Out of the Blue – Dennis Hopper
Out of the blue. 1980.Origine : Canada
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Les Barnes ont connu des moments difficiles ces cinq dernières années. Pour avoir accidentellement tué une douzaine d’enfants lors de la collision entre son camion et un bus scolaire, le père a été condamné à plusieurs années de prison. En son absence, Kathy, son épouse, a tenté tant bien que mal d’élever leur fille Cindy. Surnommée Cebe, l’adolescente a développé un fort sentiment de révolte à mesure que les années passaient. Toutefois, elle garde espoir en des jours meilleurs, s’impatientant du retour de son père, désormais imminent.
Sorti en France sous le titre de La Garçonne, Out of the blue est un film qui a engendré les malentendus, sciemment cultivés par son réalisateur interprète. Considéré comme une figure emblématique de la contre-culture américaine depuis Easy Rider, Dennis Hopper présentait à l’époque Out of the blue comme étant sa suite logique, auscultation des rêves brisés de cette génération de rebelles. Or rien à l’écran ne vient valider des propos qui a posteriori sonnent comme une maladroite tentative d’attirer le chaland. De même, il n’est pas non plus question d’un film punk, même si par son nihilisme, Out of the blue fournit une illustration convaincante du « No Future » érigé en slogan par ce mouvement musical. Dans ce cas précis, Dennis Hopper se borne à coller au plus près des paroles de la chanson de Neil Young Hey, Hey, My, My qui accompagne le récit, et dont un passage évoque le désir de « plutôt exploser en vol que mourir à petit feu ». En fait, à l’instar de son personnage principal Cebe, qui vénère tout aussi bien Sid Vicious qu’Elvis Presley, Out of the blue navigue entre deux eaux, à la fois chronique adolescente et constat sans appel de la décrépitude d’une cellule familiale.
Il émane de ce film comme un déséquilibre qui peut s’expliquer par sa genèse chaotique. Prévu au départ comme simple acteur, Dennis Hopper s’est vu proposer la mise en scène de Out of the blue après que le réalisateur initialement rattaché au projet –Leonard Yakir– ne soit remercié. Le comédien en a donc profité pour réécrire un scénario qui ne lui convenait guère, resserrant l’intrigue autour de Cebe au détriment du personnage du psychologue incarné par Raymond Burr, qui dans la première mouture du scénario détenait le rôle principal. En articulant trop ostensiblement son récit autour de la personnalité de la jeune fille, et en dépit de l’interprétation saisissante de Linda Manz (vu par ailleurs dans Les Moissons du ciel de Terrence Malick, ou encore Les Seigneurs de Philip Kaufman), Dennis Hopper inscrit son film dans le registre convenu de la crise d’adolescence. Ainsi, lors de sa fugue nocturne et de ses passages répétés chez le psychologue, le film perd beaucoup en intérêt. Ces digressions nous éloignent de la description autrement plus glaçante du retour à la vie civile du père, après qu’il ait purgé sa peine pour homicide involontaire.
Revenir dans la petite ville où il a détruit bien malgré lui de nombreuses familles en tuant accidentellement leurs enfants augure de lendemains difficiles. Et effectivement, la fête qui célèbre le retour de Don est gâchée par l’irruption de l’un des pères endeuillés, qui ne peut supporter de voir le meurtrier de son enfant de nouveau en liberté. Toutefois, le malaise ne naît pas tant de la tension qui émane de la confrontation entre les deux hommes que de la décontraction avec laquelle Don appréhende cette visite impromptue. Déjà bien imbibé d’alcool, il ne laisse transparaître aucun remord. Pire encore, il propose à son invité de boire un verre pour se calmer, proposition quelque peu déplacée lorsqu’on sait que c’est sous l’emprise de la boisson que Don a percuté le bus scolaire. Toute l’inconséquence du personnage éclate à cet instant précis, brisant nette l’image de respectabilité qu’il renvoyait quelques scènes auparavant lors des visites en prison de sa femme et sa fille. Au fond du trou depuis déjà trop longtemps, Don ne fait rien pour se ressaisir, se laissant aller à ce qu’il sait faire de mieux : picoler. Il ne tente rien pour recoller les morceaux d’une famille trop longtemps disloquée, peu aidé par son épouse Kathy, héroïnomane, et son ami Charlie, plus enclin à se taper sa femme en douce qu’à lui venir vraiment en aide. A travers ces différents personnages, Dennis Hopper se complait dans un misérabilisme sordide, ne craignant pas de trop charger la mule. A ce titre, le nihilisme du final coule de source, tant aucune lueur d’espoir ne vient éclairer ce récit d’une chute sans fin. Même les quelques scènes de félicité familiale, miroir déformant contre lesquels se heurtent violemment les rêves de Cebe de retrouver une famille unie, se trouvent entachées des gestes éthyliques de Don. Dans cet univers en vase clos, asphyxiant, il n’y a de place ni pour la sensiblerie, ni pour des jours meilleurs. Malgré toute sa bonne volonté, Cebe ne peut infléchir le mouvement qui mène inexorablement son environnement familial à sa perte.
Troisième réalisation de Dennis Hopper, Out of the blue est un film aussi inconfortable qu’inégal, duquel transpire un malaise persistant dont les dernières scènes se font l’écho avec un jusqu’au-boutisme forcené. Peu enclin à se mettre en valeur, l’acteur réalisateur se dévoile ici dans toute sa fragilité, le personnage de Don Barnes prenant valeur de catharsis pour lui dont les excès éthyliques étaient monnaie courante. En cela, Out of the blue rejoint Easy Rider par son caractère éminemment personnel, et symptomatique de l’esprit tourmenté de son auteur.