs. Mais il n’est pas question d’avoir des requins ici, ou alors juste un bébé puisqu’il y en a un qui est parvenu par un malencontreux hasard à entrer dans le parc. Mike et sa copine vétérinaire Kathryn ne savent pas que la mère du bébé est là également, mais ils ne vont pas tarder à le savoir. Pile pendant l’inauguration, d’ailleurs, ce qui chagrine furieusement le directeur du parc, qui tient à ne pas écorner la réputation de SeaWorld dès le premier jour.
Oui, cette intrigue comporte un semblant d’originalité, du moins dans le cadre de la franchise Jaws et de ses succédanés. Le responsable à passer par les armes n’est cette fois plus un maire mais un chef d’entreprise, et sa responsabilité se fait moindre que celle de ses prédécesseurs. Bien sûr, il veut à tout prix rogner sur les budgets et cherche coûte que coûte à préserver les apparences, il affiche même un certain mépris pour ses employés, mais tout cela n’est pas grand chose comparé à la présomption d’une science persuadée de pouvoir dompter la nature. Nous jouons sur le même registre “crichtonien” que Mondwest et Jurassic Park. A ceci près que Joe Alves ne fait strictement rien de ce thème, qu’il limite en gros à “la faute à pas de chance (et un peu au patron quand même)”. Il n’y a pas l’ombre d’une analyse sur l’opposition entre la force naturelle du requin blanc et l’intelligence humaine incarnée par ce parc où tout devrait filer droit. Aucun de ces deux aspects n’est développé, et donc encore moins confronté. Je ne sais même pas vraiment si Alves avait conscience de la parenté de son film avec Mondwest, ou bien si il a juste essayé de renouveler la saga Jaws en plaçant son bestiaux en chef dans un cadre clos et artificiel, histoire de changer un peu des simples agressions en haute-mer. Toujours est-il que nous sommes bien loin du malaise que faisait naître Mondwest. Et nous sommes également loin du spectacle proposé par Jurassic Park, qui contrebalançait ainsi sa propre légèreté vis-à-vis de la dominance de mère nature par un sens aigu du divertissement de la part de Steven Spielberg, qui il est vrai était motivé par sa propre affection pour les dinosaures et par la révolution des effets spéciaux numériques. Alors qu’on ne peut pas dire que le requin des Dents de la mer 3 fascine quiconque. L’usure guette ce sous-sous-genre (la famille marine des animaux méchants) dans lequel tout le monde se sert allégrement, notamment des italiens comme Enzo Castellari qui ont le toupet de réaliser des repompes attractives misant sur le gore et l’érotisme, choses que ne peuvent se permettre les productions hollywoodiennes (Castellari et ses producteurs en seront quittes pour une condamnation judiciaire, à l’initiative de Spielberg). C’est peut-être pour lutter contre cette concurrence aux dents longues que Jaws 3 s’embarqua dans un procédé censé le démarquer du tout-venant des films de requins : la 3D, bien plus attractive que la fausse originalité du parc maritime. La 3D est au début des années 80 un procédé revenu à la mode, qui frappe généralement les troisièmes volets de saga forcément sur la mauvaise pente. On le retrouve à la même période pour Vendredi 13 chapitre 3 et pour Amityville 3, des films d’horreur à budget réduit. Avec plus de moyens, Alves peut voir plus ambitieux en embauchant les techniciens responsables du relief. Sauf qu’une fois que le film est mis à plat, c’est à dire aussitôt sorti des salles obscures, les scènes “choc” sont encore plus moches que celles des deux films pré-cités. Perspectives faussées, contours surlignés, arrières-plans flous, c’est d’autant plus laid qu’Alves fait exactement comme Steve Miner et Richard Fleischer, c’est à dire envoyer tout un tas de choses à la figure du spectateur dans des plans qui ne servent à rien d’autre qu’à en mettre plein la vue. Cela marchait peut-être dans certains milieux, notamment pour des courts-métrages documentaires dignes du Futuroscope, mais c’est une autre histoire pour un long-métrage. Le réalisateur voudrait discréditer son film et l’histoire qu’il raconte qu’il ne s’y prendrait pas autrement. Tout le côté spectaculaire du film joue là-dessus, et on peut dire que c’est un ratage devenu profondément ringard.
Quelle place peut-il rester pour un film pensé ainsi ? Aucune. Faute de Roy Scheider dans le rôle de Martin Brody (il aurait paraît-il rit au nez de la Universal lorsqu’elle lui demanda de reprendre son rôle), on ressort les deux fils Brody, dont un seul occupe un rôle important dans le parc et dans le film. Le second a droit à sa propre historiette séparée de toute autre considération (il doit affronter sa peur de l’eau née du traumatisme vécu durant son enfance, ce qu’il fera grâce à sa copine jouée par Lea Thompson dans son premier rôle). L’autre, Mike, joué par Dennis Quaid, tout ingénieur qu’il soit, n’est pas tellement plus passionnant. C’est le genre de héros archétypal, toujours prompt à entreprendre des tâches périlleuses pour le bien commun, à se soucier d’untel ou d’untel manquant à l’appel, à montrer le droit chemin moral à l’assistance. Il est bien entendu flanqué d’une petite amie, elle-même fort dégourdie et avec laquelle il doit solutionner la question de l’avenir, puisque monsieur s’apprête à partir au Vénézuela pour raison professionnelle pendant que madame devrait rester à SeaWorld. Dilemme amoureux dont on se fout éperdument, et qu’Alves ne ressort qu’en cas de baisse de tension. Il emploie les mêmes méthodes avec un duo d’autres personnages, catalogués “pourris” : un photographe prétentieux au sourire Colgate qui s’oppose systématiquement à la sagesse de Mike Brody (et qui cherche à lui piquer sa copine) et son assistant, sosie de Noël Mamère. Il est toujours bon d’avoir recours à des personnages immédiatement haïssables pour faire figure de nemesis au gentil de service, et accessoirement servir de victimes à un requin qui n’aurait pas le même impact si il ne s’en prenait qu’à des quidams inconnus au bataillon.
Les personnages sont comme l’intrigue : un amalgame de choses insipides auxquelles personne n’a envie de s’intéresser, et qui sont de toute façon traitées avec un je-m’en-foutisme total vaguement dissimulé par quelques caches-misère (le concept du parc, celui du bébé et de la maman requin, le célèbre thème de John Williams…). L’exploitation de la 3D semble avoir été le seul catalyseur d’un film trop bassement opportuniste pour être pardonnable.