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Les Damnés – Joseph Losey

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The Damned. 1963

Origine : Royaume-Uni
Genre : Horreur par anticipation
Réalisation : Joseph Losey
Avec : Mcdonald Carey, Shirley Anne Field, Oliver Reed, Alexander Knox…

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Un beau jour, Simon Wells décide de plaquer son travail d’assureur pour mener une vie paisible à bord de son voilier. Lors d’une escale, il rencontre Joan, une jeune femme qui ne le laisse pas insensible. Manque de chance, elle ne sert que d’appât pour l’attirer dans un guet-apens au profit de son frère King, chef d’une bande de Teddy Boys, les loubards anglais. Vexé et meurtri, Simon regagne son bateau, bien décidé à laisser cette histoire derrière lui. Las, Joan réapparaît, et son lot d’ennuis avec elle. Pensant avoir trouvé le grand amour -et voulant surtout le consommer- Simon la suit sans savoir que cela les mènera tout droit à leur perte.

Réalisé en 1963, Les Damnés jure quelque peu avec le reste de la production de la Hammer de l’époque. Alors que le studio a essentiellement forgé sa réputation sur l’utilisation d’un technicolor flamboyant, le film de Joseph Losey est, quant à lui, tourné en noir et blanc, et reprend une thématique plus généralement rattachée aux années 50. Contrairement à ce que pourrait laisser croire ce résumé volontairement évasif, Les Damnés n’est pas qu’un film axé sur un amour impossible, mais aussi une mise en garde contre les dangers du nucléaire. A ce titre, il s’inscrit pleinement dans la mouvance des films de science-fiction de ces fameuses années 50, où la radioactivité était souvent à l’origine de bien des malheurs. Le choix du noir et blanc apparaît alors comme le plus sûr moyen d’entériner cette filiation et rappelle que, durant cette même décennie, la célèbre firme britannique avait aussi su ajouter sa pierre à l’édifice (Le Monstre, 1955). Entretenant peu d’affinités avec la science-fiction pure, Joseph Losey choisit à dessein de d’abord tourner autour du pot pour ensuite amener progressivement ses personnages -et les spectateurs avec eux- à appréhender ce qui se trame dans les entrailles d’une falaise au sommet de laquelle se trouve juché un camp militaire. Les Damnés tourne tout entier autour de l’idée de fuite. C’est Simon Wells qui fuit sa vie passée et les souvenirs qui s’y rattachent. C’est Joan qui tente d’échapper à l’emprise de King, ce frère castrateur dont l’énergie déployée à brocarder chacun des hommes auxquels elle s’intéresse trahit l’amour plus que fraternel qu’il lui témoigne. Et puis ce sont ces neuf enfants qui ne comprennent pas qu’on leur interdise tout contact avec le monde extérieur alors qu’ils rêveraient de pouvoir s’ébattre à l’air libre. Joseph Losey s’applique donc à ce que toutes ces lignes de fuite se relient entre elles jusqu’à n’en faire plus qu’une.

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Au début, on ne saisit pas tout de suite où le réalisateur veut en venir, la première partie se concentrant essentiellement sur le trio Simon, Joan et King au travers d’une folle course-poursuite. Un trio à la psychologie sommaire qui ressemble à un triangle amoureux tant l’attitude de King envers sa sœur est ambiguë. Simon aussi est un drôle de bonhomme qui, sous ses airs de brave monsieur bien élevé, cache un tempérament empressé, voire brusque à l’encontre de Joan. C’est comme si, se sentant vieillir, il n’avait plus envie de perdre son temps en efforts de séduction. Au milieu de ces deux hommes, qui réclament chacun sa présence à leur côté, Joan tergiverse. En vérité, elle aimerait beaucoup partir refaire sa vie seule, mais cela lui est impossible avec ces deux sangsues qui s’attachent à ses basques. En fait, elle partage avec ces neufs enfants, dont elle va croiser le chemin, ce sentiment aigu d’être constamment entravée, à la fois prisonnière de ses sentiments et de sa condition de femme. Nous sommes encore dans une époque où l’homme décide de tout. Que ce soit King ou Simon, tous deux partagent cette volonté de dicter leur conduite à Joan en fonction de ce qu’ils veulent eux. Il en va de même de ces militaires désireux d’assurer la pérennité de l’espèce humaine au-delà du conflit nucléaire qui ne manquera pas d’éclater un jour. Après tout, la crise des missiles de Cuba, et la grande suée qui en a découlé, est encore toute fraîche dans les esprits. Ils arrachent donc une poignée d’enfants aux caractéristiques particulières à leurs familles -ils sont nés radioactifs donc parfaitement immunisés contre les effets des radiations- et prennent sur eux d’en assurer l’éducation dans le plus grand secret, sans se soucier une seule seconde des sentiments de ces phénomènes. Plutôt que d’œuvrer pour empêcher tout conflit nucléaire, ces militaires préfèrent anticiper sur une issue qui leur semble inéluctable en préparant d’ores et déjà le monde post-atomique. Cela en dit long sur le climat d’insécurité qui régnait à cette époque, quand bien même les Etats-Unis et l’URSS avaient mis un peu d’eau dans leur vin. Joseph Losey rend compte du fatalisme qui s’empare de la grande muette, celle-ci ne se faisant plus guère d’illusions sur la suite des événements. A tout moment, le monde peut exploser et il convient donc de s’y préparer, comme il convient de ne pas en alerter la population.

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Joseph Losey dresse un constat sans appel de notre société, fustigeant son individualisme forcené et son goût immodéré pour les secrets d’état. Pessimiste en diable, il ne nous offre aucune porte de sortie, ni même la vision confortable d’un comportement héroïque. Que ce soit Simon, Joan ou King, chacun d’eux n’est qu’un témoin de ce qui se trame, et pas un ne comprend véritablement la portée de ce qu’ils découvrent. Passée leur indignation bien légitime face à ce qu’ils interprètent de prime abord comme une simple séquestration d’enfants, ils s’en retournent bien vite à leurs petites préoccupations lorsque la vérité leur est exposée. Ainsi, Simon ne pense t-il plus qu’à s’enfuir avec Joan pendant qu’il est encore temps, et ne se soucie plus guère de ce qu’il a vu. Il préfère fermer les yeux plutôt que de jouer au chevalier blanc et alerter la population de ce qui se trame dans son dos. Il y a finalement plus d’humanité chez ces neufs enfants aux corps glacés que chez n’importe lequel de ces adultes désespérément repliés sur eux-mêmes. C’est en cela que Les Damnés s’éloigne des films de science-fiction des années 50, creusant alors un sillon qui lui est propre. Il n’est alors plus question d’individus s’acharnant à faire éclater la vérité au péril de leur vie mais d’individus préférant jouer les autruches, s’excusant presque d’avoir découvert ce qu’il ne fallait pas. Les damnés du titre ne sont pas tant ces enfants prisonniers contre leur gré que la population dans sa globalité, vouée à subir les conséquences des actes perpétrés par les grandes instances qui dirigent le monde. A trop jouer avec le feu, on se brûle, et Joseph Losey de nous dépeindre le début de l’incendie avec un style dénué d’emphase mais d’une implacable efficacité.

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