CinémaComédie

Viens chez moi, j’habite chez une copine – Patrice Leconte

Viens chez moi, j’habite chez une copine. 1981.

Origine : France
Genre : Les joies de la colocation
Réalisation : Patrice Leconte
Avec : Michel Blanc, Bernard Giraudeau, Thérèse Liotard, Anémone, Christine Dejoux.

A force de multiplier les petites combines pour améliorer son ordinaire, Guy (Michel Blanc) se retrouve brusquement à la rue et au chômage. Pris au dépourvu, il trouve refuge chez Daniel (Bernard Giraudeau), son meilleur ami, ou plutôt dans l’appartement de Françoise (Thérèse Liotard), la fiancée de celui-ci, laquelle accepte de l’héberger quelques jours. Seulement Guy se laisse aller à sa principale faiblesse, la procrastination. Sans gêne, il prend de plus en plus de place dans le petit appartement du couple, enchaînant les conquêtes d’un soir pour le plus grand malheur de Daniel, pas toujours aussi insensible qu’il aimerait le laisser paraître. Ce qui ne va pas aller sans occasionner quelques désagréments entre Françoise et lui.

Suite aux Bronzés font du ski, Michel Blanc tourne le dos au Splendid et à leurs films choral pour se consacrer à sa carrière personnelle. Il trouve en la personne de Patrice Leconte le parfait compagnon d’écriture et en Christian Fechner un producteur dévoué. Ce dernier s’investit au point de leur soumettre l’idée d’adapter la pièce Viens chez moi, j’habite chez une copine écrite par Luis Rego et Didier Kaminka en 1975. D’ores et déjà séduits par le titre, les deux hommes s’attèlent à la tâche sans parvenir à un résultat concluant. Ils décident alors de revoir leur copie et de ne garder de la pièce que le titre. Vient alors la question de l’interprète de Daniel. Patrice Leconte porte son choix sur Gérard Lanvin, dont la carrière commence à décoller, alors que Christian Fechner envisageait plutôt Bernard Giraudeau. Lanvin accepte puis se retire du projet une quinzaine de jours seulement avant le début du tournage. Face à cet imprévu, Patrice Leconte se doit de réagir vite. Il opte donc pour le choix initial de son producteur et engage Bernard Giraudeau, sans y perdre au change. Dans un cas comme dans l’autre, il s’agit d’adjoindre à Michel Blanc un acteur au physique de jeune premier afin de créer d’emblée un décalage visuel. Michel Blanc poursuivra dans ce sens dès sa première réalisation avec Marche à l’ombre, film qui lui permettra d’enfin faire la paire avec Gérard Lanvin. De son côté, pas rancunier pour un sou, et comme un clin d’œil adressé au flair de Christian Fechner, Patrice Leconte associera Gérard Lanvin à Bernard Giraudeau dans Les Spécialistes, film d’action qui marquera un tournant dans sa carrière.

Viens chez moi j’habite, chez une copine part d’un postulat, l’irruption d’une tierce personne au sein d’un ménage – apparemment – bien sous tous rapports, aussi propice au drame métaphysique (Théorème de Pier Paolo Pasolini) qu’à la comédie (Boudu sauvé des eaux de Jean Renoir). Patrice Leconte et Michel Blanc optent, par convenances personnelles, pour la seconde option. L’intrusion d’un élément perturbateur dans le quotidien d’un couple leur offre un vertigineux  champ des possibles, qu’ils n’exploitent finalement qu’à minima. Guy n’est pas à blâmer sur ce point, tant il se comporte comme le parfait sans-gêne que nous étions en droit d’attendre. Quelque peu filou, et conscient du côté cavalier de sa démarche, Guy ne s’adresse pas directement à Daniel pour jouer les squatteurs mais à sa fiancée, auprès de laquelle il joue les pauvres diables bien embêté de devoir lui demander ce service. Alors qu’elle le connaît peu, elle accepte d’héberger le pauvre bougre prétextant que ce sera “l’occasion de mieux se connaître”. Première surprise, Daniel ne remet pas en question son choix. Déjà, il ne lui dispute pas la légitimité du propriétaire. Elle vivait là la première et, même si la situation en ce qui le concerne est différente, lui aussi est “hébergé”. En outre, il possède un sens aigu de l’amitié et ne conçoit pas de laisser un ami dans la panade. Ils font tous deux preuve de bienveillance envers Guy, laquelle ne se mue jamais en condescendance. Ce sont de vrais gentils, que d’aucuns qualifieraient de mous alors qu’ils ne trouvent tout simplement pas matière à s’emporter contre leur invité en dépit de quelques unes de ses frasques. Il peut même faire irruption dans la salle de bain alors que Françoise se douche dans une baignoire sabot dépourvue de rideau sans que celle-ci ne s’en offusque outre-mesure. Elle ne se formalise pas de cette intrusion, ni ne cherche à cacher sa nudité, prenant plutôt ça à la rigolade. Et c’est tout aussi amusée qu’elle lui rendra la monnaie de sa pièce. Au fond, Viens chez moi, j’habite chez une copine relate ni plus ni moins sur un mode badin les vicissitudes inhérentes à la colocation, à ceci près que Guy ne participe guère aux dépenses communes ni aux tâches ménagères… à l’exception d’un repas raté. S’il n’a pas une once de malveillance, Guy se révèle néanmoins égoïste dans sa manière d’agir. C’est un peu lui et les autres, à l’image de sa façon de conduire qui ne s’embarrasse guère des obstacles qu’il peut rencontrer en chemin. En fait, son intrusion chez Françoise et Daniel sonne comme la collision entre ces années 80 encore balbutiantes mais porteuses d’un élan individualiste fort et les années 70 dont le couple reproduirait une forme d’idéal autour de la notion de partage et du vivre ensemble. Deux visions radicalement différentes de la vie qui aboutissent à une cohabitation contrainte impulsée par Guy. Jamais à cours d’idées prétendument géniales, il s’impose jusqu’à la fin comme un boulet. A l’échelle du couple, il personnifie le ver dans le fruit, non pas en gâtant leur relation – quoique l’idylle entre Françoise et Daniel subisse un avis de tempête momentané – mais en l’infléchissant à ses lubies.

Viens chez moi, j’habite chez une copine n’a pourtant rien d’une comédie désabusée jetant un regard critique sur la société de l’époque. Patrice Leconte et Michel Blanc composent leur petite musique personnelle, plus attachés aux personnages qu’à leur environnement. Ils demeurent néanmoins en prise avec leur époque, usant de quelques marqueurs temporels comme le McDonald’s ou en surfant sur quelques thèmes actuels comme le chômage. Quoique dans ce dernier cas, le chômage découle davantage des actes des personnages (les arnaques de Guy au garage, le licenciement de Daniel et de ce même Guy suite à leur larcin) que de la conjoncture économique. Il y a chez eux la volonté de se placer du côté de monsieur et madame tout le monde, par opposition à la comédie de boulevard, dite bourgeoise, à base d’amants ou de maîtresses dans le placard et des quiproquos qui vont avec, mais sans sombrer dans le misérabilisme ou la charge sociale. Ils œuvrent en quelque sorte dans la comédie de proximité, faite de ces petits riens qui composent notre existence. Et tout ça sous couvert de légèreté, à l’image du défilé de jeunes femmes que Guy impose à ses hôtes. Des personnages féminins pas (la parfumeuse, l’employée de l’ANPE) ou peu (Anémone en assistante d’un équilibriste et adepte de l’amour à plusieurs) esquissés qui traduisent une liberté de mœurs pas encore entachée par les années sida à venir. Si les personnages masculins ont la part belle, ils n’ont pas forcément le beau rôle pour autant. Ils se posent beaucoup de questions et font preuve d’immaturité sentimentale alors que ces demoiselles savent exactement ce qu’elles veulent.  Il n’y a rien de bien révolutionnaire dans cette approche mais Michel Blanc et Bernard Giraudeau tiennent bien leurs personnages et leur alchimie fait le reste. En dépit de leurs caractères opposés, on croit à leur amitié. Aux yeux de Daniel, Guy représente cette part de lui-même à laquelle il a renoncé en s’installant avec Françoise et avec laquelle il aimerait parfois renouer. Une partie de sa vie, tout simplement. Sur le plan de la comédie, le film demeure très sage.  Patrice Leconte et Michel Blanc délaissent le comique troupier, l’absurde ou le burlesque pour un humour qui passe essentiellement par les mots. Chose assez rare pour le signaler, l’écriture du film a démarré par les dialogues alors que d’ordinaire ils ne sont ajoutés qu’une fois le scénario achevé. Michel Blanc se révèle une bonne plume, porteur d’une verve populaire à laquelle font écho la chanson titre et “P’tit déj'” blues signées Renaud. Sans non plus les égaler, il cultive l’héritage d’un Charles Spaak, d’un Michel Audiard ou d’un Bernard Blier, cherchant une autre voie que la vulgarité pour faire rire.

Viens chez moi, j’habite chez une copine marque l’acte de naissance du comédien Michel Blanc. Il n’est pourtant plus un novice, cela fait bien 10 ans qu’il roule sa bosse entre café-théâtre et petits rôles au cinéma, mais c’est la première fois qu’il peut réellement s’émanciper de la troupe du Splendid. De son côté, Patrice Leconte devra patienter un peu plus longtemps pour gagner ses galons de “réalisateur”. Les Spécialistes constituera une première étape mais c’est surtout avec Tandem qu’il exprimera pour la première fois une sensibilité qu’on ne lui devinait pas.

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