CinémaHorreur

Terrifier – Damien Leone

Terrifier. 2016

Origine : États-Unis
Genre : Slasher
Réalisation : Damien Leone
Avec : David Howard Thornton, Jenna Kanell, Samantha Scaffidi, Catherine Corcoran…

Entre le tournage d’une nouvelle adaptation de Ça d’après Stephen King et la vague de plaisantins grimés relayée dans la presse ou sur Youtube, 2016 fut incontestablement l’année du clown. On ne saurait toutefois taxer Damien Leone d’opportunisme lorsque son Terrifier débarqua très modestement sur les écrans cette année-là. La première apparition de Art le clown, son tueur vedette, remontait à plusieurs années auparavant : il fut ainsi un des monstres du court-métrage The 9th Circle datant de 2008. Le personnage ayant été positivement remarqué par ceux qui le virent, Leone entreprit de lui consacrer un autre court-métrage, déjà nommé Terrifier, sorti en 2011. C’est en le visionnant sur Youtube que le producteur Jesse Baget eut l’idée d’un film à sketchs dont Leone se chargea lui-même. Le résultat fut All Hallows’ Eve, un direct-to-DVD paru en 2013 et qui reprenait aussi bien The 9th Circle que Terrifier, avec au milieu un sketch incluant des extraterrestres mais dont Art ne fut pas totalement absent. Bien qu’All Hollows’ Eve connut une séquelle, Leone ne s’y impliqua pas au-delà de la production (du moins est-il crédité ainsi) et Art le clown en fut totalement absent. Tout comme il le fut du long-métrage suivant de Leone, Frankenstein vs. the Mummy, toujours produit par Bagget, toujours distribué directement en DVD ou sur les plateformes numériques et mettant à l’honneur deux autres monstres dont la réputation n’était plus à faire. Quant à l’avenir de Art le clown, il fut tributaire des bénéfices récoltés par un crowdfunding destiné à lui procurer son propre long-métrage, lui aussi titré Terrifier. Via l’apport des mécènes anonymes et celui d’autres personnes à la contribution plus conséquente (comme un certain Phil Falcone, moyennant un crédit officiel comme producteur, un poste d’assistant réalisateur, une implication dans les effets spéciaux et les cascades), le projet finit par se concrétiser, non sans avoir perdu au passage l’acteur Mike Giannelli, l’interprète de Art, désireux de s’éloigner des plateaux de tournage. Remplacé par David Howard Thornton, qui avait déjà postulé auparavant pour le rôle, le premier film de Art apparut dans quelques festivals confidentiels où il suscita l’attention du site Dread Central, consacré au cinéma d’horreur et en passe de se lancer dans le grand bain de la production et de la distribution. Allié au studio Epic Pictures avec lequel il fusionnerait bientôt, il permit au film de Leone de connaître une rudimentaire exploitation en salles (en 2018) en plus de la distribution en DVD et sur plateformes. Puis, le film étant ce qu’il est, il gagna en réputation par le bouche-à-oreille et finit par connaître une séquelle sortie fin 2022 et qui selon une légende bien rôdé aurait provoqué évanouissements et vomis à gogo dans les salles obscures. Une “success story” horrifique à l’Américaine bien comme il se doit !

Au terme d’une soirée d’Halloween bien arrosée, Tara et Dawn ne se sentent pas de reprendre le volant. Tara étant en outre un peu effrayée par un sinistre clown rôdant autour de leur voiture, elle préfère aller grignoter un morceau à la pizzeria du coin, ne serait-ce que pour réduire la biture. Elles sont bientôt rejointes par le même clown, qui après un inquiétant mutisme se livrera à quelques simagrées puis se fera éjecter manu militari par le patron pour avoir conséquemment salopé les chiottes. Retournant un peu plus tard à leur voiture, Tara et Dawn constatent qu’un pneu est crevé… Il va leur falloir se résoudre à appeler Victoria, la sœur de Tara, pour venir les chercher. Mais en attendant qu’elle arrive, prise d’un irrépressible besoin naturel et malgré la peur qu’elle continue à ressentir à cause du clown, Tara se risque dans le bâtiment abandonné devant lequel elle et sa copine sont bloquées. Pour Tara, pour Dawn, pour Victoria et pour les quelques badauds qui les croiseront, la nuit va être longue… ou prématurément écourtée.

A la mémoire de Wes Craven, de George A. Romero et de Tobe Hooper“. Voici les mots qui ouvrent le générique de fin de Terrifier et qui ne laissent guère de doute : Damien Leone est l’un de ces innombrables jeunes réalisateurs à se revendiquer ouvertement d’une culture horrifique, et pas la plus confidentielle qui soit si l’on en juge à ces trois noms de grands réalisateurs décédés (gageons que s’ils avaient été morts, Dario Argento, John Carpenter, David Cronenberg ou Joe Dante auraient été cités eux aussi). La mode étant aux citations ad nauseam, le film aurait pu n’être qu’un récital à l’initiative d’un disciple motivé par sa seule passion du genre et s’évertuant à reproduire des passages de ses films favoris. Ce qu’il n’est pas : Terrifier ne cite pas plus Massacre à la tronçonneuse que Halloween, Les Griffes de la nuit ou Zombie. Dépourvu de tout semblant de scénario, il se rattache en fait à la seule tradition du slasher dans lequel ne compte que le jeu de massacre. Ou plutôt, par un biais ou un autre, il les cite tous : Halloween parce qu’il s’agit d’un tueur en goguette le soir de la fameuse célébration, Les Griffes de la nuit parce qu’il se déroule dans un entrepôt abandonné et poisseux comme l’est l’antre du Freddy Krueger des débuts, Zombie parce qu’il est ostensiblement gore et Massacre à la tronçonneuse parce qu’il se veut un survival qui prend aux tripes. Autant d’ingrédients qui sont devenus des clichés (pour autant qu’ils ne l’étaient pas déjà lorsque ces classiques les utilisèrent). De là, parce qu’il ne s’enferme pas dans un schéma en particulier et prend la forme rudimentaire du slasher, Leone a toute latitude pour faire à peu près ce qu’il veut. Et à ce compte-là, il se rapproche en fait bien davantage de son époque : Terrifier est tout entier tourné vers la volonté d’apparaître complaisamment brutal et dégueulasse, et à ce titre il se rapproche de choses comme Hostel, Saw, Massacre à la tronçonneuse sauce Michael Bay et autres incarnations du “torture porn” nés en réaction à l’aseptisation des slashers post-Scream. Son esthétique y joue pour beaucoup : la décrépitude de son cadre savamment entretenue (le bâtiment est une ruine infestée de rats), la lumière crue qui ne rend les ombres que plus violentes, le rouge sang qui tranche sur des couleurs fades, tout cela fait profondément moderne. Reconnaissons que pour un film conçu avec les moyens du bord, Terrifier parvient largement à se hisser au même standing de production que les “torture porn” les plus connus. Ses effets spéciaux et de maquillage à l’ancienne sont tout à fait réussis, ce qui permet au réalisateur -qui les a d’ailleurs lui-même conçu avec Phil Falcone- de s’appesantir sur eux sans gêne aucune, et il ne s’en prive pas : tête qui explose à coup de talon, nana écorchée vive et peau servant de costume au tueur (mais au contraire de Leatherface qui utilisait la peau du visage, Art utilise les seins…), énucléation, tête criblée de balle, cannibalisme et surtout, climax gore du film, cette donzelle suspendue par les pieds et coupée verticalement à la scie sous les yeux de sa copine ligotée… Effectivement, tout cela donne un film bien crasseux.

Toutefois, quid du contexte de ces effusions sanguinolentes ? Et bien pas grand chose… Le schéma du slasher est respecté dans toute sa simplicité et dans l’ensemble il ne s’agit que d’une course poursuite entre un prédateur et sa victime. Leone tente bien le coup du twist en changeant d’héroïne à mi-chemin (procédé qui remonte au moins à Psychose), mais d’une part cela devient vite prévisible du fait de cette histoire de coup de fil à la grande sœur, et d’autre part ce changement de casting n’entraîne pas de modification notable dans un récit qui continue à ronronner sa formule classique. D’autant que s’il évite d’en faire des bécasses éhontées, Leone ne donne pas spécialement envie de s’intéresser à ses protagonistes, réduites qu’elles sont à faire vivre l’intrigue sans la faire virer au guignol comme l’auraient fait lesdites bécasses. Pour passer le temps, il envoie ici où là un second couteau se faire occire, ce qui outre les effets gores permet aussi de faire sortir du tableau une potentielle aide à l’héroïne du moment : ainsi ces deux travailleurs pris par surprise, ou encore ces deux restaurateurs dont les meurtres marquent le coup d’envoi des exactions. Il y a bien cette paumée qui vit dans le bâtiment en cajolant la poupée qu’elle prend pour un véritable bébé, mais après avoir un temps laissé entendre qu’elle avait un lien avec Art le clown, Leone la rabaisse elle aussi au même rang que les autres victimes, avec toutefois cette volonté de choquer en plus, puisque la donzelle met en avant sa “maternité”. Bref, un peu de poudre aux yeux destinée au mieux à entretenir sa seule ambition : faire dans le glauque. Et il sait très bien que sur ce créneau, sa meilleure arme reste encore Art le clown, la seule véritable star de son film. Sa réputation le précède, pas forcément du fait des courts-métrages dans lesquels il était déjà apparu (encore que pour un certain public ce soit le cas, la surprise de sa découverte s’évaporant au passage) mais plutôt parce que l’introduction nous montre l’une de ses victimes ayant survécu, horriblement défigurée et quelque peu traumatisée si l’on en juge à la façon dont elle agresse la présentatrice -première scène gore. On se demande alors quel monstre a pu la mettre dans cet état, le film étant en fait l’illustration de ce qui est arrivé à cette pauvresse. Inutile de revenir sur la violence dont Art fait preuve et concentrons nous sur sa nature. Le personnage n’appelle pas forcément à être développé par une mythologie propre, et seule sa caractérisation surnaturelle ou non (qui trouve une réponse en fin de film) pose un peu question à son sujet. Ce qui est peut-être la meilleure idée du film, qui pour le coup évite la tare très XXIe siècle consistant à détailler en long en large et en travers l’historique de leurs vilains, pour peu que ceux-ci soient déjà connus du public. Ce que Art n’est pas : qu’il en profite ! Bien que les clowns tueurs ne manquent pas à l’écran, celui de Terrifier ne manque pas d’atouts. Dégingandé, émacié, muet, doté de chicots pointus, dépourvu d’autres couleurs que le noir et blanc, il est en fait plus proche du mime que du clown sans pour autant perdre au passage son côté facétieux (ce qu’il doit à son nouvel interprète, qui fut lui-même un mime). Art a vaguement des allures de Marilyn Manson et dispose d’un certain charisme sauvage entretenu par les extrémités auxquelles il se livre, accompagnées de discrètes moqueries démontrant son peu d’égard pour la vie humaine. Toutefois, il n’est jamais aussi efficace que dans la partie précédant le carnage, lorsqu’il poursuit Tara et Dawn jusque dans le restaurant : la raison en est que son allure inquiétante et son comportement erratique jurent avec un cadre aussi anodin qu’une pizzeria et qu’il fait peser une menace promise mais encore diffuse. Des qualités qu’il perd un peu lorsque le film se transforme en huis-clos (car le bâtiment dans lequel se réfugie les filles est opportunément bouclé) et cède complétement à ses envies de barbarie.

On pourrait reprocher à Terrifier son manque de scénario et ses personnages passe-partout, on pourrait aussi remarquer qu’il rejoue un schéma mille fois utilisé (si je m’en fie à la critique qu’en a fait Arnaud Schilling, 100 Tears est extrêmement voisin) dans un décor on ne peut plus conventionnel. Rien de tout cela ne serait faux. Mais se limiter à ce constat revient à refuser l’offre de départ : faire un film dégueulasse. Leone cible ostensiblement une niche, et sur ce point il réussit son pari : il n’y a pas tromperie sur la marchandise. Art le clown en impose ! Pour convenue qu’elle soit, son intrigue n’a guère de temps mort et la mise en scène tient le bon équilibre entre le rythme et un suspens entretenu par la perspective de sévices imminents dont on se demande bien quelle forme ils pourront prendre. A moins que quelqu’un ne vienne prouver qu’un film à la fois ultragore et raisonnablement sérieux puisse être compatible avec une intrigue et des personnages plus élaborés, c’est encore le mieux que l’on puisse obtenir d’un tel projet.

Une réflexion sur “Terrifier – Damien Leone

  • Je crois que j’ai vu ce film mais que je l’ai terminé, je comprends pas trop l’engouement pour sa suite, le gore commence à me rebuter. Tant mieux si le film a du succès, mais je reste sur des films assez efficace dans l’horreur sans plus. Le coté Dérangé comme Hérédité et Midsommar, ou The Witch, ne me donne pas envie de les revoir, il s’agit d’une descente au enfer, ou les protagonistes n’ont aucune emprises sur leurs destinés, je préfère des films ou il a plus une lutte du bien contre le mal.

    Les films Ca, Halloween,Docteur Sleep, seraient des exemples de films que je peux voir sans problème.

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