Fatal Games – Michael Lehmann
Heathers. 1989Origine : États-Unis
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Veronica Sawyers (Winona Ryder) est membre des “Heathers”, un groupe de filles précieuses et bourgeoises, populaires, qui passe son temps à brimer les personnes les moins populaires du lycée. Mais Veronica en a un peu marre des règles et des actes de cette petite confédération, et avec l’aide d’un nouveau venu dans sa vie, un certain JD (Christian Slater), elle va quitter le groupe. Tous les deux, ils vont même chercher à se venger : ils vont assassiner la chef des “Heathers” et maquiller le meurtre en suicide. Bien que ça aille un peu loin pour elle, Veronica participera à un deuxième faux-suicide, un double meurtre, cette fois contre les deux bellâtres à la tête de l’équipe de foot. Mais JD est insatiable : il souhaite continuer à organiser des meurtres maquillés en suicides, générant par ailleurs une vague de vrais suicides ! Veronica décide alors de se séparer de lui, et de déjouer ses plans…
Scénarisé par le rebelle Daniel Waters (à ne pas confondre avec le tout aussi rebelle John Waters), Heathers (ou Fatal Games en VF, mais c’est moins pimpant) prend la forme d’une comédie adolescente tout ce qu’il y a de plus classique. Le réalisateur Michael Lehmann a eu d’ailleurs le nez creux en piochant deux jeunes prometteurs, Wynona Ryder et Christian Slater, qui deviendront plus tard des acteurs reconnus et certainement des figures marquantes de leur génération (tombés depuis plus ou moins dans l’oubli, principalement Christian Slater). Le cadre du film est donc le lycée d’une banlieue américaine classique, plutôt aisée, ensoleillée et regorgeant d’une jeunesse bourgeoise typique de la décennie reaganienne. L’endroit rêvé pour un Daniel Waters qui cherche ici à humilier toute cette prétentieuse frange de la jeunesse qui ne jure qu’en terme d’image et de popularité. Les faux suicides ne sont ainsi pas vus par JD comme des actes de barbarie, mais comme de légères blagues potaches, méchantes mais amusantes. D’autant plus qu’avec les lettres prétendument laissées par les suicidés, JD et Veronica, en fait les vrais auteurs des lettres, se plaisent à manipuler l’image que s’étaient donné leurs victimes de leurs vivants : Heather (la chef des “Heathers”) ne passe ainsi plus pour une connasse méprisante mais comme une fille mal dans sa peau, ne parvenant plus à gérer toute la pression due à son rôle de meneuse. Les deux sportifs obsédés n’apparaissent plus comme des grosses brutes viriles, mais comme deux homosexuels n’ayant pas osé déclarer leur passion.
Et dans un grand élan d’humour noir, le film les réhabilitera tous à titre posthume, puisqu’avec leur “suicide”, avec la libération de leurs sentiments réprimés symbolisés par les lettres, et avec de géniales cérémonies d’enterrement menées par un prêtre débonnaire (Glenn Shadix, fidèle de Tim Burton… le film est également produit par Denise DiNovi, autre collaboratrice fidèle de Burton), c’est tout un lycée qui va se libérer de son mal-être pour atteindre son paroxysme dans une cafétéria transformée en sorte de “woodstock des années 80” (pour reprendre les propres termes de JD). Michael Lehmann (réalisateur débutant) et Daniel Waters s’intéressent donc à la condition des lycéens américains classiques, et démontent en règle les séries télévisées adolescentes avec leurs stéréotypes et leurs personnages toujours classés dans les mêmes catégories : les filles aussi belles que hautaines, les chefs d’équipe de foot, mais aussi les “geeks” ou même les moches exclus de toute micro-société ! Le propos du film est pertinent et démontre le ridicule de ces différentes catégories, qui ne sont après tout que les premiers pas de cette jeunesse dans un conformisme et dans la division de la société en “classes” sociales aussi bien que morales. Le suicide en tant qu’acte libérateur des contraintes sociales reste aujourd’hui un thème d’actualité, et la rancoeur que les parias éprouvent est au coeur même du film, ce qui, avec les massacres récents de Columbine ou de Virginia Tech apparaît effectivement comme quelque chose à ne pas regarder de haut. Le côté comique du film, s’il pourrait être aujourd’hui très mal reçu en Amérique vis-à-vis de ces thématiques, sert ici essentiellement à cacher la propre condition de JD, qui apparaît comme un fou affichant une abnégation psychopathe dans sa quête de vengeance révélant un mal-être dissimulé sous une attitude rigolarde de façade. C’est ce vrai comportement que comprendra Veronica, qui rompra donc tout lien avec son ami, mais qui pour autant n’ira pas déclamer son secret sur tous les toits (n’oublions pas qu’elle aussi a participé aux faux-suicides). Sa quête à elle, chercher à rétablir la paix dans un lycée sans pour autant inciter les autres à se suicider (car tel est l’objectif de JD, qui prône la mort comme libération des autres et/ou de soi) se révelera extrêmement compliquée, l’amenant à des mises en scènes et à des discours aberrants avec son ancien copain qui cherche à la “suicider” elle aussi.
Heathers est un film adolescent, certes, et il pêche par une morale parfois un peu trop grossière (l’intolérance, c’est mal, mais se venger par la violence, c’est mal aussi), mais il se révèle tout de même être très audacieux dans sa volonté d’établir des vérités banales à travers une forme provocatrice et satirique qui aide à faire passer la pillule sans trop de problèmes. Certainement pas un chef d’œuvre, mais un bon film au sujet d’un thème plus que jamais contemporain.