Les Mercenaires de l’espace – Jimmy T. Murakami
Battle Beyond the Stars. 1980.Origine : États-Unis
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Le succès de La Guerre des étoiles a marqué une étape dans l’histoire du cinéma. Avec le film de George Lucas puis avec ses suites, l’ère des effets spéciaux était ouverte, pour le pire ou le meilleur. En outre, le carton d’un film de science-fiction incita les majors hollywoodiennes à s’adonner elles aussi au cinéma dit “de genre”, qui était jusqu’ici largement laissé aux firmes indépendantes telles que la New World de Roger Corman. Toujours capable de flairer les évolutions de son industrie, celui-ci comprit très rapidement qu’il allait devoir changer de modèle. Ce qui le mènerait à accepter une offre de rachat de sa New World (effective début 1983 après des mois de négociation), à abandonner pendant un temps les activités de distribution pour se concentrer sur la production puis à faire porter ses efforts sur le marché de la vidéo via sa nouvelle firme, Millenium (rebaptisée Concorde par la suite). Mais entre la sortie de Star Wars et la revente de New World, Corman connut quelques années non pas difficiles, mais qui le poussèrent néanmoins à revoir les fondamentaux qui avaient jusqu’ici guidé la New World. Pour ne pas se laisser déborder par la vague de space operas, il dût ainsi mettre en chantier ce qui était jusqu’alors la plus grosse production qu’il n’ait jamais entreprise, et dans un genre qui ne lui était guère familier : Les Mercenaires de l’espace. 2 millions de dollars ! Une somme très conséquente à son échelle, mais somme toute modeste eu égard aux prix en vigueur à Hollywood. C’est ainsi que confronté aux devis inabordables des boîtes d’effets spéciaux il prit la décision de débaucher un spécialiste, Chuck Kaminsky, et de lui confier la direction du département effets spéciaux de la New World créé pour l’occasion. C’est dans ce département que fut embauché le jeune James Cameron, qui allait être chargé de concevoir les maquettes et effets spéciaux de ces Mercenaires de l’espace et de s’arranger pour qu’ils rendent bien à l’écran. Non sans s’affranchir en douce de la tutelle cormanienne, un peu trop interventionniste à son goût. Son passage chez Corman fut bref et certainement moins marquant que pour d’autres futurs grands réalisateurs, mais c’est toutefois à cette occasion que Cameron fit la rencontre de celle qui allait devenir son épouse et sa productrice sur Terminator, Aliens et Abyss : Gale Anne Hurd, alors assistante de production.
Au-delà de ces deux là, le plus gros budget jamais sorti par la New World marqua aussi les débuts d’une autre star en devenir : le compositeur James Horner, qui allait par la suite signer les BO de nombreuses grosses productions hollywoodiennes (dont Aliens, Titanic ou Avatar…) et dont le score fut ensuite réutilisé tel quel par Corman dans ses futures et moins ambitieuses incartades dans le space opera. Continuons dans les noms connus, avec cette fois le scénariste maison John Sayles, déjà auteur de Piranhas et qui remettrait le couvert auprès de Joe Dante avec Hurlements. Il passerait ensuite à la réalisation tout en continuant à écrire des scénarios ou à en réviser, glânant quelques prix au cours de sa carrière et étant par deux fois nominé aux Oscars (pour Passion Fish et Lone Star). Enfin, devant la caméra, Corman délaisse ses habitués mais continue à faire sauter la banque pour attirer des têtes connues : les vieilles (demi-)gloires George Peppard, John Saxon et Robert Vaughn (pourtant peu amène envers son premier passage chez Corman à l’occasion du Teenage Cave Man de 1958), la plantureuse égérie de série B Sybil Danning et Richard Thomas, l’une des têtes d’affiche de la série La Famille des collines (peu connue en France mais alors bien cotée aux États-Unis… on retrouvera Thomas par la suite dans la minisérie Ça, adaptée de Stephen King). Et qui donc pour diriger tout ce petit monde ? Et bien certainement pas le plus connu des réalisateurs à être passé par la case New World : l’américano-irlando-japonais Jimmy Murakami. En cette circonstance, Corman semble avoir moins voulu embaucher un metteur en scène ayant une vision propre qu’un technicien qui saurait gérer la place prépondérante prise par les effets visuels. Et Murakami, formé au cinéma d’animation et passé brièvement par le département anim’ de la Toei, était l’homme de la situation bien qu’il n’avait encore jamais réalisé de long-métrage cinéma. En revanche, il avait déjà une longue expérience et avait en plus occupé les fonctions de directeur artistique et de réalisateur de seconde équipe sur Le Baron rouge, le dernier film en date réalisé par Corman lui-même. Puis quelques années plus tard et juste avant Les Mercenaires de l’espace il remplaça Barbara Peeters sur Les Monstres de la mer, et c’est ainsi qu’il se retrouva à la tête du plus gros budget alors jamais lâché par un Corman visiblement assez nerveux, si l’on en juge par son interventionnisme (en plus de surveiller le boulot de Cameron, on le retrouve parfois crédité comme réalisateur officieux). C’est dire si Les Mercenaires de l’espace préfigurait pour lui un nouveau départ, certainement plus encore que l’arrêt de sa carrière de réalisateur et la fondation de la New World dix ans plus tôt.
Jamais en retard d’une crasse interstellaire, l’Empire Malmori dirigé par l’ignoble Sador s’en prend cette fois-ci à la paisible et pacifique planète Akir dont il exige la totale soumission. A défaut, il n’hésitera pas à user du dévastateur “Stellar Converter”, une arme capable de transformer une planète en étoile… La réponse des akiras est attendue sous sept jours. Mis dos au mur, sans ressource aucune pour se défendre, les dirigeants agressés se déchirent mais optent finalement pour envoyer le jeune Shad à bord de Nell, le seul vaisseau de guerre disponible. Sa mission ? Réunir une équipe de mercenaires qui accepteraient de venir en aide à Akir en dépit du flagrant déséquilibre des forces en présence et du peu de choses que les candidats pourraient obtenir en échange…
La Guerre des étoiles d’un côté et Les Sept mercenaires (ou Les Sept samouraïs) de l’autre. Voilà le fil directeur imposé par Corman à John Sayles et à Jimmy Murakami. Un mélange qui n’a rien d’illogique, puisque commercialement le space opera est à la mode et que le coup des individualités réunies pour la défense d’une cause perdue semble intemporel et peut se fondre dans n’importe quel genre cinématographique. Et même plus encore : le film de George Lucas lui-même s’en rapprochait grandement non seulement parce qu’il mettait en avant la lutte du faible contre le fort, mais aussi et surtout parce qu’il réunissait une faune bigarrée pour œuvrer à la résistance. Entre le quidam (du moins commence-t-il ainsi) Luke Skywalker, le cowboy Han Solo, l’activiste princesse Leia, l’hirsute Chewbacca et le binôme comique C3PO et R2D2, les différences de style étaient de mise, opposées à l’austère homogénéité des troupes de l’Empire. Les Mercenaires de l’espace ne va pas plus loin, et c’est le principal reproche que l’on peut lui faire : extrêmement simple, le scénario se divise en deux parties bien délimitées et se contente prudemment de cela. Dans un premier temps, son protagoniste principal procède au recrutement des sauveteurs de son peuple, et dans un second a lieu le combat tant attendu, peu spectaculaire bien qu’il ait lieu à la fois sur Akir et dans l’espace à grand coup de rayons lasers. Il n’y a pas une once de développement là-dedans, et l’on serait bien en peine de percevoir l’amorce de la moindre bribe de mythologie. Doté d’une ampleur certaine (avec certes un budget plus conséquent) et s’enracinant dans une histoire plus vaste qui restait à raconter et qui concernait aussi bien la géopolitique galactique que le parcours de chacun des protagonistes, La Guerre des étoiles prenait des allures d’épopée naissante. Rien de tel ici : le méchant de service débarque, crache ses doléances, et ses proies réagissent en conséquence en envoyant un zig chercher des secours. Qu’est ce que le vilain Empire Malmori, qui est son leader Sador, que sont les Akiras (si ce n’est des références à Kurosawa), quelle est l’histoire personnelle des mercenaires venant à leur secours, tout cela n’est pas abordé et n’invite pas à l’être. Grosso modo, le mariage des histoires de La Guerre des étoiles et des Sept mercenaires est respecté, mais le film pâtit d’un manque d’enracinement dans un univers bien plus large que ce que l’on a à l’écran. Les émotions en sont en outre absentes, y compris lorsque l’un des mercenaires passe l’arme à gauche. En outre, Murakami, Sayles et Corman se montrent incapables de créer une alchimie, fût-elle heurtée, entre les différents personnages composant le clan des “gentils”. La plupart du temps ils ne s’y essaient même pas (ainsi les différents mercenaires interagissent fort peu entre eux, chacun restant à part), et lorsqu’ils le tentent ce n’est que pour tomber dans les clichés les plus éculés (la romance entre Shad et la princesse -sa première mercenaire-, ou encore les dernières paroles de l’un d’entre eux, à Shad, avant de succomber). Et ne parlons pas du très passif Sador, qui stationne dans son vaisseau entouré d’une garde prétorienne muette. Les tirades enflammées de John Saxon ne sauraient à elles seules l’empêcher de devenir un méchant de space-opérette. Cette absence de prise de risque et cette volonté de coller au plus près de la forme des modèles singés sans en retirer le fond témoigne que la New World ne sait trop comment aborder la nouvelle ère ouverte par George Lucas. En déliant un peu les cordons de sa bourse, Corman tombe dans le même temps dans une prudence qu’on ne lui connaissait guère et qui s’est concrétisée par un interventionnisme accru et une frilosité barbante. En un sens, il tombe dans les même travers que Samuel Arkoff et James Nicholson lorsqu’ils dirigeaient l’American International Pictures et qu’ils lui mettaient des bâtons dans le roues. Une illustration de la difficile conversion de la New World aux conventions hollywoodiennes.
Ce n’est donc pas sur son scénario que l’on sera en mesure d’apprécier Les Mercenaires de l’espace, et celui-ci ne peut être décemment considérer comme l’un des meilleurs “plagiats” de Corman (a contrario d’un Piranhas, par exemple, qui n’hésitait pas à snober les conventions hollywoodiennes en s’affirmant comme un film d’horreur pur et dur). En revanche, le film n’est pas pour autant tombé dans l’oubli. Et cela, il le doit avant tout au fait qu’il a su utiliser judicieusement ses moyens. Au moins là dessus Corman n’a pas failli à sa réputation : les deux millions investis se retrouvent bel et bien à l’écran, et son blockbuster maison tire son épingle du jeu en sachant exploiter la variété des mondes visités par Shad. Provenant d’endroits forts différents les uns des autres, les mercenaires représentent chacun un style particulier et extrêmement typé que Cameron et Murakami se font un plaisir de créer ex nihilo. Si certains ne vont pas chercher leur inspiration bien loin (ainsi le cowboy joué par George Peppard, calqué sur Han Solo) d’autres sont bien plus inventifs et, à une occasion, se rapprochent même du cinéma d’exploitation pur et dur (la valkyrie incarnée par Sybil Danning et ses costumes mettant en avant ses formes avantageuses). L’idée semble ici d’avoir été le dépaysement du spectateur, quitte pour cela à se rapprocher parfois dangereusement du kitsch… Ce qui à vrai dire était également le cas de George Lucas dans sa première trilogie. Ainsi, à la blancheur immaculée des “Nestors” (plusieurs individus dotés d’un seul et même esprit) répond la beauferie de Cayman, le trafiquant reptilien. Ou encore, la solennité macabre du tueur professionnel en rupture de ban (joué par un Robert Vaughn dont le personnage est très semblable à celui qu’il incarnait dans les Sept mercenaires-) côtoie la nonchalance du cowboy. Et puis il y a l’opposition de style entre les deux femmes : la valkyrie tout droit sortie d’un film d’heroïc fantasy et la princesse romantique -laquelle flanque le très naïf Shad, décalqué de Luke Skywalker-. Ajoutons à cela une vaste galerie de personnages secondaires et des designs pour le moins singuliers (mention spéciale à Nell, le vaisseau de Shad : une paire de nibards surmontée d’une trompe de Fallope), le tout agrémenté d’une photographie aux couleurs très vives (bleu, orange, blanc, noir…). Avec tout ça, effectivement, Les Mercenaires de l’espace sait se doter de suffisamment d’excentricités pour sortir du lot. C’est là-dessus que l’on remarque qu’il s’agit bien d’une production Corman : en lieu et place de la satire, de l’humour, de l’érotisme et de la violence, les efforts ont cette fois porté sur l’outrance visuelle. Et en cela, en plus de puiser dans La Guerre des étoiles et dans Les Sept mercenaires le film de Murakami se trouve une parenté certainement moins consciente avec les exubérances colorées des années 60 ou début 70, façon Barbarella, La Planète des vampires, la série Star Trek ou encore, pour évoquer quelque chose de moins connu (mais aussi d’antérieur à tout cela), l’est-allemande Étoile du silence. George Lucas tombe lui aussi dans cette filiation, mais passe outre en gardant à l’esprit qu’il se lance dans une fresque épique. Chose que Les Mercenaires de l’espace ne font pas, se repliant sur ce qui est malgré tout une certaine solution de facilité, certes coûteuse, mais qui avec la simplicité de son scénario a tôt fait de faire du film un film pour enfants, incartades graveleuses (au demeurant plutôt innocentes) ou pas. A vrai dire, le film n’est pas désagréable, et son petit côté puéril peut séduire tout autant que les effets de James Cameron (par contre, la musique de James Horner n’est pas franchement mémorable). Mais il n’incarne pas des lendemains qui chantent pour la New World et pour les boîtes cormaniennes qui lui succéderaient, qui en s’adaptant à une nouvelle époque vont perdre petit à petit leur âme au profit d’une obsession pour des effets spéciaux qui, bien plus loin, à l’ère du numérique, finiront ouvertement par revendiquer un kitsch pseudo comique. C’est ainsi que Corman en est venu à être un fervent pourvoyeur de films de requins et de monstres mutants pour la chaîne Syfy. Les Mercenaires de l’espace est encore loin d’une telle bassesse, mais incontestablement, il engage le vaillant Roger dans cette voie…