Trapped Ashes – Joe Dante, Ken Russell, Sean S. Cunningham, Monte Hellman, John Gaeta
Bien qu’il affirme avoir eu l’idée de son Trapped Ashes plusieurs années auparavant, le producteur Dennis Bartok a bien su marcher dans les pas des Masters of Horror, le malin. Difficile de concevoir que la mise en chantier de cette anthologie horrifique partagée entre plusieurs vétérans du monde de l’horreur, ou au moins du cinéma de genre, n’ait rien à voir avec la série créée par Mick Garris. Comme ce dernier, Bartok a usé de ses relations, qui dans son cas datent de la douzaine d’années passée à être le directeur de programmation de la cinémathèque américaine de Los Angeles. Un emploi grâce auquel il put rencontrer des acteurs et réalisateurs qui allaient être impliqués sur Trapped Ashes. Toutefois, à la différence des épisodes des Masters of Horror, les réalisateurs durent choisir entre les différents scénarios tous écrits par Bartok, et non venir avec leurs propres histoires. Ce qui poussa certains à abandonner, comme Dario Argento. Non que Bartok se soit comporté en tyran, sans quoi il n’aurait pas réuni de telles personnalités, mais il n’a de toute évidence pas bénéficié des mêmes latitudes que Garris avec son format de série télé sur HBO, et il dut par conséquent faire des choix. Comme de modifier intégralement le scénario du sketch de Sean Cunningham, transféré au passage dans la culture japonaise probablement pour faciliter le travail de ses associés nippons, à la recherche de financements issus de l’archipel (au final, IMDB recense une vingtaine de producteurs, co-producteurs et producteurs exécutifs !). Il dut également gérer des tournages (heureusement non simultanés) étalés sur trois pays : au Japon, au Canada et aux États-Unis. Bref, si Trapped Ashes s’est essentiellement monté sur le nom des réalisateurs engagés, cela n’en faisait pas pour autant autre chose qu’une petite production cernée par un paquet de contraintes, et les réalisateurs en question ne l’ont probablement envisagé au mieux que comme un exercice de style, au pire comme un moyen de garder la main. Ce qui apparaît évident lorsque l’on regarde le faible niveau général des scénarii, pourtant variés (leur seul point commun est de prendre une femme pour pivot, qu’elle soit victime et / ou bourreau).
Dans la lignée des films à sketch de la Amicus tels Torture Garden ou surtout Le Caveau de la terreur, auquel il rend hommage en passant, Trapped Ashes s’organise selon un fil rouge directement emprunté aux deux films précités. Deux couples, un scénariste et une jeune fille gothique visitent les décors des studios Ultra sous la conduite d’un frêle et vieux guide joué par Henry Gibson. Malgré les réticences de ce dernier, ils insistent pour visiter également la maison où fut tourné “Hysteria”, un film du réalisateur Desmond Hacker, bien connu pour son caractère ombrageux. Et comme les personnages d’ “Hysteria”, les touristes se retrouvent pris au piège d’une pièce sans issue. Puisque raconter ses plus sordides histoires intimes était dans la fiction le seul moyen de s’échapper, tout le monde y va de son petit récit, sous le chaperonnage du guide. A noter que le dénouement de chaque sketch se fait en deux temps, le second étant renvoyé tout à la fin du film, pour préparer l’ultime rebondissement.
Dans “The Girl With Golden Breasts”, Phoebe nous fait part de sa malédiction. Jeune actrice en manque de rôles, elle décida un beau jour de se faire refaire la poitrine. Hélas pour elle, et surtout pour ses petits amis, le chirurgien qui s’est occupé d’elle était partisan d’une méthode originale, à savoir implanter des tissus mammaires prélevés sur des cadavres. Depuis lors, les seins de Phoebe sont devenus des buveurs de sang… Gare aux tétons vampires.
Pas de surprise, c’est bien du Ken Russell, et du Ken Russell plus proche du Repaire du ver blanc que des Diables. Ce sketch est globalement vide scénaristiquement parlant, tout juste peut-on signaler une certaine ironie (de bon aloi dans un film se prétendant dans la lignée des productions Amicus, elles-mêmes basées sur des comics horrifiques) sur l’arrivisme des starlettes et la pseudo sophistication de leurs chirurgiens. En dehors de ça, Russell s’attache surtout à quelques gags visuels érotico-gores (ce pauvre bougre dont la langue est mangée par les tétons), surréalistes (le conseil de l’ordre des médecins avant-gardistes) ou purement burlesques (les tétons sirotant à la paille un cocktail sanglant). Amusant pour une vingtaine de minutes (quoique même là, il y a certaines longueurs dans l’exposition), d’autant plus que l’actrice Rachel Veltri, une quelconque échappée d’un American Pie, incarne avec une totale absence de pudeur l’ironie demandée à cette starlette débile. Et Russell lui en a demandé beaucoup, lui qui se plait en plus à employer des éclairages criards venant rappeler le mauvais goût potache de son épisode. Rien de provocant ici, juste une vaste blague à base de nénés répondant à la libido d’un réalisateur à l’esprit vaguement tordu.
Plus ambitieux, “Jibaku”, de Sean Cunningham, n’a pourtant pas un scénario beaucoup plus fouillé… Mais cette fois, essentiellement faute de temps. Julia et Henry sont en voyage au Japon, espérant recoller les morceaux de leur couple qui bât de l’aile. Ça n’en prend pas le chemin, et Julia tombe sous le charme d’un jeune japonais avec lequel elle assiste à l’étrange animation d’un tableau dépeignant un enfer à base d’incube. Peu après, en découvrant son cadavre pendu, elle apprend que ce jeune homme était un moine. Devenu incube, il va venir la chercher dans son sommeil et l’attirer en enfer pour faire d’elle une succube. Henry part à sa recherche muni des conseils du moine en chef.
Bien que Cunningham emploie un ton sérieux, il ne faudrait pas prendre “Jibaku” pour autre chose qu’un prétexte pour aboutir à des scènes érotico-horrifiques mélangeant dans des éclairages saturés des prises de vues réelles et du manga. Parfois les deux ensemble, dans des surimpressions quelques peu prétentieuses. Tel est le défaut majeur de cet épisode extrêmement tape à l’œil : la vanité. Non pas que le mélange réel / manga le soit d’office, mais en revanche l’extrême rapidité avec laquelle le scénario progresse ne peut que laisser la désagréable impression que Cunningham ne vise que l’épate, là où il aurait fallu un minimum de développement pour éviter ce travers. Ce qui soit dit en passant est l’exact opposé de Vendredi 13, le film qui a fait connaître le réalisateur et dans lequel il prenait tout son temps pour disséminer de trop rares scènes aguichantes. Fonçant bille en tête vers son climax grandiloquent, Cunningham nous fait du Brian Yuzna façon Necronomicon. Ou encore, pour le comparer à quelque chose de plus moderne, il nous pond une sorte de démarquage de La Maison des sévices, l’apport de Takashi Miike aux Masters of Horror. On y retrouve une folie similaire, quoique moins maitrisée, et qui laisse à songer que ce sketch de Cunningham a avant tout été fait pour plaire au public attiré par l’étrangeté d’un certain pan du cinéma japonais. On y trouve en tous cas de la nécrophilie (ou plus exactement de la “zombiphilie”), des mutations corporelles et de la matière visqueuse. Ce qui n’en fait pas pour autant quelque chose de malsain, pas plus que la mise en scène n’est artistique. “Jibaku” avait du potentiel, mais certainement pas sous la forme d’un sketch non-sensique et au final indigeste.
Après deux épisodes très explicites, “Stanley’s Girlfriend” frise quant à lui le hors sujet. Le scénariste Leo (joué par John Saxon) raconte l’amitié perturbée qu’il a naguère entretenue avec un jeune réalisateur prénommé Stanley. Une amitié qui s’est compliquée par la présence d’une jeune femme, Nina, d’un tempérament libéré.
Où est le fantastique là-dedans ? Tout à la fin de l’histoire, et encore : l’argument surnaturel est avant tout métaphorique. Monte Hellman semble avoir davantage été attiré par la perspective de créer une fiction autour d’un jeune Stanley Kubrick, puisqu’il est clair que le personnage de cet épisode est l’alter ego du grand réalisateur de Dr. Folamour. Mais on ne voit guère où Hellman veut en venir -précisons à sa décharge que l’épisode aurait été remonté-. Il réalise avec soin un sketch languissant se déroulant dans le passé d’Hollywood, et il apprécie tout particulièrement les discussions conceptuelles autour du cinéma que s’échangent ses deux protagonistes masculins tout en jouant aux échecs. En dehors de cela, le triangle amoureux n’est guère palpitant, quand bien même Nina incarne une femme fatale en harmonie avec l’époque où se déroule le récit. Les limites de l’amitié, l’amour, la lâcheté, le remord… Très auteurisant, mais aussi très superficiel dans le cadre d’un sketch de 20 minutes. D’autant plus que l’idée la plus intéressante est amenée dans le final et touche au regard des deux hommes sur Nina, figée dans leurs mémoires comme une actrice est figée dans un film. Il aura fallu en passer par un développement très opaque pour en arriver là. “Stanley’s Girlfriend” a ses qualités, mais qui auraient dû s’exprimer dans un autre contexte.
Dans “My Twin, The Worm”, la jeune gothique raconte comment elle vécut avec un ver solitaire dans le ventre de sa mère, et comment elle a continué à considérer le ver comme son jumeau après sa naissance.
Dit comme cela, on pourrait raisonnablement penser qu’il s’agit encore d’une blague à la Ken Russell. Pas du tout. C’est même soi-disant basé sur une histoire biologiquement véridique. John Gaeta, responsable des effets visuels sur les Matrix, s’exerce au métier de réalisateur avec un sketch qui se veut malsain. Et il l’est, d’une certaine façon… Par sa laideur. Retour aux éclairages très vifs, surtout lors des plans autour du fœtus, avec le ver traînant dans le coin. Retour aussi d’un scénario très léger tout en n’étant pas dépourvu d’une certaine prétention. Il y a déjà ces personnages insupportables, formant entre eux un climat familial délétère qui expliquera pourquoi la gamine se tournera vers son “jumeau, le ver” au moment opportun. Avec le père volage, la mère aigrie et la fille renfrognée, le tout vivant dans la grisaille, Gaeta fait tout pour créer une ambiance plombante, quitte pour cela à rendre ses personnages détestables, et quitte à rendre son épisode maniéré. Gothique non pas dans le sens du vieux cinéma d’épouvante, mais bien dans un sens contemporain, celui du mal être féminin à la Ginger Snaps. Un peu de second degré ne lui aurait pas fait de mal.
Reste donc à parler du travail de Joe Dante. Dans l’absolu, Bartok avait pour idée de démontrer comment Hollywood et ses décors -là où se situe l’action du fil rouge- contribue à faire vivre et à maintenir en vie les histoires et les traumatismes de tout un chacun. Concrètement, rien n’est fait pour permettre cette mise en abyme. Quoiqu’étant à mon sens le meilleur réalisateur du lot, Dante a hérité de la tâche la moins créative… Il fallait quelqu’un pour filmer une vieille bâtisse inspirée par le cinéma d’horreur d’antan, et compte tenu de ses goûts et de son passif, c’est lui qui s’en est chargé. Loin d’avoir l’occasion d’exploiter son décor et ses personnages, il ne sert qu’à placer le contexte entourant les sketchs, et n’a pas grand chose d’autre à faire. Heureusement, il peut compter sur Dick Miller pour ouvrir un portail et surtout sur Henry Gibson, qui à l’instar de son personnage de The Burbs (en extérieur, la maison ressemble d’ailleurs à celle de ce film) joue aux faibles vieillards cachant une certaine perversité. Le twist sous forme d’humour noir était couru d’avance, mais ce n’est de toute façon pas ce qui importait dans Trapped Ashes. Les sketchs étaient bien plus importants, et l’échec est patent. Les quatre histoires s’insèrent du reste plutôt mal dans l’épouvante classique qui caractérise le fil rouge. Si ce n’est dans le Ken Russell, tout se prend bien trop au sérieux et se révèle bien trop moderne pour faire écho aux modèles de la Amicus. Se démarquer des influences n’aurait pas été forcément un mal si Bartok ne s’était pas montré si ambitieux : au niveau thématique, au niveau esthétique, au niveau émotionnel, il a mis le paquet et les réalisateurs n’ont pas suffit à rendre le tout un peu plus modeste. Cas typique d’un réalisateur dont les intentions étaient louables, n’en doutons pas, mais qui a eu les yeux plus gros que le ventre et s’est laissé griser par un tel projet.