Quand l’inspecteur s’emmêle – Blake Edwards
A Shot in the Dark. 1964Origine : Royaume-Uni / États-Unis
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Bon film s’il en fut, La Panthère rose avait ceci de notable que sa tête d’affiche, David Niven, se fit voler la vedette par Peter Sellers, qui s’il n’était toutefois pas méconnu à l’époque n’avait pas atteint la renommée mondiale qu’allaient lui valoir Dr. Folamour, The Party et le reste de la série de La Panthère rose. Pas sot et quant à lui réalisateur déjà confirmé, Blake Edwards avait bien noté le potentiel du personnage de l’Inspecteur Clouseau, policier gaffeur dans la tradition franco-belge de Gaston Lagaffe, et dès son film suivant il prit la décision de modifier le scénario initialement prévu (l’adaptation de L’Idiote, une pièce de théâtre française avec Jean-Pierre Cassel et Annie Girardot) pour faire de Clouseau le personnage principal. Ceci fait, avec l’aide de son co-scénariste William Peter Blatty, encore bien loin de rédiger L’Exorciste, il tourna son film, second d’une série inégalée en son genre. Et pourtant, ce ne fut pas encore l’envol total de l’Inspecteur Clouseau, puisque les relations entre Peter Sellers et le réalisateur se dégradèrent tellement au cours du tournage que les deux refusèrent de retravailler ensemble. Du moins jusqu’à ce qu’ils aient la bonne idée de reconsidérer leurs positions pour la mémorable Party, sans laquelle à n’en pas douter, les futures Panthère Rose -les meilleures- n’auraient pas vu le jour.
Miguel, le chauffeur des Ballon, célèbre famille de la bourgeoisie parisienne, est assassiné. Malgré la haine que lui porte son supérieur le commissaire Dreyfus (Herbert Lom), l’inspecteur Clouseau est chargé de l’enquête par ordre venu d’en haut. Tout porte à croire que l’assassin n’est autre que Maria Gambrelli (Elke Sommer), femme de chambre des Ballon et compagne de feu Miguel. Elle a en effet été retrouvée avec l’arme du crime encore fumante à la main… Au grand dam de Dreyfus, qui juge que tout cela ne fera que ridiculiser la police, Clouseau est quant à lui persuadé que Maria cherche à protéger quelqu’un, et il parvient à la faire sortir de la prison où elle était écrouée. Lorsqu’un second meurtre intervient, cette fois sur la personne du jardinier, et que Maria est retrouvée avec un sécateur tâché de sang à la main, Clouseau ne change toujours pas son point de vue. Têtu, il va persévérer dans cette voie (que l’on sait être la bonne par le privilège d’être spectateur), quitte à se mettre dans des situations impossibles et à plonger le commissaire Dreyfus dans la démence.
Pour résumer les choses, disons que Quand l’inspecteur s’emmêle est une transition entre la première Panthère rose et ceux qui suivront quelques années plus tard. Plusieurs éléments qui seront plus tard intégrés à la saga n’y figurent pas : c’est le cas du fameux générique en dessin animé avec la panthère (qui semblait effectivement peu justifiée, la panthère rose ayant été le diamant à retrouver dans le premier film), de la mention “panthère rose” dans le titre, de la musique de Henry Mancini… En revanche, on y trouve pour la première fois les présences du commissaire Dreyfus (Herbert Lom est un vieil acolyte de Peter Sellers, ayant déjà à ce stade trois films en commun avec lui) et du fameux Kato, ce majordome asiatique ayant pour ordre d’attaquer Clouseau dès que l’envie lui en prend pour lui faire travailler ses aptitudes au karaté. On pourrait croire que les éléments manquants ne sont que des points de détails, et qu’ils n’ont rien à voir avec le scénario du film. Les ajouts suffiraient amplement à faire de ce Quand l’inspecteur s’emmêle le véritable coup d’envoi de la série de Clouseau. Ce serait faire peu de cas de la relative timidité avec laquelle Blake Edward les utilise. On sent qu’il ne s’agit que de leur première apparition, et que le réalisateur est encore loin d’avoir assimilé tout leur potentiel propre. Le principe des batailles entre Clouseau et Kato est déjà là, ils se battent vraiment n’importe quand et n’importe comment, mais la démesure de leurs affrontements est encore loin d’égaler la folie furieuse (y compris dans la mise en scène) qui prévaudra dans les films suivants.
Dreyfus affiche pour sa part déjà ses fameux tics, qui ne font que croître au fur et à mesure que Clouseau amène son triomphe contre toute attente, mais il faudra attendre pour le voir sous son jour le plus dérangé, confinant à l’obsession et à la psychopathie. Ce Dreyfus de 1964 est sans commune mesure avec celui de 1976, année de ce chef d’œuvre qu’est Quand la Panthère rose s’emmêle. Et à vrai dire, Clouseau lui-même est encore loin d’être exploité à plein rendement, bien que Sellers y impose pour la première fois l’accent français à couper au couteau du personnage ainsi que son art du déguisement. Ses gaffes restent modestes : marrantes, très marrantes parfois (ne surtout pas manquer ses dix minutes autour d’un billard), mais ne sont pas encore à la lisière du cartoon comme elles le seront plus tard. Il n’y a pas cette sensation que tout s’enchaîne, faisant progressivement décoller le film à un niveau d’intensité qui sera plutôt caractéristique des années 70, période post-Monty Python où l’absurde ne connaissait pas d’autre retenue que celle de rester drôle (ce que finiront par oublier des gens comme Mel Brooks ou les ZAZ et leurs catalogues de pitreries hystériques). Quand l’inspecteur s’emmêle donne en fait vaguement l’impression d’assister à une succession de sketchs placés sur un pied d’égalité et rassemblés par un scénario que Edwards a bien conscience d’être faiblard (ce qu’il assume notamment à la fin, brillant foutage de gueule dans une tradition burlesque à l’ancienne). Ce film est une simple boutade, qui n’est visiblement pas destinée à s’imposer au rang des chefs d’œuvre du cinéma comique. Ce qui explique pourquoi Edwards, peut-être finalement plus par peur d’en faire trop que par manque de conscience n’a pas exploité le concept de Clouseau avec davantage de vigueur. Après tout, ses récents Diamants sur canapé et La Panthère rose s’inscrivaient plus dans un style hérité des années 50 et d’avant, à mettre en lien avec des gens comme Billy Wilder ou Howard Hawks. Un style comique très classe, très profond, mais auquel le personnage de Clouseau se prête fort peu.
En 1964, Edwards n’a donc pas encore évolué avec son époque et reste prudent. Et pourtant, il aurait très bien pu y aller sans ambages : Clouseau affiche déjà les traits de caractère qui rendront possibles ses tribulations futures. Personnage profondément paradoxal, l’inspecteur affiche à la fois une prétention et un autoritarisme sans borne en même temps qu’une gaucherie incroyable. Jamais honteux de ses bévues, qui l’affectent lui en même temps que son entourage, il dispense une mauvaise foi qui sans le génie comique de Peter Sellers ne serait certainement pas passée. Il n’y a qu’à jeter un coup d’œil aux Panthère rose de Roberto Benigni ou de Steve Martin pour s’en convaincre. De même, on ne sait trop si Clouseau a, pour parler vulgairement, le cul bordé de nouilles ou s’il est le poissard ultime. Son enquête est menée en dépit du bon sens, sa volonté de voir l’innocence en Maria semble dictée par son affection intéressée pour le personnage d’Elke Sommer (sortir avec elle pour censément faire sortir le meurtrier, supposé amant jaloux !), ses boulettes auraient pu lui mettre des bâtons dans les roues et pourtant, il parvient par miracle à ses fins… A force d’inspirer à la fois l’antipathie (surtout chez Dreyfus, le premier à souffrir des méthodes de son subordonné) et la pitié, il se transforme en personnage sur lequel il est difficile pour le spectateur de se faire une opinion. Ce n’est d’ailleurs pas ce que l’on nous demande, puisque Clouseau est le trublion par excellence, et que ses films sont de vastes one-man show. Que ce soient Kato ou Dreyfus, les autres personnages n’existent que par lui. Ce n’est certainement pas pour sa personnalité que l’on veut voire Clouseau, mais bien parce qu’avec lui, l’ennui est impossible. C’est dire si l’on était déjà en droit d’attendre plus de la part de Blake Edwards. En attendant, Quand l’inspecteur s’emmêle est un bon film, quoique relativement décevant à la vue de de ses successeurs. Une mise en bouche, en somme.