Bons baisers de Russie – Terence Young
From Russia with Love. 1963Origine : Royaume-Uni
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Il n’aura fallu qu’un an pour qu’un second James Bond voit le jour à la suite de Dr. No. A cette époque, les scénaristes n’avaient que l’embarras du choix : tous les romans de Ian Fleming étaient susceptibles d’être portés à l’écran. Mais c’est finalement Bons baisers de Russie qui fut choisi en raison de l’aveu du Président Kennedy, qui avoua que ce roman comptait parmis ses favoris. La légende veut d’ailleurs que son adaptation fut le dernier film vu par JFK avant sa mort.
Quoi qu’il en soit, un an entre deux films, cela peut sembler court. La précipitation guettait. Mais l’avantage était que Dr. No, s’appuyant sur l’oeuvre de Ian Fleming, posait déjà les bases de tous les films 007, qu’il ne restait plus qu’à réutiliser. L’équipe du film n’ayant que très peu évolué et les postes principaux étant occupés par les mêmes personnes, la période de rôdage n’était plus nécessaire, d’autant que le succès du premier film prouvait la récéptivité du public. Ainsi, Bons baisers de Russie réutilise tous les codes posés par son prédécesseur, n’en rajoutant que quelques uns, assez minimes (le pré-générique, le fameux “James Bond reviendra dans…”, l’apparition d’un violent homme de main à la solde de l’ennemi). Etant également la première séquelle, le film se permet de faire une référence directe à l’aventure précédente, chose qui par la suite se fera rare, chaque aventure ayant tendance à se suffir à elle-même. Ici, Bond est attiré à Istanbul dans le piège de l’organisation terroriste internationale nommée SPECTRE et dirigée par le mystérieux Blofeld (dont le visage n’est jamais montré). L’objectif de celui-ci est de faire main basse sur un appareil de décodage soviétique, convoité également par les puissances occidentales. Pour se faire, Rosa Klebb (Lotte Lenya), une des responsable du SMERSH (les services secrets soviétiques) ayant trahis son pays au profit du SPECTRE, va dépêcher à Istanbul Tatiana Romanova (Daniela Bianchi, Miss Univers 1960), une de ses agents, inconsciente de la trahison de sa sévère patronne. Tatiana est présentée à Bond comme une soviétique désireuse de passer à l’ouest, emmenant avec elle le précieux appareil de décryptage. Une fois l’engin volé aux soviétiques, Klebb n’aura alors plus qu’à assassiner Bond pour le récupérer, ce qui permettra également de venger le Dr. No, le collaborateur du SPECTRE vaincu par Bond dans le film précédent.
Si les codes de ce James Bond-là sont les mêmes que ceux de tous les autres, le film n’est pourtant en rien comparable à eux. Il se démarque même de Dr. No, en comparaison bien plus proche des films suivants. C’est que Bons baisers de Russie se distingue avant tout par son réalisme. Ici, les objectifs de l’ennemi (le SPECTRE remplaçant le SMERSH -pourtant utilisé dans le livre- pour ne pas froisser les susceptibilités du public) n’ont pas de portée mondiale. Si il y a bien la volonté de la part de Blofeld et de ses troupes de monter l’Ouest contre l’Est, ce n’est pas pour déclencher quelque Troisième Guerre Mondiale mais bien pour favoriser la récupération de l’engin de décodage, lui-même un détail bien insignifiant sur lequel le réalisateur ne s’attarde pas, n’en faisant qu’un prétexte à diverses oppositions entre le SPECTRE, les soviétiques et Bond (accompagné de ses alliés en Turquie). Ces oppositions elles-mêmes sont loin d’être des montagnes d’action pétaradante et explosive. Le film se concentre avant tout sur un côté de James Bond que l’on oublie trop souvent : le fait qu’il s’agit d’un agent secret. Par la suite, l’escalade des effets spéciaux aidant, 007 n’hésitera plus à tout faire péter en public, à parcourir les routes dans des voitures bourrées de gadgets, à s’adonner au canardage en peine rue et à laisser sa trace un peu partout. Bons baisers de Russie l’utilise véritablement comme un agent secret, tout comme ses antagonistes, utilisant des faux noms, prenant la peine de se cacher et à agir dans des lieux assez déserts (ou uniquement peuplés d’ennemis). Ce qui ne veut pas dire que les quelques scènes d’action, bel et bien présentes, ne soient pas spectaculaires.
Les ennemis de Bond eux-mêmes auront recours aux mêmes méthodes pour faire avancer une intrigue élaborée, réservant des surprises sans pourtant devenir bordélique. A ce titre, et avec une noirceur générale venant empiéter sur l’exotisme stamboulliote, le film sera bien plus proche d’un thriller que d’un film d’action, une scène (un meurtre dans la mosquée Sainte-Sophie) se rapprochant même de l’esthétique du giallo. Pour l’anecdote, on peut également rappeler qu’avant que la saga 007 ne soit créée par le tendem Broccoli / Saltzman, Alfred Hitchcock lui-même fut un temps intéressé par l’adaptation du livre de Fleming, Cary Grant devant tenir le rôle de James Bond et Grace Kelly celui de Tatiana Romanova. Si on peut légitimement regretter que ce projet ne se soit pas fait, on ne peut pas dire non plus que le film de Terence Young entretienne les regrets. James Bond y trouve l’occasion pour montrer ses talents professionnels sans avoir recours aux grosses pétoires ni aux gadgets fantaisistes. Seule une mallette trafiquée offerte par Q (Desmond Llewelyn pour la première fois dans le rôle) l’aidera dans sa mission. Sean Connery incarne un Bond assez froid, assez distant, n’hésitant pas à baffer la gentille Bond Girl de service, qui prend des allures de pion dans le jeu d’échec auquel se livrent les forces en puissance (ce qui est très misogyne il est vrai). Les penchants pour les bons mots ou pour la drague qui le caractériseront plus tard n’étant ici que des signatures discrètes et non des fins en elles-mêmes. Bref, le personnage ne manque pas de charisme, et le soin qui lui est resérvé est valable également pour ses antagonistes du SPECTRE, eux aussi à la fois solides et discrets : Rosa Klebb, qui semble sortie d’un goulag d’Ilsa, le mystérieux Blofeld, l’intellectuel Kronsteen, et bien sûr le tueur Donovan Grant (Robert Shaw), dont la violente bagarre avec Bond dans un compartiment de l’Orient Express est prodigieuse (la censure ayant même un temps supprimé cette séquence).
Bons baisers de Russie est à raison considéré comme l’un des meilleurs films de toute la saga. Son approche réaliste et subtile, pourtant non dépourvue d’une vision typiquement “bondienne” en fait un film à part dans une saga trop souvent tentée par la pyrotechnie. Le film est avant tout une plongée crédible dans les coulisses mouvementées de la géopolitique, qui ne se caractérisent pas par des projets sensationnels mais bien plus par une atmosphère de méfiance perpétuelle et de violence en douce. Tout aussi dépaysant que des voyages dans l’espace organisés par une clique de néo-nazis !