Wartime – Umberto Lenzi
Tempi di guerra. 1987Origine : Italie / Yougoslavie
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Quelque part en Yougoslavie, dans l’intimité d’une raffinerie surprotégée, les SS peaufinent un bien mauvais coup. Le professeur Amundsen, détenteur d’un prix Nobel, travaille pour eux sur la création d’une arme qui s’annonce ravageuse. Pour empêcher l’achèvement de ses travaux et ramener Amundsen avec eux aux Etats-Unis, le capitaine Rosen et le sergent Grant sont parachutés dans le maquis où ils rejoignent les partisans yougoslaves menés par Branko (Boris Dvornik). Et puisque la raffinerie est décidément une citadelle imprenable, ils s’arrangent pour que ce soit les allemands eux-mêmes qui leur livrent le savant. Et donc direction le bordel du coin, où il sera aisé d’imposer ses volontés à des SS surpris la culotte aux chevilles.
Miné par ses problèmes structurels, le cinéma populaire italien se disperse. Fini les modes d’antant, chacun fait à peu près ce qu’il lui plaît, le plus souvent en roue libre et avec des budgets revus à la baisse. Aucun réalisateur ne réussira à sortir indemne de cette époque donnant l’impression d’un sauve-qui-peut général. Umberto Lenzi fait alors un peu n’importe quoi, signant en cinq ans plusieurs films de maisons hantées dont deux pour la télévision, plusieurs films gores, plusieurs films d’aventures, plusieurs films d’action et plusieurs films de guerre. Il bénéficie parfois de l’aide de co-producteurs étrangers, ce qui lui permet plus ou moins de sauver les meubles. Tout comme Commando Panther (avec lequel il a été tourné en doublette ? A voir, en tout cas leur équipe technique est la même), Wartime est co-produit par la Yougoslavie, là où le film a été tourné avec la présence d’acteurs locaux dont Boris Dvornik, star en son pays, quoique sa popularité fut à l’époque déclinante. Terrain propice aux films de guerre, la patrie non encore disloquée du général Tito s’est toujours montrée accueillante pour les productions étrangères, mettant son matériel militaire à disposition. Et un gars comme Lenzi qui a toujours été un grand gamin ne peut que s’en réjouir ! C’est ainsi que Wartime pourrait répondre aux définitions de la Résistance par Pierre Desproges : “La Résistance, c’était la vie au grand air, youkaïdiyoukaïda, la chasse aux girolles et les feux de camps sous la lune avec les copains […] dans la Résistance on s’amuse : Boum ! le train ! Boum ! la voie ferrée ! Boum ! le petit viaduc !“. Se déroulant la majeure partie du temps dans une verdoyante campagne bucolique, là où les partisans ont installé leur campement, Wartime est un film de guerre bon enfant très lenzien confinant parfois au mauvais goût. Voir ce méchant SS concentrant les pires tares attribuées aux siens (un aryen gueulard, carriériste, sanguinaire, craint de ses hommes) violenter une prostituée parce qu’elle ressemble selon lui à une juive ou encore le voir condamner à Mauthausen la tenancière du bordel sur un coup de tête avec un grand sourire sadique aux lèvres ne relève pas d’autre chose que de l’exploitation des drames de la guerre. Non dans un but de mémoire, mais bien pour faire du major Dietrich un méchant de série B et justifier ainsi par sa personnalité la razzia démesurée lancée par les allemands pour anéantir la petite vingtaine de partisans vivant comme des boys scouts sous la houlette d’une sorte de José Bové obèse. Et pour bien souligner que Dietrich est un pourri, Lenzi n’hésite pas à lui accoler un supérieur hiérarchique bien plus humaniste et qui lui-même tremble devant Dietrich. En faire des tonnes sans se soucier de la crédibilité ou du bon goût, c’est tout Umberto, ça. Mais ça ne serait pas pareil si l’on ne trouvait pas aussi de quoi s’amuser et transformer cette caricature de méchant en véritable guignol. Comme par exemple de le surprendre en sous-vêtements dans un bordel. Ou encore la façon particulièrement pathétique dont il finit… De nombreuses choses sont excentriques au sein de Wartime, film dans lequel tout le monde -exception faire du supérieur de Dietrich qui doit se demander si il ne s’est pas trompé de plateau de tournage- s’amuse bien. Et ce n’est pas moi qui le dis, mais bien un des partisans, qui emploie l’adjectif en plein milieu d’une énième bataille. Énième, car les partisans et les nazis jouent en permanence au chat et à la souris. Les partisans libèrent Amundsen, se le font revoler, le reprennent… Le scientifique ne sait lui-même pas trop ce qu’il veut, et développe un argumentaire d’une naïveté confondante (il ne savait tout simplement pas que les nazis étaient méchants !) qui font de ce nobelisé un véritable McGuffin sur pattes. Mais après tout, les camps qui se le disputent sont du même calibre. Dans le rôle de la souris malicieuse, les partisans et les deux alliés américains transparents font très fort. Entre leur arrivée au bordel et l’infiltration grimée en prêtres orthodoxes -comme quoi, la citadelle allemande est bien perméable-, ils rentrent chez leurs ennemis comme dans du beurre. Dietrich a beau jeu de jouer aux caïds, lui et ses troupes sont d’une incapacité notoire. Ils jouent le rôle du chat, brute épaisse sans cervelle. C’est que si les partisans utilisent des stratagèmes ubuesques, les nazis répliquent sans le moindre sens de la mesure. C’est là que Lenzi prend le plus de plaisir : tanks, artillerie, avions, tout y passe dans des scènes de très forte ampleur, avec un léger accent sur ce qui est le plus spectaculaire, c’est à dire les bombardements aériens transformant le terrain en passoire. Et pour ne pas gâcher le plaisir, ces scènes ont bel et bien l’air réelles… Un doute subsiste cependant. A savoir que les scènes les plus remuantes, celles qui incluent du matériel militaire “lourd” n’ont pas le même grain que celles de dialogues, et qu’elles sont dépourvues des bandes noires du 16/9e, pourtant visibles dans les scènes incluant les principaux acteurs (il existe même une troisième variante, celle avec des bandes réduites). Si il s’agit d’images d’archives, ce qui est très plausible vu le degré de réalisme (on imagine mal les yougoslaves pilonner leur propre sol pour le père Lenzi) elles ont en tout cas été prises sur le lieu du tournage, puisqu’aucun souci de continuité n’est à déplorer dans l’unité de lieu. Il pourrait aussi s’agir d’images piquées à un autre film tourné au même endroit, mais cela semble un peu gros. Ou alors les effets spéciaux sont vraiment révolutionnaires… Toujours est-il que même avec un format mouvant, et si on ajoute aux combats militaires des combats aux corps à corps et une superbe scène de détournement ferroviaire, Wartime en impose et n’a rien à envier aux productions hollywoodiennes en ce qui concerne le spectacle offert. Le miracle lenzien a encore frappé : tout est bon pour en mettre plein les yeux, y compris passer par les pires absurdités qui raccrochent le film corps et âme au bis italien en général, et à ce réalisateur en particulier.
Comme c’était déjà le cas dans plusieurs de ses polars (on peut y exclure au moins La Rançon de la peur, plutôt noir), on perçoit ici une vague de second degré irrévérencieux couvrant les inepties du scénario. Lenzi n’est jamais aussi bon que lorsqu’il ne prend pas le médium cinématographique au sérieux. Certains de ses films, et celui-ci en fait partie, ont franchement des allures de “pulps” et revendiquent clairement leur origine très populaire. Lenzi ne s’adresse pas aux cinéphiles, et il se soucie peu de son image (il se définit d’ailleurs comme un anarchiste), ce qui lui permet de se comporter en cancre, en sale gosse voulant amuser la galerie. Ce qu’il parvient ici à faire, peut-être pour l’une des dernières fois de sa carrière. Forcément, certains trouveront ça inepte, mais ceux-ci n’auraient de toute façon pas dû se fourvoyer dans un film d’Umberto Lenzi.