The Trollenberg Terror – Quentin Lawrence
The Trollenberg terror. 1958Origine : Royaume-Uni
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Au cours d’un voyage en train dans les Alpes, Alan Brooks (Forrest Tucker), scientifique des Nations Unies, fait la connaissance de deux sœurs dont la plus jeune est dotée du don de télépathie. Après une crise survenue en regardant une montagne, Anne Pilgrim (Janet Munro) persuade son aînée Sarah (Jennifer Jayne) de descendre comme Alan au village de Trollenberg, au pied de la montagne du même nom. Leur nouvelle connaissance se charge de les faire accepter au même hôtel que lui. Contrairement aux sœurs, Alan n’est pas là par hasard : il répond à l’invitation de son collègue le Dr. Crevett (Warren Mitchell), directeur d’un observatoire qui vient de découvrir un étrange nuage permanent sur les flancs du Trollenberg. Un phénomène que les deux hommes avaient déjà rencontré dans les Andes, et qui comme ici était désigné comme responsable des nombreux “accidents” chez les alpinistes. Quand Anne se met à avoir des visions depuis un esprit inconnu situé sur la montagne, il n’y a plus aucun doute : le nuage est habité, probablement par des extra-terrestres.
A la fin des années 50, le Royaume-Uni s’apprête à être le berceau d’une renaissance du genre fantastique d’abord locale puis internationale. Paradoxalement, ce sont les deux monstres classiques que sont Dracula et la créature de Frankenstein qui vont assurer ce renouveau, à une époque encore dominée par les États-Unis et par leurs productions mêlant monstres géants, extra-terrestres et radioactivité dans une tentative de jouer sur les peurs de l’atome et de la guerre froide. Au pays de la Hammer, on a moins peur et on le prouve en se concentrant sur les vieux mythes indéboulonnables et en réservant aux quelques films de monstres géants une toute autre allure que celle dont ils disposent aux États-Unis. Version cinéma réalisée deux ans après une première version destinée à la télévision (toutes deux sont signées du même réalisateur, Quentin Lawrence), The Trollenberg terror, parfois appelé The Crawling eye, s’affranchit de bien des poncifs américains pour faire état d’un plus grand modernisme. Et ce n’est pas un hasard : son scénariste n’est autre que Jimmy Sangster, le scénariste phare de la très progressiste Hammer pour laquelle il signa les scénarios de Frankenstein s’est échappé, de La Revanche de Frankenstein et du Cauchemar de Dracula, tous trois de Terence Fisher.
La plus évidente marque de modernisme se trouve dans la place qu’occupent les personnages et dans les relations qu’ils entretiennent les uns envers les autres. Contrairement aux coutumes de la science-fiction à l’américaine, et même de la plupart des fictions de genre, le héros n’est pas ici un chevalier des temps modernes. Il ne vole pas au secours des deux sœurs pour faire la cour à l’ainée (la plus jeune étant justement trop jeune), il ne se montre pas d’un humanisme exagéré et il ne dispose pas en toute chose d’une longueur d’avance sur tout le monde. Ou du moins toutes ces qualités sont réduites à la portion congrue. Ainsi, s’il reste malgré tout un personnage positif, il reste dans le cadre du réalisme. Il est tributaire des autres personnes, notamment de la télépathe Anne, qui permet de percevoir à quoi s’adonnent les extra-terrestres, et du Dr. Crevett, qui lui fournit toutes les données scientifiques, lesquelles n’ont d’ailleurs aucune connotation particulière relative à la guerre froide. A moins de vraiment se persuader soi-même que ces extra-terrestres sont les représentants symboliques des communistes, il est difficile de voir en eux la moindre référence à l’Union Soviétique : ils n’entraînent pas la subversion ni la déshumanisation (comme les profanateurs de sépulture), ils ne sont pas un envahisseur rouge (comme le blob), ils ne s’en prennent pas aux symboles de la vie américaine (comme le font n’importe quels extra-terrestres dévastateurs, par exemple dans La Guerre des mondes -et pour cause : l’action se passe sur un sommet alpin-). En revanche, ils décapitent leurs victimes, prennent possession des morts (à la manière des processus de zombification vaudou) et agissent sournoisement à l’abri de leur nuage vaguement radioactif (encore que cette radioactivité ne constitue pas un grand danger et sert uniquement à percer la nature extra-terrestre du nuage). Dans leur concept, ils sont assez éloignés des envahisseurs classiques venu d’outre-espace, ou d’outre rideau de fer. Ils n’évoquent pas plus les questionnements relatifs à l’exploration de l’espace.
En fait, Sangster et Lawrence semblent n’avoir eu recours à l’alibi science-fictionnel que comme un moyen de donner un point de départ à une histoire claustrophobique, confinée autour d’une montagne dont on ne peut s’échapper. Une fois passées les légitimes interrogations sur le nuage alien, le sentiment d’oppression ne fait que s’accroître au fur et à mesure que ledit nuage se met en mouvement, d’abord pour venir à bout de quelques alpinistes en pleine action, puis pour se débarrasser de deux scientifiques abrités dans un refuge à flanc de montagne (scène particulièrement efficace se déroulant en partie lors d’un échange téléphonique), puis pour finalement envahir le village de Trollenberg, obligeant ses habitants à se réfugier à l’observatoire du Dr. Crevett, coincé entre le refuge et le village, par lequel il est relié via un téléphérique particulièrement dangereux. Que ce soit dans la solitude de la montagne, dans le refuge ou dans l’observatoire, le sentiment d’isolement et de claustrophobie se fait sentir, chaque incursion à l’extérieur devenant sujet d’épouvante. En privant les créatures de toutes considérations symboliques propres aux films de science-fiction de l’époque, en se privant des grands élans héroïques, en les montrant sur la forme d’un nuage (du moins pendant la plus grande partie du film, car quand elles nous sont révélées elles ont tout des monstres classiques, sauf peut être les tentacules très lovecraftiennes) le scénario les rend plus surnaturelles et donc plus à même de faire naître l’angoisse. Les morts dont se sont emparés les aliens ou encore les transes de Anne font naître le danger à l’intérieur de la cellule composés par les protagonistes repliés sur eux-mêmes. L’absence d’histoire d’amour assèche alors le film, contribue à faire naître la tension et au final déplace tout l’intérêt du film du spectaculaire à l’angoissant.
John Carpenter a déjà revendiqué s’être inspiré de The Trollenberg Terror pour concevoir Fog. C’est évident. Mais on peut également se demander si autant que de La Chose d’un autre monde il ne s’est pas inspiré du film de Lawrence pour The Thing. Toujours est il que Trollenberg Terror est un film chaudement recommandable doté d’un scénario sérieux et rigoureux, qui aurait cela dit gagné à être davantage mis en valeur par des décors un peu moins artificiels. La montagne est en effet recréée de différentes manières, soit au naturel, soit par des peintures, soit par des images d’archives, ce qui contribue à désharmoniser un peu le tout et à faire perdre une part du sentiment d’étouffement glacial. Mettons ça sur le compte d’un budget trop réduit, et félicitons quand même Quentin Lawrence et Jimmy Sangster.