Miss Zombie – Sabu
Miss Zombie. 2013.Origine : Japon
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À la suite d’un mystérieux virus, le Japon a eu affaire à une vague de morts-vivants qui heureusement a pu être rapidement endiguée. La vie a donc repris son cours et les quelques morts-vivants restant sont désormais utilisés comme bêtes curieuses ou simples domestiques. Un matin, le docteur Teramoto reçoit un colis. Une énorme caisse dans laquelle se trouve, à sa grande surprise, une femme zombie prénommée Shara. D’abord interloqué, il décide de la garder contre l’avis de ses voisins et somme son épouse de lui trouver une quelconque utilité dans la maison. La zombie sera donc chargée de récurer la terrasse sous les yeux mi ébahis mi amusés de deux autres employés. Une certaine routine s’installe dans la demeure des Teramoto jusqu’au jour où Kenishi, l’enfant de la famille, est ramené en catastrophe à la maison plus mort que vif. Folle de douleur, Shizuko oblige la zombie à mordre son fils afin de le ramener à la “vie”. Arrivé trop tard, Mr Teramoto ne peut que constater les dégâts : son fils est devenu l’un des leurs. Ce qui n’empêche pas la vie de famille de reprendre comme si de rien n’était. Shizuko s’occupe de son fils comme elle l’a toujours fait même si celui-ci, distant, se rapproche de l’employée zombie.
Les morts-vivants ont parcouru un sacré bout de chemin depuis le choc engendré par La Nuit des morts-vivants de George A. Romero. Devenus un véritable phénomène culturel au fil du temps, ils se déclinent désormais sur tous les supports, des jeux vidéos (Alone in the Dark, Resident Evil) à la bande-dessinée (Walking Dead, Alice au pays des morts-vivants) en passant par la télévision (Dead Set, Walking Dead, Kingdom) et la littérature (World War Z, Zombie Story, Infection). Difficile de leur échapper. Et quand bien même tout aurait été dit sur le sujet, ils n’en finissent plus d’envahir les écrans, venant des quatre coins du globe avec un appétit toujours aussi féroce et une propension de plus en plus marquée pour l’humour et la distanciation. Rien de véritablement neuf là-dedans si on se remémore Le Retour des morts-vivants 2 de Ken Wiederhorn qui déjà en 1988 – davantage que Le Retour des morts-vivants de Dan O’Bannon, lequel dispensait un savoureux humour noir dans un climat de fin du monde palpable – versait allègrement dans la gaudriole. Les morts-vivants (ou zombies) deviennent désormais le prétexte à des comédies pseudo-romantiques, une simple embûche sur le chemin du bonheur conjugal. Que l’humanité soit réduite à peau de chagrin importe peu tant que le héros ou l’héroïne trouve chaussure à son pied pour mieux affronter les vicissitudes de ce monde apocalyptique. Des films comme Bienvenue à Zombieland et sa suite, Manuel de survie à l’apocalypse zombie, Burying the Ex ou encore Orgueil et préjugés et zombies se servent uniquement de cette figure du cinéma d’horreur comme produit d’appel, et plus comme allégorie d’une société déliquescente. Heureusement, certains réalisateurs gardent foi au premier degré et en la portée métaphorique de telles figures comme le réalisateur sud-coréen Sang-ho Yeon avec Seoul Station et Dernier train pour Busan. Sabu (à ne pas confondre avec l’acteur indien) s’inscrit à mi-chemin, jouant la carte du triangle amoureux avec un zombie mais sans jamais sombrer dans le second degré. Au contraire, il fait preuve d’un sérieux à toute épreuve que l’utilisation du noir et blanc aurait tôt fait de ramener à un cinéma d’auteur pourtant peu enclin à ces plongées dans l’horreur.
Réalisateur plutôt méconnu en France en dépit de quelques films sortis sur nos écrans (Postman Blues en 1997, Monday en 2001), Sabu, de son vrai nom Hiroyuki Tanaka, s’essaie pour la première fois au cinéma d’horreur. Quoiqu’il serait plus juste de parler de l’utilisation d’un postulat de film d’horreur détourné à d’autres fins. Si les scènes inhérentes au genre sont bien présentes (hordes de zombies déferlant sur de pauvres victimes, dépeçages de corps humains), elles sont filmées à bonne distance, sans s’appesantir sur leur dimension gore. Avec ces scènes, Sabu ne cherche ni à créer de la tension ni à effrayer. Le récit se déploie dans un environnement où l’Humanité ne court aucun danger. Ou en tout cas, n’en court plus. Minoritaires, les morts-vivants ne représentent plus une menace pour grand monde. Pour quelques voisins s’inquiétant de la présence de l’une d’entre eux chez le docteur Teramoto, la plupart des autres habitants de la ville font preuve soit d’animosité à son égard (une bande de gamins qui la caillasse à chaque fois qu’elle passe devant eux), soit d’un particulier sens de l’humour (un vagabond se plaît à lui planter une arme blanche dans l’épaule tous les soirs lorsqu’elle rentre chez elle), soit d’un intérêt déplacé (les deux ouvriers du docteur). La zombie du titre se retrouve reléguée au rang de gadget à la mode, accompagnée au moment de sa livraison d’une notice d’utilisation… et d’un révolver en cas de besoin. L’idée de la domestication du mort-vivant n’est pas neuve et Sabu l’utilise comme un moyen et non comme une fin. Cette idée justifie l’introduction de la femme zombie au sein du cercle familial et sa place au sein de celui-ci mais sans jamais chercher à nous faire croire à la réelle utilité de son labeur. Voir cette ombre d’un être humain s’échiner à frotter jour après jour les pierres qui composent la terrasse sans que son travaille ne brille par son efficacité confine au grotesque. Un grotesque qu’amplifie l’absence de contextualisation et de certaines incohérences comme celle qui consiste à loger Shara dans un garde-meuble en ville alors que les morts-vivants seraient justement interdits en milieu urbain. Par ailleurs, il est vaguement question de différents stades dans la zombification des porteurs du virus pour expliquer la placidité de cette employée d’un nouveau genre, mais le film se fait plus discret sur la raison du maintien en activité de certains. Sabu balaie les implications scientifiques et politiques d’un tel sujet. La société a t-elle failli basculer dans le chaos ? Existe t-il une volonté de sauver les moins touchés en trouvant un sérum miracle ? Nous n’en saurons rien. Le réalisateur limite son propos à cette famille et aux quelques personnages qui gravitent autour sans jamais élargir son champ de vision. Ainsi apprendrons nous néanmoins que les morts-vivants se font suffisamment rares pour que madame Teramoto déclare en voir un pour la première fois de sa vie, sans qu’elle s’inquiète outre mesure du choix de son mari de conserver ce drôle de présent. Au contraire, en bonne maîtresse de maison, elle s’efforce de faire bon accueil à cette femme zombie qu’elle salue de bon cœur et à qui elle remet son sachet repas quotidien non sans y aller d’une petite attention toute personnelle en y joignant une fleur. Elle n’exprime ni dégoût, ni crainte pour cette créature d’ordinaire synonyme de grand péril. Et pourtant, dangereuse, cette femme zombie va le devenir mais pas de la manière attendue.
Sous couvert d’un film d’horreur, Sabu réalise en réalité une variation autour du Théorème de Pier Paolo Pasolini. Au sein de la famille Teramoto, cette femme zombie agit comme le ver dans le fruit. Sa simple présence, muette et presque inactive, suffit à détruire une cellule familiale aux contours déjà fortement lézardés. Elle est l’élément déclencheur d’une situation qui ne demandait qu’à exploser entre le docteur Teramoto et sa femme. Cette dernière incarne l’épouse dévouée dans toute sa splendeur, se pliant de bonne grâce aux desideratas de son mari. Délaissée par celui-ci, qui lui préfère la solitude et l’intimité de son bureau, elle trouve son bonheur dans sa relation privilégiée avec leur fils, petit garçon facétieux qui arpente la propriété armé de son polaroïd. Pour lui, elle se montre capable de prendre des décisions en son nom propre, quitte à franchir les limites de l’acceptable. Sabu place l’amour maternel au centre des débats et fait du garçonnet le principal enjeu du film entre sa mère légitime et sa mère de substitution, une fois qu’il est revenu d’entre les morts. Car si la domestique d’outre-tombe n’est plus que l’ombre de la femme qu’elle a été, le souvenir aigu de sa maternité ajournée occupe toujours son esprit. Naturellement, Kenichi se rapproche de cette femme qu’il assimile à une maman puisque c’est à elle qu’il doit d’être revenu à la “vie”. Dans ce contexte, ce rapprochement fait davantage souffrir Shizuko que l’adultère de son mari. Ce dernier événement n’est que la goutte d’eau qui fait déborder un vase déjà trop rempli. En proie à une colère qui confine à l’hystérie, Shizuko se déleste de ses chaînes matrimoniales et reprend – littéralement – des couleurs jusqu’au point de non-retour. En soi, elle ne peut en vouloir à Shara pour ce qu’elle endure, mais emportée par sa douleur, elle en perd tout discernement. Les deux femmes vivent en réalité un drame similaire dont l’issue ne peut-être que fatale à l’une ou l’autre. De manière sous-jacente, Sabu laisse entendre que seul l’instinct maternel perdure au-delà de la mort, leur conférant une certaine noblesse. Une noblesse que ne partagent pas les hommes sur lesquels Shara agit comme un révélateur de leurs pulsions enfouies. Le propos du film se double d’un discours sur la condition des femmes à travers les deux figures féminines du film au mode de vie finalement assez similaire dans leur routine et leur chosification par les hommes. Aux yeux de son époux, Shizuko n’est plus une femme, elle est la mère de son enfant. À ce titre, elle perd sa dimension d’objet de désir au contraire de Shara dont le mutisme et l’interdit qu’elle incarne la rendent particulièrement attirante pour ces messieurs trop peu disposés à perdre leur temps avec du sentimentalisme.
En reprenant la figure archi-rebattue du mort-vivant, Sabu parvient à tirer son épingle du jeu. Parfois agaçant par certaines facilités d’écriture, dues notamment à ses omissions volontaires concernant le contexte, Miss Zombie finit par séduire par son parti pris minimaliste et émotionnel. À travers Shara, il dépeint une morte-vivante qui ne se caractérise plus seulement par son insatiable appétit mais aussi par son restant de sensibilité. Rester parmi les vivants relève pour elle de la tragédie, voire d’une malédiction qui la contraint à assister au déclin d’une société de plus en plus déshumanisée et individualiste. Grand prix au festival de Gérardmer 2014, Miss Zombie rappelle par son côté arty des films comme The Addiction d’Abel Ferrara ou A Girl Walks Home Alone at Night de Ana Lily Amirpour, en plus accessible.