CinémaPolar

La Guerre des gangs – Lucio Fulci

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Luca il contrabbandiere. 1980

Origine : Italie 
Genre : Polar 
Réalisation : Lucio Fulci 
Avec : Fabio Testi, Ivana Monti, Marcel Bozzuffi, Saverio Marconi…

Les gangs de Naples vivent globalement en bonne entente. Chacun dispose de son pré carré et s’en tient. Ainsi, les frères Di Angelo règnent sur la contrebande de cigarettes et d’alcool. Une mauvaise surprise les attend pourtant lors d’une mission : quelqu’un les a donné aux flics. Ils en réchappent sans trop de dommage, mais de toute évidence, Naples n’est plus ce qu’elle était. Alors qu’ils en sont encore au stade des suppositions, l’aîné, Micky, tombe dans un guet-apens où il perd la vie. Son frère Luca (Fabio Testi) est plus que jamais décidé à savoir qui est le vendu derrière tout ça, et accessoirement à venger son frère. Le premier gang suspect, connu pour sa jalousie, se révèle en fait innocent. Et les chefs de gangs sont assassinés un par un. Le coupable vient en fait de l’extérieur. Il s’agit de François Jacquet dit “le marseillais”, un fieffé cinglé ultra-violent qui cherche à se servir des gangs et de leurs réseaux pour écouler sa marchandise, la drogue. Un marché que Luca et les autres chefs ont toujours refusé d’implanter en ville.

Oui, comme vous pouvez le deviner à la lecture de ce résumé, La Guerre des gangs de Lucio Fulci (à ne pas confondre avec le film du même nom signé Umberto Lenzi) est un film assez réducteur, opposant la gentille pègre napolitaine à la méchante pègre étrangère. On y retrouve également le thème assez usité du conflit de générations mafieuses entre les anciens, dignes et respectables, que la police elle-même reconnaît d’utilité public (car donnant du travail à des hommes qui seraient au chômage dans ce pays “ruiné”) et les nouveaux, sans scrupules, qui viennent vendre de la drogue. Chaperonné par son frère, qui l’a sorti de la misère milanaise pour lui faire apprendre le métier, Luca Di Angelo mérite bien son nom. Non seulement il cherche à venger le frangin lâchement massacré, mais en plus il incarne à merveille les vertus de la vieille génération napolitaine, s’offusquant par exemple à l’idée que le marseillais puisse vendre de la drogue à nos enfants dans les cours d’école. Il a bien du mérite, puisque le nombre de ses alliés, qu’il avait lui-même poussés à former l’union sacrée, diminue à vue d’œil au fur et à mesure que le marseillais fait le ménage pour tenter de terroriser les survivants. C’est d’autant plus embêtant que Luca se retrouve sans personne pour garder son fils, qu’il confiait généralement à un collègue et ami en charge des jeux de pari, qui lui faisait faire des tours de bourricots à l’œil. A ce sujet, notre ange contrebandier est d’autant plus sympathique aux yeux du public qu’il est un bon père de famille, sincèrement navré d’avoir à négliger sa femme et son fils pour les affaires, et qu’il est encore une jeune pousse assez naïve, capable de commettre de grossières erreurs en raison de son manque de sang-froid émotionnel, tel qu’aller se jeter dans la gueule d’un loup qui est finalement innocent (c’était avant que la présence du marseillais ne soit attestée). Il s’en sortira amoché, mais c’est ce genre de déconvenues qui forge l’expérience. Ceci dit, de là à vaincre le marseillais à lui seul, il ne faudrait pas pousser. Fulci s’en rend bien compte, et il ne termine pas son film ainsi. Il aurait pourtant dû… Car sans vouloir en dire trop, l’aide providentielle de Luca n’est pas loin d’être ridicule, décrédibilisant une bonne fois pour toute l’aspect feuilletonesque de ce film de gang.

Quelle mouche a donc bien pu piquer Fulci en 1980, soit entre ces deux monuments du gore que sont L’Enfer des zombies et Frayeurs, pour qu’il dépeigne une délinquance napolitaine digne des Bisounours ? Et bien la réponse est simple : les véritables contrebandiers napolitains eux-mêmes ! Que voulez-vous, quand l’argent vient à manquer pour finir un film, il faut bien faire appel à d’autres fonds. Or le budget de La Guerre des gangs n’a pas été complété par d’autres producteurs de cinéma, ni par des associés espagnols, allemands ou français (comme ce fut souvent le cas pour les westerns spaghetti), mais par ces contrebandiers, qui en profitèrent pour s’immiscer dans la conception du film. Tout ce qui relève du refus de voir la drogue à Naples vient de leur initiative, de même que certains dialogues, que les conseils techniques et que le titre original, Luca il contrabbandiere, préféré au “Violenza” souhaité par Fulci mais qui ne devait pas assez magnifier le personnage principal. La rumeur veut même que Giuseppe Greco, célèbre tueur de la mafia et fils du parrain Michele Greco dit “le Pape”, “capo di tutti capi” à l’époque du film, ait régulièrement fréquenté le plateau de tournage. Pas étonnant que le film ressemble fort à une simple oeuvre de propagande, qui est venue s’ajouter à un scénario qui devait déjà de toute façon pencher dans ce sens (sans quoi les contrebandiers -euphémisme pour désigner la mafia- ne s’y seraient certainement pas impliqués).

Toutefois, la plus grande singularité de La Guerre des gangs ne vient pas vraiment de là. Après tout, les films donnant une image romantique de la mafia ne manquent pas, même si ils sont tout de même un peu plus subtils qu’ici. Dès le départ, et comme le prouve le titre qu’il désirait, Fulci souhaitait concentrer le premier polar de sa carrière sur la violence. Non pas une violence comique, grand-guignol et gratuitement méchante comparable à celle d’Umberto Lenzi, mais une violence plus physique, digne de celle qu’il employait pour la vague de films gores dans laquelle il venait de se lancer et qui allait le rendre célèbre. Et pour cela, il utilisa les services de gens qui allèrent l’assister régulièrement dans ses films d’horreur, tant au scénario que pour les effets spéciaux, la photographie ou la musique (encore que Fabio Frizzi compose ici une bande originale typiquement polar italien). Ces débordements de violence culminent lors du massacre des chefs de gangs par le marseillais, permettent aussi à Fulci de souligner l’immoralité du nouveau venu, et consistent bien souvent en des explosions de chairs. De face lorsque la victime reçoit une balle dans le ventre, de profil lorsque c’est dans le cou. Mais il y a aussi des choses plus originales, par exemple le visage d’une fille brûlé en gros plan au chalumeau (idée reprise par Eli Roth dans Hostel). Ces scènes, d’une nature inédite dans le polar italien, cataloguent avec intermittence le film au rayon gore. Très rapprochées aussi les unes des autres, elles le font aussi bifurquer après une progression relativement pépère dans une sauvagerie que l’on croit ensuite s’interrompre, pour nous faire retomber dans le classicisme.

C’est alors que l’on s’y attend le moins que Fulci va aller le plus loin, se rapprochant des “shockers” à la La Dernière maison sur la gauche le temps d’une scène de viol explicite particulièrement dure car envoyée en pleine face d’un héros très propret, et dotée d’un extrémisme imprévisible, y compris en ayant préalablement assisté à quelques scènes grossièrement érotiques (signalons d’ailleurs la présence au casting de Ajita Wilson, transexuelle vu chez Jess Franco). Que cela ait été conscient ou non, Fulci prend régulièrement à contrepied les attentes du spectateur habitué au spectacle du polar italien, genre banalisé qui en 1980 perdait de sa superbe au profit de l’horreur dont Fulci s’est fait le maître. Le réalisateur joue aussi sur les ruptures de rythme et les effets de surprise, rendant son film pour le moins déséquilibré, capable d’alterner le romantisme le plus caricatural (le personnage de Luca et ses idéaux) avec l’horreur la plus crapuleuse. La Guerre des gangs est bien la confirmation des talents de Fulci pour le gore, talent qu’il essaie ici de mettre au service du polar. Forcément, la poésie macabre associée au cinéaste n’existe pas, et la complaisance dans le gore est plus criante que jamais (au moins, dans ses films d’horreur, on s’attend à ce qu’il s’attarde sur des choses peu ragoûtantes). Cela reste tout de même une expérience de polar unique en son genre, qu’on ne saurait que chaudement conseiller.

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