CinémaHorreur

The Toxic Avenger – Lloyd Kaufman

toxicavenger

The Toxic Avenger. 1984

Origine : États-Unis 
Genre : Super héros horrifique 
Réalisation : Michael Herz & Lloyd Kaufman 
Avec : Mitch Cohen, Andree Maranda, Gary Schneider, Pat Ryan…

Melvin est le garçon à tout faire du Health Center de Tromaville, où se côtoie toute la jeunesse turbulente de la ville. Avec son profil d’avorton, sa maladresse et sa débilité non feinte, Melvin est le souffre douleur de Bozo et de ses amis, qui décident de lui faire une petite blague. Le jeu va mal tourner, et Melvin se retrouvera plongé tête la première dans un fût toxique. Il en ressortira transformé, et le soir même il est devenu le Toxic Avenger ! Le super-héros au balai qui aura bien du travail pour nettoyer Tromaville, capitale mondiale des déchets toxiques administrée par un maire pourri jusqu’à la moelle.

Jusqu’ici consacrée à la production de comédies sexy, la Troma passe à l’horreur lorsque Lloyd Kaufman décide de vérifier les allégations d’un journaliste clamant l’inéluctable baisse de popularité du cinéma d’horreur. Mais attention, il ne sera pas dit que l’horreur produite par la Troma s’engouffrera dans la mode du slasher ! Avec Toxic Avenger, c’est une nouvelle compagnie indépendante qui vient d’éclore. Une de plus, mais pas n’importe laquelle. En ces temps de transformation du cinéma d’horreur, en passe d’élargir son audience en y laissant son potentiel subversif, Lloyd Kaufman (sous le pseudonyme de Samuel Weil, certainement pour des questions syndicales vu qu’il s’est aussi chargé du scénario et de la production) et son acolyte discret Michael Herz, co-réalisateur et co-producteur procurent une bouffée d’air frais. Fils du cinéma fantastique (en y incluant aussi bien l’horreur que les super-héros) et des sexy comédies, Toxic Avenger est empreint de cette liberté que l’on avait plus trop vue depuis les premières productions de la New World de Roger Corman, une dizaine d’années plus tôt. Comme un symbole, on retrouve même dans le film de Kaufman et Herz une évocation directe à l’un des films emblématiques de la New World, La Course à la mort de l’an 2000, à travers le petit jeu des ennemis de Toxic, qui est de s’attribuer des points pour chaque catégorie de personne qu’ils écrasent. Ce doit être la seule référence cinématographique faite sans arrière-pensée parodique (difficile de toute façon de satiriser sur une satire). Tout le reste est un joyeux bordel assumé se plaisant à rire de tout, y compris de certains autres films (Scarface, Elephant Man, Orange Mécanique…). Et comme disait Pierre Desproges, “on peut rire de tout mais pas avec tout le monde“. C’est ainsi qu’il faut prendre le cinéma de la Troma, du moins lorsque celle-ci en est la productrice (car lorsqu’elle ne fait que distribuer, c’est une autre paire de manches). Par la suite, la firme de Kaufman aura un public bien ciblé et aura tendance à se reposer sur ses lauriers. Mais pour l’heure, elle est encore toute fraiche et cherche à voir si des pitreries telles que Toxic Avenger plairont à quelqu’un comme elles plaisent à ses réalisateurs. C’est dans ce contexte potache que naît un film libéré de la volonté de plaire à quiconque, et qui peut donc se permettre d’aller très au-delà du bon goût, y compris pour certains amateurs de films d’horreur, désarçonnés par tant de singeries assumées.

The Toxic Avenger ne plaira déjà pas à ceux qui aiment leurs films écrits consciencieusement. Rien dans cette histoire de super-héros n’inspire le respect, ou toute forme de sentiment que ce soit, d’ailleurs. Pas même ses personnages : Toxic est né d’une tête à claque qui à vrai dire n’as pas vraiment volé son sort. Melvin Junko, puisque tel était son nom, était un ado brimé, certes, mais un ado débile qui n’avait d’autre ambition que de ressembler à ceux qui l’oppressent, c’est à dire de gros lourdauds bourgeois, et de se pavaner avec des donzelles semblables aux leurs, c’est à dire des bimbos égocentriques. Mine de rien, c’est déjà un grand bras d’honneur adressé aux super-héros classiques, qui dans leur forme civile sont pratiquement tous des gens inspirant véritablement la compassion. Rien de tel avec Melvin, et on s’amuse bien volontiers du ridicule de sa mésaventure (tomber dans un fût toxique en étant vêtu d’un tutu rose et d’un maillot à pois). Sous sa forme de super-héros il s’oppose aussi à ses collègues de Marvel ou de D.C. qui s’efforcent de rétablir la justice sous une forme spectaculaire, digne de leurs super-pouvoirs utilisés dans des villes pas communes. Ici Toxic est franchement laid, se promène avec un balai (symbole au premier degré du nettoyage de la ville) et se contente de casser des têtes. Il est le super-héros péquenot d’une ville de péquenots, ou bien le super-héros fauché d’un cinéma fauché. Son sens de la justice né avec ses minces super-pouvoirs est lui rudimentaire : tuer les méchants et protéger les gentils. Raisonnement qui, vu sans l’enjolivement des productions américaines habituelles, se révèle dans toute sa puérilité. L’absurdité des méchants n’y rajoute absolument aucune gloire : outre la bande à Bozo, Toxic s’en prend aussi à des petites terreurs funky, à un vulgaire maquereau, à une vieille mafieuse naine et son adversaire principal est un maire abjecte, un tas de graisse magouilleur flanqué d’un shérif néo-nazi que le retour de la tranquillité inquiète. Aucun de ces méchants n’a de charisme, Kaufman et Herz se plaisant à les rabaisser constamment. Même la copine du héros est à mille lieues du standing d’une Mary Jane. Dès sa première apparition, cette aveugle gaffeuse se retrouve déshabillée dans un fast food miteux et s’apprête à se faire violer sur une table. C’est une bimbo, moins pénible que celle de Bozo, mais une bimbo quand même, qu’il convient de transformer en touche sexy pour encore la démythifier davantage, tout comme son petit copain toxique avec lequel elle se promène sur fond de soleil couchant sur la capitale mondiale des déchets toxiques.

Tout ceci constitue une parodie assez extrémiste des super-héros classiques. Pour autant, ce n’est pas vraiment là dessus que Toxic Avenger se montre le plus corrosif. C’est sur leur apport à l’horreur et au gore que Kaufman et Herz vont le plus à l’encontre des bonnes manières. Evil Dead était déjà sorti, Re-Animator n’allait pas tarder et Bad Taste avait déjà commencé sa lente conception, mais aucun de ces films grand-guignols n’atteint le même degré de méchanceté primaire que celui de la Troma, où même le héros ne rechigne pas à apporter sa pierre à la dégénérescence morale (sot justicier qu’il est) en arrachant des scalps, en trempant les mains d’un méchant dans l’huile bouillante, en mettant une naine dans une machine à laver, en faisant exploser la tête d’un trafiquant… Quant à ses ennemis, ils sont peut être sans envergure, mais ils s’en prennent à toutes les catégories auxquelles Hollywood refuse de toucher : les vieux, les chiens, les enfants… Pour ces deux derniers, particulièrement gratinés, la Troma dut faire face aux récriminations de la censure (le gamin et sa tête écrasée en gros plan) et des ligues de protection des animaux (le chien avec son ventre ouvert). Les plans gores ne sont pas à eux seuls les responsables de ces colères, et gageons qu’une large part provient de la façon dont ils sont amenés, au milieu d’une franche rigolade. Que des personnages aussi crétins se montrent aussi violents, que la police s’en foute totalement, et que les réalisateurs continuent à aligner leurs gags potaches montre une totale désinvolture vis-à-vis de cette violence qui ne peut même pas se cacher sous une bannière un minimum ambitieuse. Kaufman et Herz se veulent bêtes et méchants, leur film est fauché, se complait dans les pitreries d’une faune années 80 écervelée, et c’est ainsi qu’ils donnent un certain aperçu de la liberté cinématographique qu’ils se sont auto-attribuée. Sans aucun temps mort (et d’ailleurs sa durée est courte) The Toxic Avenger frôle parfois l’hystérie. On ne peut pas lui reprocher, c’est une conséquence logique. Comme la New World avait dans les années 70 exploité la libération sexuelle, la politisation des consciences et l’écroulement des conceptions artistiques standards, la Troma profite de ces années 80 exubérantes pour transgresser à tout va tout ce qui est possible et imaginable, tout en renvoyant à son époque le reflet de son abrutissement commercial duquel ne pouvait naître que le mauvais goût revendiqué. Le cinéma de Kaufman est en quelque sorte un féroce retour de bâton pour la société de Ronald Reagan, de Hollywood et de tout ce qui se veut un “establishment”. Nous sommes en fait à mi chemin entre Roger Corman et le John Waters des débuts, et on ne peut que louer l’initiative vivifiante de la Troma.

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