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Le Baron rouge – Roger Corman

 

Von Richthofen and Brown. 1971

Origine : Etats-Unis
Genre : Vaguement historique
Réalisation : Roger Corman
Avec : John Phillip Law, Don Stroud, Barry Primus, Corin Redgrave…

15 ans… C’est le peu de temps qu’aura duré la carrière de réalisateur de Roger Corman. Entre 1955 (avec Cinq fusils à l’ouest) et 1970, il aura tourné une petite cinquantaine de films, ce qui fait déjà beaucoup. Mais sans crier gare et sans que cela ne soit le moins du monde prévu, Le Baron rouge allait être son dernier film, si l’on omet le tardif baroud d’honneur qu’est La Résurrection de Frankenstein (1990) et quelques remplacements au pied levé sur ses propres productions partant en cacahouète. Ce qui ne devait être qu’un petit break lui permettant de se marier avec Julie Halloran -son assistante sur Le Baron rouge– et de fonder New World, sa propre compagnie de production, s’est transformé en un tournant décisif de sa carrière. Pris au jeu, Corman allait prendre du recul et, plutôt que de profiter lui-même de la liberté ainsi gagnée par rapport à l’époque où il officiait pour l’American Internation Pictures (avec laquelle les relations s’étaient tendues lorsque Corman en vint à remettre en question le conservatisme de Samuel Arkoff et James Nicholson), il allait user de son expérience avisée pour lancer de jeunes réalisateurs. Une nouvelle génération qui allait façonner le nouvel Hollywood, entérinant les changements opérés dans le cinéma et dans les mentalités de la fin des années 60. Avec des films comme le psychédélique The Trip, le provocateur Bloody Mama ou encore le sardonique Gas-s-s-s, aussi imparfaits soient-ils, Corman faisait figure de précurseur, et il eut l’intelligence de laisser la place et de se mettre au service des plus jeunes, en même temps qu’eux-mêmes se mettaient à son service…

Mais revenons au Baron rouge, ce dernier film dont Corman se montre si fier dans son autobiographie (de tous les films de sa carrière, c’est celui sur lequel il s’attarde le plus). Porté dernièrement par un éclectisme venant rompre avec le côté jusqu’ici assez cyclique de sa carrière (les western de ses débuts, la science-fiction à base de monstres fantaisistes, les drames sociaux adolescents, la comédie noire, l’épouvante gothique…), il aborde la reconstitution historique, un peu comme il l’avait fait pour L’Affaire Al Capone. A ceci près que si ce dernier s’inscrivait dans le cadre du film policier, Le Baron rouge fait dans le film de guerre. Et ce d’une façon beaucoup plus originale que la sympathique Invasion secrète de 1964. C’est que le présent film déborde d’ambition, plus encore que Corman n’en affichait lorsqu’il voulait faire une biographie du général Lee. Projet qui avait été rejeté par la United Artists (son point de chute en dehors de l’AIP) quelques dix ans plus tôt, justement car il leur semblait irréalisable tant pour des raisons financières que pour leurs doutes en la capacité de Corman à réaliser un film de ce calibre. Ce n’est qu’en 1970, peut-être à l’aune de ses productions plus récentes, que la même United Artists finit par lui accorder la confiance nécessaire. Entre-temps, le réalisateur s’était entiché d’une nouvelle figure, celle du baron Manfred von Richthofen, aristocrate prussien et as de l’aviation allemande durant la Première Guerre mondiale. Son duel avec le mécano canadien Roy Brown dans le ciel français, le “cirque volant” composé par son escadrille composée d’avions aux couleurs chatoyantes (le sien étant rouge… d’où son surnom), le dédain parfois affiché pour la hiérarchie militaire, son aura légendaire obtenue en des temps où être un aviateur faisait de vous une star nationale, tout ceci fut à l’origine de l’intérêt que lui portait Corman. Toutefois, se lancer dans un film de guerre aérienne présentait un défi d’autant plus énorme que son budget, sans être aussi minuscule qu’au début de sa carrière, restait réduit (moins d’un million de dollars… Le Crépuscule des aigles, filmé dans les mêmes lieux et avec les mêmes avions quatre ans plus tôt, en avait couté 5). Les six semaines allouées pour le tournage donnaient également peu de marge de manœuvre, d’autant que Corman prit la décision de filmer ses combats aériens en temps réel, avec l’aide de quelques pilotes chevronnés et des forces armées irlandaises. De son propre aveu, le travail exigé par Le Baron rouge fut autant celui d’un réalisateur que celui d’un contrôleur aérien. Et le résultat de cette organisation minutieuse montre s’il en était encore besoin que Corman était alors un véritable maître de la logistique, doublé d’un cinéaste audacieux et avisé. Non content de filmer des combats aériens dans une ère pré-numérique, il trouve également à chaque fois le point de vue parfait. Que les avions volent en escadrille ou isolément, qu’il soient abattus en plein vol ou qu’il viennent à piquer, qu’ils soient haut ou au ras du sol, suivis par un ennemi ou à bonne distance de celui-ci, qu’ils suivent une trajectoire rectiligne ou qu’ils s’adonnent aux acrobaties, le réalisateur se montre capable de tout montrer et ne s’en prive pas. Il trouve également le meilleur placement pour sa caméra : embarquée et tournée vers l’avant lorsqu’elle se concentre sur les tirs de mitrailleuse, tournée vers l’arrière quand l’accent est mis sur la chasse aérienne, éloignée pour offrir un panorama lorsque nous ne sommes pas dans un duel (ou lorsqu’un des deux avions est abattu), plongeante ou contre-plongeante, statique ou mobile, elle s’intègre dans un véritable ballet. Le seul petit reproche pouvant être adressé à Corman est qu’il est parfois difficile d’identifier les aviateurs, surtout avant que l’escadrille du baron ne se pare de couleurs vives. Mais ce n’est vraiment pas grand chose par rapport à un ensemble qui, en plus d’être magnifique, sait exactement ce qu’il faut faire et quand il faut le faire, ne cédant pas à l’esbroufe et retranscrivant à merveille les dangers de ces balbutiements de l’aviation militaire.

D’un film qui se montre aussi virtuose dans la mise en scène, on aurait pu s’attendre à des séquences sur la terre ferme qui viendraient alimenter les drames noués ou dénoués dans les airs… A cet égard, par contre, Corman se montre hélas assez léger, et pour plusieurs raisons. D’une part, bien que lui-même ne s’intéresse pratiquement qu’à Manfred von Richthofen, il s’est vu contraint par la United Artists d’intégrer le personnage de Roy Brown afin d’éviter de centrer son film sur le seul point de vue allemand. Résultat : Brown est un personnage assez fade hérité d’une propagande à l’américaine. Le petit gars venu de nulle part (c’est un mécanicien canadien) qui ne se laisse pas intimider ou fasciner par le glorieux aristocrate prussien, qui défend la veuve et l’orphelin (ici il conte brièvement fleurette à une belle estropiée française), qui affiche une abnégation sans faille (un peu méprisante parfois) et qui au final viendra à bout de son adversaire et de la méfiance que lui portent certains collègues. Rien de spécial à dire à propos de ce personnage assez inintéressant… En l’insérant dans son film sans pour autant lui donner la profondeur nécessaire, Corman se tire un peu une balle dans le pied, car il l’oppose à un Richthofen qui au contraire concentre tout l’intérêt du réalisateur. Ce qui aboutit à une disparité et rend assez superficiel l’antagonisme qui les oppose. L’impression dominante est que Brown est le seul à se donner un ennemi… Il est vrai qu’il n’occupe pas dans son camp la place que Richthofen occupe dans le sien, et il est logique que l’as allemand n’ait pas l’occasion de savoir qu’un petit canadien est à ses trousses. Mais tout de même, les deux trajectoires sont trop déséquilibrées et ne provoquent jamais vraiment l’envie de voir s’opposer les deux ennemis. Richthofen, de son côté, en plus d’apparaître comme un chevalier venu d’un autre âge pour s’emparer d’un domaine tout nouveau (l’aviation), bénéficie d’une flamboyance que l’on ne retrouve pas chez le besogneux Roy Brown. Son cirque volant (ou “flying circus” qui donna probablement son nom à l’émission des Monty Python) reflète bien sa personnalité. A une exception près sur laquelle nous reviendrons, il unifie ses troupes, façonne un esprit de corps, les incite au courage par son propre exemple, leur donne de la superbe, les prépare au sacrifice qu’il juge inévitable pour lui-même et sait les défendre y compris contre la hiérarchie militaire. Par son physique de jeune blondinet un peu rigide, John Philip Law, son interprète, lui confère même un côté un peu rêveur… Toutefois, il demeure l’impression que le personnage n’est pas assez abouti, la faute à cette nécessité que se trimbale Corman de revenir également à Roy Brown. Il aurait été plus judicieux d’approfondir la philosophie de vie (ou plutôt de guerre) de Von Richthofen, voire éventuellement sa formation auprès d’Oswald Boelcke, trop rapidement esquissée.


Autre point sur lequel certains trouveront à redire : le manque de rigueur historique. Corman ne prétend pas réaliser un film d’historien, mais un peu plus de véracité n’aurait pas été du luxe. Ne lui tenons pas rigueur d’avoir illustré des faits alors reconnus comme établis mais qui de nos jours ne le sont plus (ainsi Richthofen n’aurait pas été abattu par Brown depuis son avion mais par des tirs au sol). Plus problématique est cependant le silence passé sur les exactions commises par Richthofen… Dans son désir de le montrer comme un chevalier, Corman évite de nous le montrer en train de se livrer à des tueries peu glorieuses de gens au sol. Ces exactions, il les attribue à un autre personnage qui n’a strictement rien à faire dans le film : Hermann Göring. Certes, le futur patron de la Luftwaffe est reconnu comme un héros allemand de la première guerre mondiale (c’est d’ailleurs ce qui en a fait une recrue de choix pour Hitler) et il a fini par prendre la tête de l’escadrille dirigée par Richthofen, mais il n’a jamais volé sous les ordres de ce dernier. Il n’a donc pas pu commettre tous les crimes qui dans le film lui sont vertement reprochés par le baron rouge. D’une manière plus générale, si Corman a fait de Roy Brown le prototype du “p’tit gars” d’Amérique du nord, il a fait aussi de Göring la caricature du chien fou. Ce qui s’avère préjudiciable pour la crédibilité de son film. L’erreur tient aussi à convoquer l’image des nazis dans un film traitant d’un fait particulier de la première guerre mondiale, là où elle n’a rien à faire. Ces grosses ficelles, très américaines (notons d’ailleurs que les français sont totalement absents du film, de même qu’il n’y a aucune contextualisation de l’intrigue), viennent rappeler que nous sommes dans une série B, aussi bien troussée soit-elle pour tout ce qui concerne la mise en scène.

En un sens, Le Baron rouge résume bien la carrière du Corman réalisateur. Il dispose de qualités évidentes de metteur en scène, de technicien, d’organisateur et même d’auteur très ouvert d’esprit, mais il est également capable d’un certain amateurisme pour tout ce qui apparaît comme secondaire à ses yeux, y compris des pans entiers de scénario, expédiés ou simplifiés. Corman n’a jamais été très bon conteur. On notera d’ailleurs qu’il fut très rarement lui-même auteur de ses scénarios, généralement commandés à ses hommes de confiance (ici aux époux Corrington, qui signeront aussi le Bertha Boxcar de Scorsese tourné pour Corman). En gros, il semble toujours avoir été en quête d’expérimentation et de défis, prenant rarement le temps de peaufiner jusque dans les moindres détails (quelques exceptions à la règle cependant… et parfois il se laissait aussi aller en totale roue libre). Ce mélange d’inventivité et de dilettantisme, illustré de façon criante dans Le Baron rouge, est ce qui fait de lui un cinéaste éminemment appréciable, parfois même en avance sur son temps, mais pas un maître comme peut l’être un Kubrick… Il n’a du reste jamais prétendu l’être. Mais à travers sa carrière, il a prouvé que les artisans de la série B pouvaient largement passer au stade supérieur, et qu’à faire leurs armes dans cet univers propice aux challenges, ils pouvaient finir par en tirer un grand bénéfice. Un véritable pionnier !

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