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Le Fleuve de la mort – Tim Hunter

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Rivers’s Edge. 1986.

Origine : États-Unis
Genre : Déprime adolescente
Réalisateur : Tim Hunter
Avec : Keanu Reeves, Crispin Glover, Daniel Roebuck, Ione Skye Leitch, Dennis Hopper.

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Un matin comme tant d’autres, au lycée de la ville. Une bande de copains se réunit dans la cour. L’un d’eux, John, annonce avoir tué sa petite amie. Incrédules, ne sachant trop s’il faut le croire ou en rigoler, ses amis décident finalement de se rendre sur les lieux supposés du meurtre, histoire d’en avoir le cœur net. Et là, au bord de la rivière, le cadavre dénudé de Jenny ne laisse plus aucun doute. Leur ami est un assassin.

Genre à part entière, le Teen Movie rythme le cinéma américain depuis des décennies. La grande majorité de ces films tend à donner une image particulièrement réductrice de l’adolescent, comme si à cet âge là, seul le sexe constituait un réel souci. Il en résulte toute une ribambelle de films à l’humour potache qui de American College à American Pie en passant par Porky’s ou encore Les Branchés du bahut décrit l’adolescent comme un être inconséquent, seulement régi par son envie de s’amuser et, si possible, s’envoyer en l’air. Une imagerie que les slashers reprendront à leur compte, sortes de Teen Movies maquillés au rouge sang. Néanmoins, le genre a su évoluer, notamment sous l’impulsion de John Hughes, montrant qu’il peut aussi faire preuve de davantage de sensibilité (Seize bougies pour Sam), voire de gravité (Breakfast Club), jusqu’à parfois se teinter de noirceur (Fatal Games, Pump Up the Volume). C’est cette dernière voie que Tim Hunter a choisi d’emprunter, lui qui depuis ses débuts à la réalisation (Tex, 1982) aime à placer la figure de l’adolescent au cœur de son cinéma. Avec Le Fleuve de la mort (titre français complètement à côté de la plaque, pour ne pas changer), il atteint une forme de jusqu’au-boutisme plombant, donnant une vision des adolescents pour le moins désenchantée.

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Le Fleuve de la mort se conjugue à l’imparfait, imperfection des êtres et de leur environnement. La ville et ses habitants transpirent la morosité. Une morosité qui colle au corps et à l’esprit, sans échappatoire possible. Tim Hunter ne prend pas de gants, nous confrontant irrémédiablement à l’innommable dans le contexte glacé et terne d’une petite ville sans charme sous l’emprise de l’hiver. A peine le film commencé, sa caméra s’attarde longuement sur le cadavre de Jamie, sur lequel semble veiller son meurtrier, entre stupeur et fascination. Le malaise, déjà palpable, s’amplifie lorsque John relate son acte à ses amis le plus simplement du monde. Il apparaît alors serein et dépourvu de tout remord. Il a commis un meurtre de sang froid mais ne s’en formalise en aucune façon. On pourrait penser qu’il s’en vante, mais même pas. Dans sa bouche, son acte deviendrait presque banal. Il affronte les événements qui suivent avec un même détachement. Et quand bien même affirme t-il se sentir plus vivant depuis le meurtre, tout dans son attitude le confine à l’impasse. Voilà un adolescent totalement paumé, comme déconnecté du monde qui l’entoure et de certaines règles élémentaires qui le régissent. Mais comme on s’en aperçoit très vite, tous les adolescents dépeints dans le film sont ainsi. Il n’y en a pas un pour condamner ouvertement le meurtre. Il y a bien un peu de gêne mais celle-ci provient davantage de la réaction de chacun vis à vis de l’acte (Clarissa qui se reproche de ne pas avoir versé de larmes pour son amie) que de l’acte lui-même. Tout le monde semble se ficher du sort de la pauvre Jamie. Tim Hunter décrit une jeunesse amorphe et totalement déphasée. Des adolescents capables d’une compassion de façade pour faire bonne figure devant la presse (ah, l’attirance du feu des projecteurs !) ou, comme Layne, de remuer ciel et terre pour éviter la prison à son “ami” John.

Layne. En voilà un drôle de bonhomme. Dès le meurtre avéré, il prend à cœur de protéger John selon les sacro-saints liens amicaux qui les unissent. Or cette amitié n’est qu’une vue de son esprit trop embrumé par les vapeurs de marijuana. En minimisant l’acte de John, en lui trouvant des circonstances atténuantes au détriment de Jamie, laquelle l’aurait bien cherché à force de moqueries envers John et sa mère, il s’efforce en fait de s’attirer la sympathie du meurtrier. Pourtant, à aucun moment ce dernier ne sollicite son aide ni ne lui témoigne de la reconnaissance. En fait, Layne se sent investi d’une mission, maintenir la cohésion d’un groupe d’amis qu’il est le seul à considérer comme tel. Il place l’amitié au-dessus de tout, sans se rendre compte qu’il est surtout perçu comme un hurluberlu auprès de ses pairs. Derrière cette quête irréfléchie perce une profonde détresse que le jeu outrancier de Crispin Glover amoindri de manière considérable. Chacune de ses apparitions tend à décrédibiliser un propos qui se veut pourtant des plus désespérés. Un peu trop même, tant Tim Hunter noircit le trait à loisir. Il n’y a pas grand monde à sauver dans cette histoire, entre ces parents inconséquents (quelque soit leur âge et l’heure, les adolescents entrent et sortent comme ils l’entendent), les fous de la gâchette (le père de Tony tire sur Matt et Layne sans sommation) et surtout cette nouvelle génération incarnée par le frère cadet de Matt qui s’annonce pire que la précédente. Incarné par un Joshua Miller à côté de la plaque dont le jeu se limite à une mine renfrognée, Tim tient de la petite frappe. En butte à toute autorité (il rabroue constamment sa mère) et plutôt vindicatif à l’égard de son frère, il nourrit une fascination, si ce n’est pour John, au moins pour l’acte qu’il a commis. Il y a néanmoins beaucoup de mal-être derrière son attitude frondeuse, et sa trajectoire s’achèvera sur une petite note d’espoir. Il serait dommage de le condamner si jeune. Par ailleurs, Tim Hunter s’autorise une embardée romantique le temps d’une nuit d’amour à la belle étoile entre Clarissa et Matt, histoire de montrer que du lisier, il peut tout de même éclore de belles choses.

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Le Fleuve de la mort est un film étrange, dont la plupart des situations interpellent de manière négative. Les intentions de Tim Hunter sont limpides mais passent mal à l’image, lestées d’un fort sentiment d’incongruité du fait du surjeu de certains jeunes comédiens et de passages saugrenus. En fait, il convainc moins par sa vision de l’adolescence que lorsqu’il s’attarde sur Feck, un marginal que Dennis Hopper interprète avec intensité. Ce camé paranoïaque et unijambiste se révèle paradoxalement le plus lucide d’entre tous et apporte in fine ce soupçon d’émotion que les mésaventures adolescentes peinaient à insuffler. La force du vécu.

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