Future Cop – Charles Band
Trancers. 1985Origine : États-Unis
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En l’an 2247, Los Angeles est surtout une ville sous-marine. Le tremblement de terre tant redouté s’est produit il y a déjà longtemps, laissant la cité des anges sous les flots. Dans ce monde dévasté, le flic Jack Deth (Tim Thomerson) a consacré sa carrière à la traque du criminel Martin Whistler (Michael Stefani), sorte de gourou capable de s’emparer des esprits faibles pour en faire des zombies à sa solde. Ce qui reste de la civilisation est donc en péril. Bien que disparu dans une précédente offensive de son ennemi, Whistler n’a pas dit son dernier mot. Il s’est réfugié en 1985, dans le corps de son ancêtre Weisling pour abattre les aïeuls des deux actuels leaders de Los Angeles. Jack Deth accepte d’être lui aussi envoyé dans le passé, dans la peau d’un de ses parents, afin de protéger les deux proies. Coup de bol, il va bénéficier de l’aide de Leena (Helen Hunt avant la célébrité), copine de son avatar de 1985. Mais autant le dire tout de suite, ce n’est pas gagné puisque dans ce monde pré-apocalyptique, Weisling est un flic important de Los Angeles, tandis que Deth n’est qu’un modeste journaliste.
Au début des années 80, l’influence nihiliste plus ou moins liée au mouvement punk se fait encore ressentir. Outre les rejetons de Mad Max 2, la science-fiction accouche de deux films majeurs, Blade Runner et Terminator, qui ne laisseront pas de marbre les petits producteurs opportunistes tels Charles Band qui, avec sa firme Empire, allait tenter de s’imposer comme le Roger Corman des années 80. Producteur compulsif, Band, contrairement à cet autre fils spirituel de Corman qu’est Lloyd Kaufman, est cependant bien plus timide lorsqu’il s’agit de passer lui-même à la réalisation. Manque de flair ou bien manque de confiance en lui-même, il fallut attendre plus de deux décennies après ses débuts pour le voir enfin enchaîner les tournages à un rythme digne du Corman réalisateur. Ce qui fait qu’il passa largement à côté des années 80, période pourtant propice aux séries B en tous genres et aux réalisateurs tâtonnants. Trancers (Future Cop pour l’inutile titre VF), est ainsi l’une de ses seules réalisations de cet âge d’or de la vidéo. Et c’est tout bonnement sa seule réalisation vraiment fructueuse, puisqu’elle engendra cinq autres films, devenant l’une des franchises les plus prolifiques d’une compagnie qui en compte plusieurs, et s’imposant sans grand peine comme le summum de son apport à la science-fiction, genre éclipsé par le relatif succès des films d’horreur du label Empire.
Au sein même de Trancers, Band ne peut d’ailleurs s’empêcher de faire référence à l’horreur en imaginant lesdits Trancers, ces zombies au look de possédés appartenant davantage à la tradition vaudou (car contrôlés par Whistler) qu’à celle de George Romero. Ce qui est disons le assez gratuit, car bien que donnant leur nom au film, ces créatures sont bien loin d’avoir une quelconque importance et sont d’ailleurs fort peu nombreuses. La façon dont Whistler les manipule est assez nébuleuse, avec pour seule indication la mention des esprit faibles et des esprits forts, concept bien pratique pour justifier que le grand méchant ne se mette pas dans le crâne de contaminer les proches immédiats de Jack Deth. Ceci dit, du coup, ce que le film perd en cohérence, il le gagne en effet de surprise, comme par exemple dans l’introduction, lorsqu’une brave cuisinière de restaurant routier se met soudain à sauter par-dessus ses friteuses pour agresser le flic désabusé. Ce qui donne également une bonne indication sur ce que vise Charles Band, à savoir les petits plaisirs immédiats plutôt qu’une vision scénaristique à longue portée. Bien que très influencé par Terminator, et un peu moins par Blade Runner, Trancers ne donne jamais l’impression de vouloir se poser comme une fresque d’anticipation, ni même comme le coup d’envoi d’une saga à enjeux. Le réalisateur, qui n’est d’ailleurs même pas l’auteur du scénario, ne s’intéresse pas à la mission de Jack Deth autrement que sous l’angle de l’action qu’elle va entraîner dans les prochaines scènes. Les deux vieux croulants sans charisme qui incarnent la sauvegarde de la civilisation du futur sont aussi peu étoffés que leurs ancêtres, un bodybuilder pour l’un et un ex joueur de baseball désormais à la rue pour l’autre. On voit également fort mal l’ambition de Whistler, tant la société du futur ne ressemble déjà plus à rien (ou plutôt si, à une boîte de nuit des années 80 avec des néons colorés partout… ça ne serait pas plus mal d’en faire table rase). Ce mépris total pour la crédibilité de l’intrigue trouve son paroxysme avec le gadget dont Jack Deth est équipé à son départ, à savoir une montre capable de ralentir le temps sur une courte durée, une seconde se transformant en 10 secondes pour son utilisateur (ou en une minute pour le réalisateur… au passage, notons que le cinéma, que ce soit dans des mastodontes d’Hollywood ou dans des séries B, est incapable de respecter les comptes à rebours sans tricher). Le type même de bidule destiné à servir de rebondissement grossier, à la limite du ridicule. L’usage de cette montre, limité à un essai, mais en fait deux puisque Deth en reprendra une lors d’un bref aller-retour à son époque, amène une version assez primitive du bullet time, dans laquelle notre héros en imperméable a non seulement le temps d’éviter une balle, mais aussi de porter sa copine jusque dans la voiture alors que tout autour de lui est au ralenti. Encore plus saugrenue, la seconde utilisation, dont je tairai la nature car elle se déroule à un moment clef de l’histoire, entérine le côté “deus ex machina” du gadget. Et en plus, Jack Deth ne profite même pas de ces instants quasi figés pour tuer son ennemi, pourtant immobile à deux mètres de lui…
Il faut dire qu’on a bien du mal à cerner le flic venu du futur. Mélange du Deckard de Blade Runner et de l’inspecteur Harry, il se montre dans l’introduction comme un flic sorti des films noirs : vieil imperméable, personnalité de dur à cuire, taciturne, porté sur la gâchette, réfractaire à sa hiérarchie… Et puis, en 1985, au contact de Leena, il se ramollit progressivement, accepte de danser dans une boîte punk, et susurre même des mots doux à sa protégée qui ressemble parfois plus à une protectrice. Leur romance est bien entendu à rapprocher de celle qui naît entre Sarah Connor et Kyle Reese dans Terminator, mais elle ne se couvre jamais de cette sensation de fatalité qui s’inscrivait dans la noirceur globale du film de Cameron. Ce n’est pourtant pas faute d’avoir voulu copier le style visuel des deux influences de Trancers, puisque la quasi intégralité du film se déroule dans le Los Angeles nocturne, avec des virées par Chinatown, par des ruelles sombres, par des entrepôts désaffectés… Pas assez pour faire du film un néo-noir, surtout que Band ne rechigne pas à placer de temps à autre quelques gags bas de plafond (un père Noël zombie, un scooter qui passe par une fenêtre, un punk jaloux etc…). Quant à Whistler, sa personnalité est désincarnée comme celle du Terminator, mais compte tenu du contexte, et de son interprète, il ressemble plus à un junky qu’à un robot.
Trancers est un film con, ça ne fait pas un pli. Mais malgré tout un honorable film con, dans le sens où ses absurdités sont assumées, là où certains autres films les assènent avec gravité et là où d’autres (plus récents, en général) les accentue pour se faire passer comme un film comique. Charles Band n’est certainement pas un grand réalisateur, il ne saurait se montrer aussi corrosif qu’un Corman (ce qui est également largement valable pour ses productions), ni même aussi provocateur qu’un Lloyd Kaufman qui en fait parfois un peu trop. Sa participation à la science-fiction “dickienne” n’est en fait ni plus ni moins qu’un verni pour tourner un simple film d’action, mené tambour battant (sur une heure et quart, condensant le rythme au maximum) et parfois en dépit du bon sens. Sympathique mais limité, Trancers reflète bien la politique Empire.