CinémaPolar

Revolver – Sergio Sollima

revolver

Revolver. 1972

Origine : Italie / France / R.F.A. 
Genre : Polar 
Réalisation : Sergio Sollima 
Avec : Oliver Reed, Fabio Testi, Agostina Belli, Daniel Beretta…

Pour récupérer sa femme enlevée, Vito Cipriani (Oliver Reed) est contraint d’obéir aux ordres des ravisseurs. Il doit s’arranger pour faire évader Milo Ruiz (Fabio Testi) et procéder à l’échange. Mais en voyant que sa femme n’est pas au rendez-vous, Vito sent venir l’entourloupe et refuse de remettre Milo aux émissaires qu’on lui a envoyé. Ancien flic aux méthodes directes, il décide de prendre les choses en mains sans impliquer sa direction pour ne pas provoquer ses ennemis. La tâche ne sera pas aisée : Milo dit n’avoir aucune idée de qui peut bien le demander, et son dossier ne le relie à aucune organisation criminelle connue. Curieux, le taulard évadé malgré lui aimerait tout autant le savoir et, puisqu’il est loin d’être sûr des motivations de ceux qui le réclament, il préfère collaborer avec Vito. Ce dernier n’a de toute façon pas trop le choix, puisqu’il se retrouve coincé entre son administration qui le recherche et la nécessité de ne pas faire de faux pas, sous peine de ne jamais revoir sa femme.

Revolver, également connu sous le titre La Poursuite implacable, clôt en quelque sorte la carrière courte (du moins comparée à celles de ses collègues du cinéma italien) mais remarquable de Sergio Sollima. Par la suite, il ne tournera plus que des séries télévisées, des téléfilms et des films familiaux. Je n’irai pas jusqu’à dire que tout cela est mauvais puisque je n’ai rien vu du Sollima de cette période, mais il va sans dire que voir un tel réalisateur abandonner le western et le polar chagrine. Sollima est en effet l’homme qui avec Sergio Corbucci a amené la plus rude concurrence à la domination de Sergio Leone sur le western. En seulement trois films du genre (Colorado, Le Dernier face à face et Saludos, Hombre), il est parvenu à imposer une conception politique inédite de la liberté non sans avoir fait naître un personnage brillant, Cuchillo, qui a véritablement lancé la carrière de ce formidable acteur qu’est Tomas Milian. Niveau polar, Sollima ne livra que deux essais : La Cité de la violence et Revolver. Preuve de l’attrait exercé par le réalisateur, il put dans les deux cas compter sur la présence d’une tête d’affiche internationale venue ni pour se faire connaître ni pour gérer le post-vedettariat. Ce fut Charles Bronson dans le premier cas et Oliver Reed dans le second, celui qui nous intéresse présentement, et qui comme le premier nommé ne peut être totalement inscrit dans l’une des variantes du polar italien.

Revolver commence comme une histoire de chantage avec une large part d’ultra-violence, dans la veine Lenzi, et se termine comme un brûlot sur la corruption morale et humaine de la société et des individus. Entre-temps, un scénario très bien écrit aura procédé non pas à un rebondissement décisif, mais à une suite d’aventures assemblant peu à peu les pièces du puzzle ouvrant le film (plusieurs scènes qui n’ont a priori rien à voir les unes avec les autres, de Milo enterrant un ami au meurtre d’un homme politique en passant par un chanteur à la mode appelé à identifier le cadavre d’un de ses anciens ami de la pègre). Il n’y a pas les discussions d’un côté et l’action de l’autre : tout est parfaitement imbriqué, et au contraire de bien d’autres réalisateurs, Sollima n’a pratiquement pas recours à la gratuité. Ainsi, les violents hommes de mains chargés d’enlever la femme de Vito Cipriani sortent vite de l’intrigue, non pas parce qu’Oliver Reed leur aura réglé leur compte, mais parce que le cerveau de l’affaire jugera leur agressivité primaire dangereuse pour ses affaires. Avec son Agostina Belli dévêtue, l’affiche française du film est à côté de la plaque. Pour un sujet similaire tapant dans le sordide, autant se reporter sur La Guerre des gangs de Lucio Fulci (du moins sa dernière partie). De même, le pacte entre le flic violent et le malfrat facétieux n’est pas un prétexte pour singer les aventures de l’Er Monnezza de Tomas Milian, et encore moins les buddy movies avant la lettre de Terence Hill et Bud Spencer. Le fait que les personnalités soient fortement antagonistes, et qu’un lien d’amitié finisse par se nouer entre les deux, trouve sa justification dans un final cherchant à décortiquer la place du sentiment dans un système où la politique et le crime ont fini par converger, l’un garantissant la préservation de l’autre, attribuant des racines dans l’illégalité à l’un et dans la légalité à l’autre. Cette alliance de fait prend la forme d’un véritable dédale judiciaire et politique, très kafkaïen, dans lequel sont perdus Vito et Milo. C’est en effet à l’auteur tchèque que l’on pense tout de suite face à des méthodes héritées à la fois de l’opacité de l’administration dans Le Château et de la violence irraisonnée de la police et de la justice dans Le Procès. Épris de liberté comme il l’a démontré dans ses westerns aux tendances anarchistes, Sollima a donc associé un ex-flic et un truand pour mieux les mettre dos à dos et placer les individus face aux institutions, qu’elles soient légales ou non. Le simple fonctionnaire comme le simple bandit sont tous deux confrontés à leur milieu respectif et chacun apprend à désacraliser les valeurs dont il pensait bénéficier. Dans un cas comme dans l’autre, il n’y a pas plus de code d’honneur que de devoir déontologique. Il n’y a que les intérêts de la hiérarchie, laquelle ne vise qu’à asseoir sa domination. Plus que d’inversement des rapports de force, c’est bien une remise à plat des relations dont il s’agit lorsque finalement Milo parvient à se libérer de la menace du flingue de Vito, qui jusqu’à cet instant espérait encore mener sa mission avec l’assurance du policier expérimenté qu’il est. A partir de cet instant, les deux hommes commencent -commencent seulement, l’illumination n’intervenant qu’à la fin- à prendre conscience qu’ils ne sont pas des ennemis mais des alliés et que leur lutte qui démarrait pour n’être que personnelle se double d’une portée plus globale, dont ils n’apprendront la véritable nature que plus tard : c’est une lutte engagée contre eux par un système corrompu plaçant justement sa force sur les menaces qu’il fait planer sur les hommes en tant qu’individus. Comme pour ses westerns, Sergio Sollima demeure peu clair quant aux opinions politiques qu’il véhicule. Anarchiste, communiste à l’ancienne, post soixante-huitard ou simple progressiste, difficile de le dire. Revolver n’est pas tant un film militant qu’un pamphlet dont l’aboutissement logique est d’appeler au changement, révolutionnaire ou non, non sans une certaine dose de pessimisme face à la totale inégalité dont disposent les camps en lutte.

Une chose en revanche est certaine : le réalisateur choisit de placer l’empathie au niveau des hommes et non des classes sociales. Après tout, les retombées d’une société gangrenée se répercutent sur la vie de tous les jours, donc il est normal de se pencher aussi sur cet aspect, qui prend la forme de l’enlèvement de l’épouse de Vito Cipriani. Un exemple évidemment extrême, mais sans lequel Sollima n’aurait pas pu élever le débat comme il le fait jusqu’au sujet de la corruption. Il se sert donc d’un personnage, celui d’Oliver Reed, qui commence le film avec la rude froideur associée à l’acteur et qui le termine brisé, avec la perspective de plus en plus probable d’avoir à choisir entre son amitié nouvelle pour Milo, qui revient à s’engager avec lui dans une lutte subversive, et la vie tranquille qu’il mène auprès de sa femme. Un véritable étau destiné à briser cet homme de fer dont le manque d’humanité initial renvoyait justement à son statut de serviteur zélé d’un système qui n’hésite pas à se servir de lui. A côté, Milo, tout bandit qu’il soit, est au contraire une figure bien plus agréable. Blagueur et beaucoup moins strict, voire même par certains côtés fragile, il est d’entrée de jeu celui qui attire la sympathie et qui dans l’absolu, si les plans des ravisseurs avaient réussi, si l’échange de prisonniers avait eu lieu, aurait été le seul à payer le prix d’une machination dans laquelle son rôle est loin d’être évident. C’est aussi un peu pour cela que Vito le prend en sympathie : en étant lui-même rabaissé au rang de simple pion, en étant condamné à l’illégalité, il se rend compte de la vie menée par ce petit bandit qui lui semblait naguère une denrée négligeable, ce que lui même est devenu. A travers le prisme politique, à travers les scènes d’action, Sollima dresse un portrait psychologique élaboré de ces personnages sortant des sentiers battus du polar italien. Il leur inculque l’humanisme, raison première pour laquelle ils agissent et qui est à la fois leur arme (c’est ce qui pousse Vito à sortir de son cercle rigide) et leur faiblesse (sauver la vie de sa femme signifie aussi pour lui faire de lourdes concessions… tout comme Milo est également obligé d’en faire, par exemple en se réfugiant chez une amie qu’il implique de fait dans cette affaire). Faiblesse dont ne peuvent pâtir les élites incriminées, que toujours selon un procédé kafkaïen nous ne voyons jamais. Leur force réside ici : puisqu’elles sont éloignées de l’action, les individus qui les composent n’ont pas à s’impliquer sur un plan humain. Ce qu’elles auraient très certainement fait si tel avait été le cas : après tout même le ravisseur d’Anna Cipriani n’est pas sans faire ressortir une certaine compassion. Lui aussi se rendra d’ailleurs compte qu’il est manipulé. Il ne sera pas le seul, plusieurs autres personnages s’en rendront compte en y laissant leur vie. Pour Sollima, qui de son propre aveu a complétement remanié un scénario qu’il jugeait raté, personne n’est véritablement mauvais… pour autant qu’il ait la capacité de s’impliquer en tant qu’être humain. Mais c’est justement le propre des élites d’éviter d’avoir à le faire et de vouloir rester dans une tour d’ivoire pour sauvegarder un système qui les a choisi et dont elles bénéficient individuellement… jusqu’à ce qu’elles deviennent elles-mêmes les proies d’un échelon supérieur. C’est ce qui est arrivé à Vito Cipriani, le sous-directeur d’une prison, qui pour le coup, en se sortant la tête du monde carcéral qui le maintenait dans l’immobilisme, a eu l’occasion d’ouvrir les yeux. Ce qui ne signifie pas qu’il soit sauvé pour autant.

Il ne faudrait malgré tout pas prendre Revolver pour une œuvre similaire aux austères productions ultra-politisées d’un Elio Petri ou d’un Damiano Damiani. Toujours en mouvement (l’équipée de Vito et Milo les amène de Milan à Paris), le film de Sollima est parcouru d’instants de bravoure toujours agréables à contempler, surtout lorsqu’ils sont très bien mis en scène et agrémentés d’une superbe partition signée du tandem Ennio Morricone / Bruno Nicolai. Certes, au niveau spectaculaire, ce n’est pas le must du polar italien, mais le réalisateur a encore une fois réussi à combiner l’action, la psychologie et la politique, comme il l’avait déjà fait dans ses westerns (le scénario du Dernier face à face présente d’ailleurs de nombreux points communs avec celui de Revolver). Décidément un grand réalisateur que ce Sergio Sollima.

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