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L’Île du docteur Moreau – Don Taylor

The Island of Dr. Moreau. 1977.

Origine : États-Unis
Genre : Manipulations génétiques
Réalisation : Don Taylor
Avec : Burt Lancaster, Michael York, Barbara Carrera, Nigel Davenport, Richard Basehart.

Rescapé du navire le Lady Vain, Andrew Braddock (Michael York) finit par échouer sur une île. Alors qu’il laisse son compère de galère, plus mal en point que lui, en bordure de plage, il s’enfonce dans les terres à la recherche d’eau douce. Il est alors rapidement pris en chasse par des formes indistinctes qui le précipitent dans un piège. Il se réveille quelques jours plus tard dans la propriété du dénommé Docteur Paul Moreau (Burt Lancaster), lequel lui apprend la mort de son compagnon. Hôte contraint du docteur, Andrew a néanmoins le plaisir de côtoyer Maria (Barbara Carrera), magnifique jeune femme que Moreau a pris sous son aile, dont il s’éprend. Cependant, cette romance naissante ne saurait lui faire oublier les cris déchirants qui proviennent du laboratoire ou l’aspect presque animal du domestique. Il se trame quelque chose de louche sur l’île que le docteur Moreau ne tardera pas à lui révéler.

Indissociable d’une grande partie de la carrière de Roger Corman (Sorority Girl, Les Anges sauvages, les films du cycle Edgar Allan Poe, etc…), l’American International Pictures devient plus ambitieuse à compter des années 70 – comprendre plus dépensière – et s’oriente notamment vers le film d’aventures à portée fantastique en enchaînant trois adaptations de romans de Edgar Rice Burroughs signées Kevin Connor sous la bannière de la Amicus (Le Sixième continent, Centre Terre : 7e continent et Le Continent oublié). Et en 1977, cette fois-ci sans prête-nom, Samuel Arkoff et James Nicholson restent dans la littérature et s’attaquent au roman de H.G. Welles L’Île du docteur Moreau. Ce dernier a déjà été adapté – de manière officielle – une première fois en 1932 par Erle C. Kenton mais se faisait particulièrement discret au moment de dévoiler les créatures du docteur. Pas de ça ici. Fort du concours du spécialiste en effets de maquillages John Chambers (lauréat d’un oscar d’honneur pour son travail sur La Planète des singes), leur version les multiplie et les montre sous toutes leurs coutures. Il s’agit d’en donner pour leur argent aux spectateurs qui viennent voir le film pour être impressionnés, voire choqués par ces êtres humanoïdes à la bestialité difficilement contrôlable. N’en déplaise à Burt Lancaster, dont le nom rassure davantage les financiers qu’il n’est susceptible d’attirer une nouvelle génération de spectateurs, ils constituent la principale attraction du film et sont traités comme tel par le réalisateur Don Taylor. Ce dernier, dont l’essentiel de la carrière s’est effectué pour la télévision, se fait néanmoins connaître des amateurs de fantastique durant les années 70 en réalisant Les Évadés de la planète des singes, troisième volet de la saga originale, puis Damien : La Malédiction II. Il offre ainsi la garantie d’un travail sérieux à défaut d’être génial.

Que cela soit de manière consciente ou non, l’ombre de La Planète des singes plane insidieusement au-dessus du film de Don Taylor. Les premières scènes de L’Île du docteur Moreau ne sont pas sans évoquer littéralement le film de Franklin J. Schaffner, les oripeaux de la science-fiction en moins. Aux trois naufragés de l’espace succèdent trois naufragés en chaloupe, et l’exploration de l’île par Andrew jusqu’à ce qu’il soit pris en chasse par des êtres invisibles rappelle les premiers pas de Taylor sur cette planète qu’il pensait inconnue. Cette impression s’estompe dès le réveil d’Andrew sous le regard de Montgomery d’abord, du docteur Moreau ensuite. Si la découverte des expériences du scientifique cherche à provoquer un même degré de sidération que celle d’une planète régit par des singes, la manière diffère. Toute pièce rapportée qu’il soit au sein de l’univers cloisonné de l’île, Andrew Braddock bénéficie d’un bon accueil de la part de ses hôtes. Il jouit d’une totale liberté de mouvement et peut même conter fleurette à Maria sans susciter l’ire de Moreau. On peut même supposer que ce dernier appelle cette relation de ses grands vœux. Le naufragé doit seulement composer avec quelques non-dits et le mystère entourant le laboratoire et les plaintes qui en émanent. Un mystère que Don Taylor ne tarde pas à éventer car à l’instar du Dr. Moreau, il trépigne d’impatience à l’idée de les dévoiler. A l’échelle du réalisateur, ces créatures constituent l’attraction principale de son film, l’élément sur lequel sa version se distingue de celle de Erle C. Kenton. Il soigne donc leur apparition, ménageant un minimum d’attente pour le spectateur quitte à tricher un peu concernant leur nature profonde (le cri d’effroi du deuxième rescapé avant qu’il ne se fasse happer et traîner dans la jungle). Il cultive un sentiment de menace permanent tapie dans l’ombre, une menace qui semble épier Andrew dès qu’il quitte l’enceinte sécurisée et sécurisante de la propriété du Dr. Moreau, pour mieux la déjouer lors du moment effectif où le jeune homme sera véritablement confronté à ces créatures. Ladite confrontation se joue en deux temps et place les deux fois l’une des créatures en position de faiblesse. Elles lui apparaissent  alors immédiatement pour ce qu’elles sont, le fruit des expériences du Dr. Moreau et, à ce titre, totalement assujetties à sa volonté. Ces créatures s’inscrivent dans une forme d’esclavage auquel renvoie l’aspect très plantation coloniale de la propriété du Dr. Moreau. D’ailleurs, les plus dociles d’entre elles, celles qui arrivent à taire durablement leur part d’animalité, travaillent directement au service de leur maître en tant que domestiques. Une promotion qui en dit long sur leurs perspectives d’avenir. Et c’est dans leur traitement que s’illustre toute l’ambiguïté du Dr. Moreau, un éminent scientifique qui s’est volontairement coupé du monde pour s’adonner à ses petites expériences au mépris de toute déontologie.

Sur le papier, le Dr. Moreau se présente comme un émule du Dr. Frankenstein par sa quête de perfection et ce côté apprenti sorcier dont les travaux prennent une portée blasphématoire. Sauf que Don Taylor choisit de moins s’appesantir sur les expériences en elles-mêmes, lesquelles se limitent à l’injection d’un produit de la composition de Moreau, qu’à leurs résultats. De même que nous n’assisterons à aucune transformation sous l’emprise dudit produit. Sur ce point, le film se montre particulièrement décevant, préférant botter en touche plutôt que s’aventurer sur le terrain des manipulations génétiques. Le Dr. Moreau parle plus qu’il n’agit et dès lors, le personnage doit au seul talent et à la prestance de Burt Lancaster qu’on s’intéresse un minimum à lui. Il l’incarne avec sobriété, tournant le dos à l’imagerie du savant fou même si la façon dont le Dr. Moreau traite ses créations démontre un manque de logique dans son approche. Voilà un homme qui se fait fort de créer des êtres humanoïdes en partant d’animaux sauvages et dont il ambitionne d’ôter tout instinct animal en leur inculquant notamment tout un chapelet de règles qui n’est pas sans évoquer les lois de la robotique édictées par Isaac Asimov. Or il les maintient à l’écart de toute vie sociale en les parquant dans une caverne. Et lorsqu’il daigne s’y rendre, c’est pour leur faire la leçon ou punir l’un d’eux pour son comportement régressif. Il se comporte en maître incontesté, les traitant comme des sous-hommes auxquels il rappelle en permanence que c’est à lui qu’ils doivent leur existence. Fatalement, et en dépit de la présence du “Diseur de lois” qui se fait en quelque sorte la voix de son maître en rappelant ses congénères à leurs devoirs, la révolte gronde. Trop imbu de lui-même et persuadé de sa supériorité sur ses créations, Moreau ne soupçonne pas les changements qui s’opèrent chez eux (la belle scène de la procession mortuaire réservée à l’un d’entre eux, à la manière des vikings). Il ne perçoit pas en eux ces éclats d’humanité, comme si tout scientifique qu’il soit, il ne parvenait pas à voir au-delà de leurs faciès monstrueux. Obtus et trop attaché à la perfection, il en perd toute objectivité et surtout son sens de l’observation. Au fond, et bien qu’il s’en défende, il les a déjà condamnés dans son esprit. Et lui-même se condamne en se laissant aller à commettre des actes qu’il leur interdit, comme tuer un être de son espèce. Le récit opère alors un basculement des perceptions jusqu’à ce que le Docteur et ses créatures en finissent par se jauger d’égal à égal, en amorce de l’explosion de violence et de bestialité sur laquelle se clôt le film.

Pour spectaculaire que soit la scène finale avec ses cascades hallucinantes impliquant des animaux sauvages, le film n’en demeure pas moins décevant à bien des égards. Il se montre notamment trop confus dans son approche du travail du Dr. Moreau et ne traite finalement que trop peu ses personnages, le Docteur excepté. Andrew Braddock n’a ainsi aucune consistance, témoin trop passif des agissements du Docteur. Et que dire du personnage de Maria dont certaines photos promotionnelles, que reprend par ailleurs la jaquette du dvd sorti chez Wild Side, laissaient entrevoir une toute autre destinée. Don Taylor la cantonne à la marge du récit, limitant le personnage à la renversante beauté de son interprète (une Barbara Carrera déjà idéalisée l’année précédente dans Embryo de Ralph Nelson), jusqu’à un plan final ouvert à toutes les interprétations, même si le réalisateur se garde bien d’en faire des tonnes à ce moment là. Un plan susceptible d’ébranler un édifice déjà pas très solide si tant est qu’on en fasse grand cas.

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