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Une bringue d’enfer – Kevin Reynolds

Fandango. 1985.

Origine : États-Unis
Genre : Escapade douce-amère
Réalisation : Kevin Reynolds
Avec : Kevin Costner, Judd Nelson, Sam Robbards, Chuck Bush, Brian Cesak, Marvin J. McIntyre, Suzy Amis.

Nous sommes en 1971 à Austin, Texas. Alors que la fête bat son plein au soir des résultats de fin d’année, Kenneth Waggener arrive avec la mine déconfite. Ayant reçu un avis de mobilisation pour la guerre du Vietnam, il a préféré renoncé à se marier. Gardner Barnes, lui aussi mobilisé, l’enjoint à partir une dernière fois en virée avec la bande afin de se changer les idées. Et c’est ainsi qu’accompagnés de Dorman, Lester et Phil, dont ils empruntent la cadillac, ils filent à toute allure au gré de leurs envies, la glacière remplie de bières. En cours de route, ils s’accordent sur une destination : retrouver « Dom » sur les lieux de leur première virée, non loin de la frontière mexicaine.

Pour les étudiants en cinéma, la réalisation d’un court-métrage constitue un passage obligé. L’élément indispensable qui viendra par la suite soutenir leur diplôme. Élève de l’U.S.C. (l’université de Californie du sud), Kevin Reynolds y est allé lui aussi de sa réalisation, Proof, dont l’action tourne autour d’un saut en parachute en plein désert décrit dans les moindres détails. Gonflé, l’apprenti cinéaste demande à son agent (culotté mais prévoyant, donc) de montrer le court- métrage à Steven Spielberg. Une demande en forme de boutade qui amorce une spirale positive inattendue. Charmé par ce qu’il a vu, Steven Spielberg s’engage à produire via sa maison de productions Amblin, un long métrage découlant du court. L’histoire a tout du conte de fées pour Kevin Reynolds, qui s’empresse d’écrire le scénario de ce qui deviendra Fandango. Cependant à Hollywood rien n’est acquis , et sans motifs valables, la Warner bloque la sortie du film. Kevin Reynolds accuse le coup et accepte l’année suivante la nouvelle main tendue de Spielberg en tournant Vous avez intérêt à me croire, un épisode de la deuxième saison des Histoires fantastiques. Un pis-aller histoire d’éviter de ressasser cette déconvenue. Des déconvenues, Kevin Costner en a également connu son lot. De petits rôles dans des films obscurs (Sizzle Beach USAShadows Run Black), à de simples figurations dans des œuvres plus huppées (Les Croque-morts en folieFrances) ou – enfin – un premier rôle dans un film à la production chaotique (Gunrunner, le marchand d’armes), l’acteur ne parvient pas à percer. Il reçoit le coup de grâce lorsque Lawrence Kasdan décide de couper toutes ses séquences au montage pour Les Copains d’abord dont il ne subsiste qu’un plan de ses jambes au début du film. Toutefois, c’est à ce même Lawrence Kasdan qu’il doit le véritable lancement de sa carrière, lequel lui offre le rôle d’un cow-boy turbulent dans Silverado. Dès lors, le comédien connaît une ascension fulgurante dont les succès (Sens uniqueLes Incorruptibles) ne sont pas pour rien dans la sortie tardive de Fandango à l’été 1988 en France. Une exploitation brève qui lui vaut d’être affublé d’un titre quelque peu inapproprié et réducteur par rapport à son propos, Une bringue d’enfer.

Ce titre un brin paresseux laisse envisager l’une de ces énièmes comédies étudiantes (ou films de campus) dont les américains raffolent et qui laissent, au mieux, le public européen indifférent. Les premières minutes semblent d’ailleurs donner raison au distributeur. En cette soirée qui couronne la remise des diplômes, les nouveaux diplômés s’en donnent à cœur joie, éclusent des bières tant qu’ils peuvent et titubent plus qu’ils ne dansent, certains étant déjà totalement cuits. Cependant, quelques détails suffisent à jeter un voile sombre sur cette vibrionnante fiesta. Loin du brouhaha, Gardner broie du noir. Il lance des fléchettes sur son effigie photographique avant de la déchirer, le séparant de la jeune femme avec laquelle il posait. Le beau gosse a le vague à l’âme, l’esprit empli de regrets et de questionnements. Et puis il y a surtout cette date affichée en exergue – le 15 mai 1971 – qui nous renvoie à une époque où la guerre du Vietnam occupait encore tous les esprits. Pour Kevin Reynolds, cette date correspond au jour de la remise de son diplôme. Comme d’autres de sa génération, il vivait dans l’attente de sa probable incorporation, à laquelle il a finalement échappé. Cette heureuse issue, il la refuse à deux de ses personnages, Gardner et Kenneth. Sous prétexte de remonter le moral de son ami, Gardner entraîne toute la bande dans une folle virée, comme du temps de leur prime jeunesse. Une virée qui prend rapidement des airs de fuite en avant, Gardner ne cachant pas ses envies de désertion du côté de l’eldorado mexicain. Passées les premières bières, la cohésion du groupe montre déjà de sérieux signes d’érosion. Lester Griffin est déjà ailleurs. Il passe la majeure partie du film en semi-coma éthylique, poids mort que ses amis traînent avec eux vaille que vaille en un savoureux gag au long cours, pour ne se réveiller qu’au moment des adieux. Et puis il y a surtout Phil Hicks, lequel assume avec aplomb son statut de rabat-joie de service. A cette virée régressive, il oppose un ostensible sérieux, trouvant toujours à redire quant aux choix des autres. En outre, il incarne ce patriotisme, alors sérieusement remis en question par les manifestations pacifistes, qui n’admet pas que de jeunes américains cherchent à se dérober à la guerre. Un patriotisme biaisé puisque lui bénéficie d’une place dorée en sa qualité d’officier de réserve. A force de pleurnicheries, il s’attire les foudres du reste de la bande, au point que Gardner lui envoie tel un uppercut qu’il ne l’a jamais apprécié, ne traînant avec lui que par commodité. Un rude coup qui témoigne de la forte tension dans laquelle baigne leur escapade.

Dès le générique où défilent à toute berzingue les images du désert dans le sillage de la Cadillac lancée sur la route à tombeau ouvert, la mort imprègne le récit. La mort au sens physique (le cadavre d’un coyote écrasé sur la route) comme au sens allégorique (Lester, encore lui, dont le corps inerte est transportée par ses amis comme le serait celui d’un soldat touché au combat et porté par ses frères d’armes). Ces jeunes vivent à une époque où l’insouciance leur est refusée. Cette guerre qui fait rage à des milliers de kilomètres obscurcit leur quotidien au point que tout y renvoie, telle une malédiction. Les cinq amis s’aventurent dans un territoire de désolation, théâtre de combats passés (la plaque commémorative du massacre de McLean) et de vestiges des temps anciens liés à la mythologie d’un pays qui se voit plus beau qu’il ne l’est (ils passent la nuit au pied des ruines du ranch utilisé dans Géant). Un simple jeu nocturne à base de feux de Bengale dans la quiétude d’un cimetière se meut en simulacre de cette guerre géographiquement lointaine à la faveur de cette tombe d’un jeune appelé sur laquelle Gardner et Kenneth trébuchent. Cette guerre est un caillou dans leur chaussure, un frein à leurs envies. Dans ce contexte, tenter de renouer le fil avec leur folle jeunesse relève de l’impasse. Cette escapade prend des allures de veillées mortuaires, réduisant leurs magnifiques souvenirs en petits tas de cendres à mesure de son avancée. Sa finalité – une bouteille de Dom Pérignon au contenu tiédi et donc imbuvable – paraît bien dérisoire alors qu’elle marque une étape cruciale dans leur construction personnelle. A l’issue de ce voyage, autant intérieur qu’itinérant, les cinq amis arrivent à une forme d’acceptation. Ils prennent conscience que toutes les bonnes choses ont une fin et qu’il convient de vivre avec son temps, d’avancer en dépit d’un avenir plus qu’incertain. Enfin, surtout pour deux d’entre eux. A leur suite, Kevin Reynolds nous invite à une dernière danse, ce fameux fandango du titre original, dans laquelle Gardner se perd. Un moment de grâce de quelques minutes où il renoue avec un bonheur perdu et avec lequel il aimerait tant pouvoir renouer. Une bulle hors du temps, ultime illusion d’un film désenchanté.

Il ne faut sans doute pas chercher plus loin les raisons de sa non distribution. Une bringue d’enfer ne respire pas la joie de vivre et ne montre pas une jeunesse très enthousiaste à l’idée d’aller guerroyer au nom de la mère patrie. Néanmoins, Kevin Reynolds se refuse à un film plombant. Il ménage de belles scènes de groupe où il fait montre d’une parfaite maîtrise de la mise en scène. D’aucuns évoqueront le saut en parachute, incontestable moment d’anthologie où le rire le dispute à la peur de mourir. Cependant, la scène la plus marquante se situe en amont, lorsque Gardner parvient encore à éveiller l’imaginaire de ses amis à l’aune d’une idée totalement folle, se faire tracter à bord de la Cadillac par un train attrapé avec un lasso de fortune. Emportés par la magie du cinéma et la musique magistrale d’Alan Silvestri, nous nous mettons soudain à croire en l’impossible. Un moment de suspension magnifique où nous trépignons comme des gosses dans l’attente de l’extraordinaire. Tout en gardant les pieds sur terre, Kevin Reynolds réussit à nous faire voyager et à nous faire passer par tous les sentiments jusqu’à ce mariage improvisé, véritable moment de solidarité et de convivialité non feintes pourtant bâti sur un mensonge. Ce sacrement marque la fin du voyage et l’éclatement définitif du groupe par une ultime action collective.

Il y a des films qui vous happent de la première à la dernière image. Une bringue d’enfer est fait de ce bois-là. Avec ce film, Kevin Reynolds se raconte sans oublier de faire du cinéma et trouve en Kevin Costner un parfait alter ego. Charmeur et touchant, l’acteur crève l’écran, apportant une réelle profondeur à son personnage à l’inconséquence calculée. Une profonde amitié liera dès lors le comédien et le cinéaste, laquelle n’ira pas sans quelques accrochages au fil du temps et des projets communs (Robin des Bois, prince des voleursWaterworld). Ensemble, ils n’atteindront plus jamais le niveau d’excellence d’Une bringue d’enfer, film sans prétention mais d’une forte puissance émotionnelle. Un petit bijou qui mérite d’être (re)découvert.

Une réflexion sur “Une bringue d’enfer – Kevin Reynolds

  • Jamais vu un titre aussi mal choisi. On dirait une comédie de John Landis avec John Belushi. L’histoire m’apparait plus déprimante qu’autre chose. J’attendrai votre critique sur d’autres films de Kevin Reynolds comme par exemple La Bête de guerre ou la mini série Hatfields et McCoys qui marque la réconciliation de Kevin Reynolds avec Kevin Costner.

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