Robin des Bois, prince des voleurs – Kevin Reynolds
Robin Hood : Prince of Thieves. 1991.Origine : États-Unis
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Mythe éternel vieux de sept siècles, Robin des Bois n’en finit plus d’intéresser le cinéma. Encore aujourd’hui en 2009, on annonce le grand retour du héros légendaire sous les traits de Russel Crowe, et avec Ridley Scott aux commandes. Mais au moins cet énième retour s’annonce t-il unique, alors qu’aux débuts des années 90, ce ne sont pas moins de trois adaptations qui ont été initiées, pour autant de studios. Une véritable course contre la montre s’engage alors. C’est à celui qui achèvera son film le premier. A ce petit jeu-là, c’est Kevin Reynolds pour la Warner qui se montre le plus rapide. Il relègue la version de Tri-star aux oubliettes (le projet n’a jamais dépassé le stade des multiples réécritures), et condamne celle de la Fox (réalisée par John Irvin en lieu et place de John McTiernan, initialement prévu) à sortir directement en vidéo sur le sol nord-américain. En outre, le réalisateur malheureux de Fandango et La Bête de guerre dispose d’un atout non négligeable, la présence en tête d’affiche de Kevin Costner alors en pleine ascension. Les deux hommes ambitionnent de dépoussiérer le mythe et, en ce sens, s’appuient sur un scénario qui lui confère un surplus de réalisme sans pour autant omettre le spectaculaire d’usage, agrémenté d’un savant mélange des diverses croyances de l’époque médiévale.
En l’an 1194, de nombreux nobles anglais ayant suivi Richard Cœur de Lion dans sa croisade contre les infidèles, croupissent dans les prisons de Jérusalem. Robin de Locksley (Kevin Costner) est de ceux-là. Un jour, réunissant ses dernières forces, il parvient à s’échapper en compagnie de Azeem (Morgan Freeman), un noble maure auquel il a sauvé la vie. Les deux hommes regagnent l’Angleterre, où le shérif de Nottingham (Alan Rickman) fait régner la terreur en l’absence du roi. En deuil de son père, qu’il découvre mort dans les décombres du château familial, et désormais considéré comme un hors-la-loi, Robin se cache dans la forêt de Sherwood où il retrouve des villageois apeurés menés par Petit Jean (Nick Brimble). Outré par l’état du pays et le cœur empli de colère, Robin décide de mener la révolte. La légende de Robin des Bois est en marche.
En débutant sur Robin de Locksley enfermé dans une geôle à Jérusalem, cette nouvelle version de Robin des Bois exprime clairement sa volonté de s’éloigner des fastes en technicolor des fameuses Aventures de Robin des Bois de Michael Curtiz avec Errol Flynn. Se faisant, elle s’inscrit dans une veine plus réaliste, recherchant l’authenticité dans les replis de la légende. Ainsi, le Robin des Bois qu’incarne Kevin Costner renvoie au héros tel qu’il était décrit à la fin du XVIe siècle. Le simple hors-la-loi au grand cœur s’est mué en vaillant soldat dont la noblesse du titre compte moins que celle de son comportement. Néanmoins, et sans perdre pour autant de son aura héroïque, ce Robin des Bois n’est pas fait d’un seul tenant. Si le Robin de Locksley impétueux, insouciant et narquois tel que décrit par Dame Marianne n’est plus, il reste cependant quelques réminiscences chez le Robin plus mature qui regagne l’Angleterre. Ainsi, de ses retrouvailles avec son pays bien-aimé à son apogée en tant que prince des voleurs, on retrouve chez lui une joie et une espièglerie toute enfantine. A force, il se pique au jeu, et mettre en échec le shérif de Nottingham et ses sbires en les faisant tourner en bourrique l’amuse follement. Mais il joue un jeu dangereux contre un adversaire qui déteste perdre la face et qui n’a qu’un surcroît de violence et d’injustice à apporter en réponse. Par conséquent, les premiers faits d’arme de Robin des Bois s’assortissent d’une souffrance accrue de la population, prise à partie dans cette lutte d’ego qui s’engage. Meneur d’hommes charismatique, Robin des Bois n’en demeure pas moins ambigu sur ses motivations. Au départ, il agit davantage pour venger la mort de son père accusé de sympathiser avec le Malin que pour défendre la veuve et l’orphelin. En fait, il mène une croisade personnelle au nom d’une cause populaire dont il sait se servir pour parvenir à ses fins. Du reste, n’ayant plus de famille, il n’a plus rien à perdre contrairement à ses compères de la forêt de Sherwood, plus réticents à l’idée de s’attaquer au pouvoir en place. Fort de son expérience des Croisades, il reproduit ce qu’il sait faire de mieux, combattre au nom d’une cause qu’il croit juste. Et le héros légendaire de se construire sous nos yeux, loin d’être infaillible mais suffisamment convaincant pour constituer autour de lui une coalition de paysans prêts à en découdre pour leurs droits les plus élémentaires.
Bien entendu, en sa qualité de blockbuster, Robin des Bois prince des voleurs se doit de plaire au plus large public possible et donc d’éviter de dépeindre un univers par trop étouffant et susceptible d’en rebuter plus d’un. Dés lors, l’accent n’est pas tant mis sur l’aspect vengeur de la démarche de Robin des Bois que sur l’illustration de ses actes de bravoure, plus conforme à l’image populaire que l’on en a. En une poignée de séquences dynamiques, Kevin Reynolds nous présente le célèbre archer et sa bande en pleine action, détroussant les riches au profit des pauvres. Dépourvues de véritables enjeux, ces scènes se bornent à décrire la stratégie de Robin et ses acolytes de manière ludique. Bien que présent tout du long par petites touches éparses, l’humour s’intensifie quelque peu lors de ces instants de répit via, notamment, l’introduction du truculent frère Tuck. Un humour qui, heureusement, ne pénalise pas le film, ajoutant au contraire un surplus de vie aux personnages, Robin des Bois au premier chef. Par l’intermédiaire de Azeem, sorte de garde du corps qui n’aura de répit que lorsqu’il aura sauvé la vie de Robin, le film s’appuie sur un ressort comique venu tout droit de la tradition du buddy movie, ce sous-genre qui repose sur l’association d’un duo de personnages aux différences bien affirmées. Mais Azeem le Grand, auquel Morgan Freeman apporte toute sa classe, n’est en aucune façon le faire-valoir de Robin, les deux hommes jouant sur un pied d’égalité compte tenu de leur égale bravoure. Si le prince Maure se tient légèrement en retrait par rapport à son partenaire, c’est principalement dû à son statut d’étranger mais aussi au fait qu’il incarne en quelque sorte la conscience de Robin, le mettant en garde lorsque celui-ci semble s’égarer. En outre, son savoir et sa sagesse agissent comme de parfaits contrepoints à la rusticité de l’Angleterre de cette fin du 12e siècle. En cela, le film se double d’un plaidoyer pour la tolérance, remettant en cause l’ensemble des guerres de religion. Comme quoi, tout en étant un excellent divertissement, Robin des Bois prince des voleurs ne se prive pas de considérations moins futiles.
Car oui, n’oublions pas le principal, le film de Kevin Reynolds est avant tout un excellent divertissement. En ces temps où le moindre blockbuster multiplie les effets pyrotechniques au détriment des personnages et du film lui-même, ce Robin des Bois nous rappelle qu’il est possible de nous en mettre plein les yeux sans en faire des tonnes et en se reposant sur des personnages parfaitement esquissés. Il en va ainsi de Petit Jean qui, s’il perd son statut de bras droit de Robin des Bois au profit de Azeem, n’en demeure pas moins une figure importante de la forêt de Sherwood dont l’autorité ne se dément jamais. Et que dire du shérif de Nottingham, sinistre personnage imbu de lui-même et sans scrupules, dont la propension à faire le mal est sans limite. Alan Rickman, mondialement connu pour son interprétation du suave et non moins dangereux Hans Grüber de Piège de cristal, campe ici un méchant nettement plus clownesque et caricatural mais qu’il rend savoureux à force de mimiques et de roulements d’yeux dignes du loup de Tex Avery. A ce titre, la scène où il est dérangé par Robin des Bois alors qu’il s’apprête à consommer son mariage avec Dame Marianne vaut son pesant de cacahuètes ! A force d’excès savamment contrôlés, sa performance demeure inoubliable et éclipserait presque le duo Kevin Costner – Morgan Freeman, par ailleurs très bon lui aussi.
A la sortie du film, la presse spécialisée avait fait état de dissensions entre les deux Kevin, Costner cherchant à tirer la couverture à lui suite au triomphe de Danse avec les loups aux Oscars. Rumeur infondée ou stricte vérité, le fait est qu’en l’état, le film remplit parfaitement son objectif. Kevin Costner campe un Robin des Bois convaincant, dont la présence n’étouffe pas les autres personnages. Le mythe a été dépoussiéré sans pour autant renier les adaptations passées et, au niveau de la réalisation, Kevin Reynolds s’acquitte des scènes d’action avec un indéniable savoir-faire prompt à magnifier l’incroyable dextérité de Robin des Bois avec un arc. Spectaculaire, romantique, drôle et parfois haletant (la scène des pendaisons), ce Robin des Bois prince des voleurs nous procure un plaisir simple, celui d’assister à un excellent film d’aventure. Depuis, peu de films du genre peuvent se targuer d’en avoir fait autant. Cela ne l’en rend que plus précieux.