Le Météore de la nuit – Jack Arnold
It Came from Outer Space. 1953Origine : Etats-Unis
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Astronome amateur et fieffé romantique, John Putnam observe les étoiles tout en roucoulant avec sa copine Ellen. Le cadre parfait pour le passage d’une étoile filante ! Sauf que cette nuit, il s’agit plutôt d’une météorite qui va se crasher à quelques encablures de là. Aventureux, les deux tourtereaux se précipitent, John poussant la curiosité jusqu’à descendre au fond du cratère… Et là, stupeur : il tombe sur un vaisseau spatial ! Un éboulement a vite fait de le recouvrir et d’obliger John à remonter prestement, révélant sa découverte à une Ellen sceptique. Mais au moins, aimante, elle est prête à le croire. Ce qui n’est pas le cas des autorités, et notamment du shérif Warren, qui ne prennent même pas la peine de déblayer le fond du cratère. Risée du voisinage, John n’en continue pas moins en compagnie d’Ellen d’explorer les alentours du site. Et bientôt, deux employés du téléphone qui avaient eux aussi constaté quelques bizarreries se retrouvent soudain transformés… Les extraterrestres sont bel et bien là !
Il faut bien démarrer quelque part. Pour Jack Arnold, c’est avec Le Météore de la nuit qu’il débuta le pan le plus glorieux de sa carrière, celui de la science-fiction. L’Homme qui rétrécit, L’Étrange Créature du lac noir, Tarantula, Les Survivants de l’infini… De tous les réalisateurs s’étant adonné à l’exercice dans les années 50 (et un peu début 60), c’est incontestablement lui qui livra les œuvres les plus marquantes d’une époque prolixe en la matière, portée par les métaphores sur cette société d’après guerre marquée par les progrès scientifiques et les tensions internationales. Le Météore de la nuit est lui aussi considéré comme un classique, encore qu’un peu plus mineur que les films qui le suivront. Le temps pour le réalisateur de se faire la main. Ce pour quoi Le Météore de la nuit a de tout évidence été conçu, puisque si tous les autres se démarquent par leur imagination, il est vraie servie par des moyens supérieurs, lui se cantonne aux fondamentaux. C’est ainsi qu’il se déroule dans un patelin en plein désert, isolé par son cadre géographique du tumulte de la société moderne. John Putnam, sa copine Hélène et leurs divers contacts forment une petite communauté en vase-clos que rien ne vient singulariser… Que ce soit dans leurs fonctions ou dans leur caractérisation, ces personnages sont peu ou prou les mêmes que dans la grande majorité des films de cette époque : un héros débrouillard et galant flanqué d’une copine aimante, par ailleurs promise à un péril dont son chevalier la sauvera dans un grand élan de bravoure. On n’y coupe pas, et sur ce point le film demeure très largement prévisible, ce qui est l’une des raisons pour lesquelles Le Météore de la nuit n’est pas tenu dans une aussi haute estime que les autres films de Arnold. Il est vrai que ceux-ci n’étaient pas forcément non plus en rupture avec ces conventions, héritées d’une époque où le vent du nouvel Hollywood n’était encore qu’une brise. Mais avec leurs moyens supérieurs ils compensaient allégrement en travaillant d’autres axes : les monstres, l’aventure, l’exploration spatiale… Rien de tout cela ici, puisque nous sommes confrontés à une énième invasion d’extraterrestres en mode discret. L’ombre de L’Invasion des profanateurs de sépulture -la référence en la matière-, se ferait sentir si celui-ci n’était pas sorti trois ans après Le Météore de la nuit (quant au roman servant de base au film de Siegel, signé Jack Finney, il est sorti deux ans plus tard). En revanche, Les Envahisseurs de la planète rouge était sorti moins de deux mois plus tôt… Mais peu importe qui est antérieur à qui : il faut bien reconnaître que Le Météore de la nuit est loin d’être aussi fiévreux que son confrère, et que ses extra-terrestres sous déguisement humain s’avèrent bien moins inquiétants.
Les possédés du Météore de la nuit -en nombre limité- souffrent de ce que l’on pourrait appeler, excusez-moi de la vulgarité, du syndrome du “balai dans le cul”. Guindés et outrageusement stoïques, quand ils ne cèdent pas à la maladresse (comme avec les pieds de cette victime qui traînent près de son usurpateur pendant que celui-ci converse avec le héros), ils peineraient à dissimuler leur nature s’ils n’étaient pas aidés en cela par le fait que personne ne s’intéresse aux dires de John Putnam. Au-delà d’un certain stade, ils n’ont plus même à s’embarrasser de tenir le secret face à celui-ci. Bien au contraire : plus ils se révèlent à lui, plus il se fait alarmiste et entame sa réputation aux yeux de concitoyens devant lesquels ils évitent soigneusement de se montrer sous leur véritable jour. Lequel est petit à petit dévoilé au héros, de la conversation décousue du “premier contact” à la révélation en grande pompe de leur véritable forme, par ailleurs préalablement annoncée par des plans furtifs (qui gâchent donc un peu la surprise) et par l’usage dicté par la projection en 3D de visions subjectives à base de lentilles déformantes représentant le regard de ces aliens monoculaires et, disons le, un peu kitschouilles. Jack Arnold ne se livre guère à une mise en scène élaborée, se limitant donc à ces quelques plans -généralement annonciateurs d’une prochaine victime- et à quelques autres à base de jeux de lumière. Ce qui n’est guère assez pour donner un cachet propre à son film. Celui-ci souffre décidément d’un gros classicisme s’étendant jusqu’au mode d’action choisi par les extraterrestres : plutôt que de se répandre comme une traînée de poudre ou comme un virus, ils procèdent par petites touches. A l’inverse de leurs homologues de L’Invasion des profanateurs de sépulture, tout ce qu’ils font nous est connu, et par conséquent l’ambiance paranoïaque se fait largement absente. L’interprète de Putnam, Richard Carson, n’est pas sur le même registre que Kevin McCarthy qui dominait le casting du film de Don Siegel, et ce n’est pas lui qu’on prendra à hurler comme un fou qu’ “il sont déjà là !” et que “vous êtes les prochains !” Lui joue plutôt sur la force de persuasion, et en un sens ce n’est qu’en se montrant un peu gonflant aux yeux du shérif qu’il parviendra à se faire entendre, à défaut de se faire croire. Sa quête est laborieuse, au même titre que celle des extraterrestres apparaît comme bien minimaliste…
Mais, si la forme ne se démarque guère, le fond du scénario (signé Harry Essex -qui co écrira dans la foulée celui de L’Étrange créature du lac noir-, d’après une idée originale de Ray Bradbury) s’avère lui bien plus inventif. Car si ces extraterrestres se font aussi discrets, s’ils ne contaminent pas les terriens à rythme industriel, c’est peut-être parce que leurs intentions ne sont pas aussi belliqueuses qu’il n’y paraît. C’est précisément sur ce flou que se focalise l’intrigue. Et John Putnam de ne plus savoir que penser de ce que lui disent ces hommes de l’espace qui n’en continuent pas moins d’usurper l’identité de ceux qui s’approchent par trop de leur “base”. En 1951, Le Jour où la Terre s’arrêta fit office de pionnier -et d’exception- en matière de science fiction pacifique. Le catastrophisme s’avérant plus commercialement porteur, et le poids du contexte idéologique aidant, le gros de la science fiction des années 50 ne suivit pas le mouvement et céda à l’illustration des peurs sur l’atome, le communisme, la science etc… Arnold évite soigneusement cette dérive et préfère ici jouer la carte de la rencontre avec l’inconnu. Si ses extraterrestres peuvent effectivement s’avérer menaçants, ils déclarent à Putnam que leur arrivée sur Terre est le fruit d’une panne et qu’ils n’aspirent qu’à quitter les lieux au plus tôt, dès qu’ils auront réparé leur vaisseau. A charge pour leur interlocuteur de ne pas leur mettre des bâtons dans les roues et à veiller à ce que personne ne le fasse. A ce titre, Putnam est confronté à un dilemme : qu’il leur accorde ou non sa confiance, il pourrait lui-même provoquer une tragédie, soit en conduisant ses concitoyens à intervenir (si les aliens disent vrai), soit en restant passif (s’ils mentent)… Ce doute sur les intentions des “étrangers” marque une rupture évidente avec un genre -celui de l’invasion extraterrestre- prompt à balancer des métaphores grossières sur ces communistes prêts à tout pour s’imposer et qu’il faut combattre sans se poser de questions. Bien qu’il puisse inspirer des craintes, l’étranger ici n’est pas forcément hostile… et il n’est même pas forcément à considérer comme une incarnation du communisme. Le Météore de la nuit en appelle à l’intellect plutôt qu’à l’instinct et au lieu de pointer du doigt la nature de l’étranger, qui ici importe peu (surtout qu’il fuit tout contact), Arnold se concentre sur les américains eux-mêmes, les incitant à ne pas céder aveuglément au rejet épidermique. En filigrane se dresse un plaidoyer pour la tolérance, certes assez timoré, face à ce qui est dissemblable. On retrouvera ce thème de manière un peu plus poussée dans L’Étrange créature du lac noir, toujours avec Richard Carlson, cette fois confronté à un inconnu un peu moins quelconque que les extraterrestres du Météore de la nuit.
A l’inverse de bien des collègues réalisateurs (qui n’en ont pas moins signé de bons films !), Jack Arnold ne vise pas à souligner au stabilo les dangers que fait peser le monde alentour sur la société. Il préfère s’interroger, à l’instar d’un John Putnam qui fait cela tout au long du film. L’étranger est-il forcément là pour détruire notre monde ? Et si nous-mêmes nous nous sentons en danger, est-ce que ce même étranger ne ressent pas lui-même la même sensation ? C’est justement lorsque l’un ou l’autre camp se voit déjà éradiqué qu’il réagit avec violence et qu’il se fait menaçant. A une époque où le rejet -qu’il soit politique, racial ou autres- était monnaie courante, un film comme Le Météore de la nuit se distingue aisément par sa lucidité. Même s’il n’est narrativement pas le film le plus palpitant qui soit, et qu’il fasse preuve à l’occasion de maladresses, il constitue un premier aperçu du potentiel que Jack Arnold affirmera tout au long de la décennie.