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No Direction Home : Bob Dylan – Martin Scorsese

nodirectionhome

No Direction Home : Bob Dylan. 2005

Origine : États-Unis 
Genre : Documentaire 
Réalisation : Martin Scorsese 
Avec : Bob Dylan, Joan Baez, John Hammond, Allen Ginsberg…

Long documentaire de plus de 3 heures, No Direction Home ne couvre pourtant pas l’intégralité de la carrière de Bob Dylan. Pas fou, Scorsese, dans sa passion actuelle pour les rétrospectives musicales (voir toutes ses anthologies du blues, disponibles un peu partout), décide de se concentrer sur la période qui a fait de Dylan dans les années 60 le concurrent américain des Beatles britanniques. C’est à dire de ses débuts (premier album en 1962) à la sortie en 1966 de l’album à juste titre mythique Highway 61 revisited, ce dernier marquant le premier virage dans la carrière de Dylan, avec un passage du folk (avec juste Dylan, sa guitare sèche et son harmonica) au rock (avec guitare éléctrique et tout un groupe derrière).

Divisé en deux parties, No Direction Home contient moult interventions par ceux qui ont connu Dylan à l’époque, et qui furent assez vivants dans la dernière décennie pour en parler : entre autres Suze Rotolo (sa petite amie au moment des faits), Joan Baez (collaboratrice, amie et amante), Allen Ginsberg (poète de la Beat Generation, un pote à Bob) et bien d’autres : producteurs, musiciens, épiciers… Et puis Dylan lui-même.
La première partie du documentaire traite autant du début de la carrière de Dylan que de ses influences. Des influences déjà littéraires : Arthur Rimbaud, dont les poèmes faisant l’apologie des errances, de la liberté et du goût pour les expériences nouvelles ne pouvaient que plaire à un Robert Zimmerman désireux de s’éloigner de l’encroutement d’une vie de fonctionnaire à Duluth, Minnesotta (son lieu de naissance). Dylan Thomas, aussi, un autre poète, respecté pour ses compositions très agréables à l’oreille. Zimmerman retiendra d’ailleurs le nom de Dylan pour pseudonyme, même si selon ses dires il n’avait aucune intention de devenir célèbre avec ce nom. Enfin, la Beat Generation, avec des œuvres très héritières de Rimbaud (mais en prose) : le Sur la route de Kerouac faisant bien sûr office de tête de proue, avec toute sa passion pour tout ce qui sort de l’establishment. A tout cela s’ajoute des influences musicales, très nombreuses, et que Scorsese à réussit à mettre à l’écran avec des images que l’on devine assez rares. Citons le bluesman noir Leadbelly, qui a commencé sa carrière en prison, mais aussi et surtout Woody Guthrie, à qui Dylan a repris la portée sociale des textes, mais aussi le style de chant voire même carrément certaines mélodies. Guthrie est sans conteste l’influence majeure de Dylan, d’autant plus que lui aussi s’était mis à l’écriture avec un En Route Pour la Gloire aux idées assez proches de celles de la Beat Generation.

Bref, toutes ces racines, outre qu’elles permettent de comprendre le pourquoi et le comment de la musique (et des textes) de Dylan, permettent aussi de cerner le personnage, qui n’est donc pas né du néant mais qui découle de toute une histoire culturelle et sociale. Dylan n’a donc pas été révolutionnaire, il n’a juste fait que reprendre et dépoussiérer de vieilles idées qui croupissaient dans les bouges new-yorkais, dans les milieux d’étudiants fumeurs et libertaires.
Une fois que l’on comprend ceci, c’est fort logiquement que l’on comprend que Dylan fut gêné par son succès. Il évoque même le cas de sa reprise du morceau traditionnel “House of the Rising Sun”, figurant sur son premier album (sobrement intitulé Bob Dylan), dont les arrangements ont été intégralement pompés sur un ami de Dylan, qui dans le documentaire prend çà à la rigolade mais qui à l’époque en avait gros sur la patate.

Puis vient le moment des gros succès, avec les albums suivants, The Freewheelin’ Bob Dylan, The Times they are a’changing, Another Side of Bob Dylan. Là, Scorsese s’attarde à nous révéler la montée en puissance d’un mythe qui sera considéré comme un porte-parole de sa génération avec des chansons dites engagées comme “Blowin’ in the Wind”, “Masters of War”, “Only a Pawn in their Game”, “When the Ship comes in” ou “The Lonesome Death of Hattie Carroll”, où l’auteur fustige la guerre, les militaires, le gouvernement, la paranoia anti-communistes, le racisme… Avec images à l’appui, nous montrant un Dylan en train de chanter en 1963 lors du meeting où Martin Luther King délivra son célèbre speech “I have a dream“.
Bref, pour Dylan, toute cette période là fut celle qui le porta au sommet. Ses chansons commencèrent à être reprises, ses prestations publiques lui apportèrent la gloire, les femmes faciles et tout ce qui s’ensuit…

La deuxième partie du documentaire nous dévoile l’envers du décor. Principalement axée sur le changement d’orientation musical de Dylan, son passage du folk au rock. L’album Bringing It All Back Home marqua déjà une évolution. Mi-acoustique, mi-électrique, il préserva cependant la réputation de Dylan dans le milieu du folk grâce à des paroles pourtant parfois considérées à tort comme engagées (“Mr. Tambourine Man”, qui rend juste hommage à un musicien rencontré par le chanteur). La vérité est que Dylan commençait déjà à en avoir marre de toute sa réputation d’artiste engagé, et de l’instrumentalisation dont il fut victime. A ce titre, lorsqu’il reçut les honneurs d’une académie artistique quelconque, il fit parler la poudre lors de son speech de remerciements en disant qu’il “se reconnaissait un peu dans l’assassin de Kennedy”. Tollé général, mais qui cela dit ne surprit guère ses admirateurs.

En revanche, la sortie de Highway 61 revisited, en 1966, allait lui attirer de nombreux ennuis. C’est la partie la plus intéressante de No Direction Home. On y voit déjà que Dylan ne se soucie pas de ses admirateurs, qu’il reste libre et qu’il fait avant tout ce qui lui plait. Son passage au rock s’accompagne ainsi de prestations lives assez étranges, ou le chanteur se fait copieusement insulter par un public d’intégristes du folk, qui n’hésite pas à le siffler, à l’insulter, et qui en rajoute face aux caméras en proclament que Dylan les a trahi. Celui-ci ne s’en soucie pas (du moins en apparence), et déplore que les sifflements l’empêche d’accorder sa guitare convenablement. Il prend un fan énervé à parti. Et il se plait même à demander à ses musiciens de jouer encore plus fort, pour énerver encore davantage le public. Chose qui d’ailleurs n’était pas sans risque, et plusieurs musiciens se firent la malle en cours de tournée. La même chose se reproduisit pour la sortie du chef d’œuvre Blonde on Blonde, accueillit de la même façon. Et la, Scorsese s’attarde sur la débilité incommensurable de la presse larguée. Un habile montage entre différents extraits de conférences de presse nous montre les mêmes questions, totalement débiles, revenant à chaque fois, tournant principalement autour du statut de chanteur engagé de Dylan. Celui-ci déclare ne s’être jamais considéré comme un chanteur engagé et ne même pas savoir de quoi il est question. Ce qui laisse dubitatif. En tout cas, une chose est sûre : les scènes où il est confronté à la presse sont de bon moments d’humour. Dylan y tourne en dérision les journalistes : il fait admettre à l’un d’entre eux qu’il n’a jamais écouté ses chansons, à un autre qui lui demande combien y-a-t-il de chanteurs engagés il répond n’importe quoi sans que l’autre ne s’en rende compte, ou bien il tourne en ridicule les photographes qui lui demandent de prendre la pose.

Avec tout cela, Dylan n’y apparait pas comme quelqu’un de très agréable. Ses interventions a posteriori le font apparaître comme quelqu’un de froid, de cynique, déclarant même à Scorsese que la presse de l’époque était aussi vaine que ce que Scorsese est lui-même en train de faire là. En d’autres termes, il se met en scène, il se forge une identité fictive pour garder son aura mystérieuse. Il faut bien admettre que même si la presse peut se révéler stupide (principalement lors des effets de mode), elle se révèle aussi être l’une des clefs du succès de Dylan. Il est donc logique que celui-ci adopte publiquement une attitude très spécifique. C’est une partie de son personnage de Dylan, qui se veut insaisissable, sans lien avec rien, attaché nul part et donc “with no direction home“, “a complete unknown“, pour reprendre les paroles de la chanson “Like A Rolling Stone”, sortie sur l’album Highway 61 revisited. Le documentaire s’achève sur l’accident de moto dont Dylan fut victime, et qui tourna ses préoccupations vers des thèmes inédits : la mort, la religion… Encore une fois, Dylan s’échappa de l’image qu’on lui avait fixé.

No Direction Home est un documentaire plutôt bien vu, entrecoupé de titres en live qui ne sont pas là uniquement pour le plaisir des oreilles mais aussi pour illustrer le portrait que Scorsese souhaite présenter de Dylan. Un portrait qui n’apprendra cela dit pas grand chose aux fins connaisseurs du chanteur, si ce n’est quelques anecdotes. Mais tout de même, on ne peut que saluer la profondeur d’un film de 3 heures qui ne se concentre en réalité que sur 5 années de la vie d’un chanteur à succès, représentant encore aujourd’hui, à tort ou à raison, la mentalité d’une époque donnée. Il n’est cependant pas dit que les novices y trouveront leur compte, probablement perplexes et ininteressés par ce qui nous est montré en dehors des prestations lives. En tout cas, il s’agit sans aucun doute de l’œuvre la plus définitive relative au Dylan des 60s, n’hésitant pas à dévoiler les facettes les moins respectables du chanteur. No Direction Home s’inscrit aussi logiquement dans l’œuvre de Scorsese, toujours en quête des racines de l’Amérique.

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